WITCHORIOUS : Jeunes héritiers du doom

Du doom made in Ile-de-France, ça vous intrigue ? Alors allez-y gaiement, ou plutôt tristement (il s’agit de doom quand même !), les yeux fermés, chers métalleux & métalleuses ! Cette jeune formation française s’approprie les codes du genre avec déjà une grande maturité sur son premier LP éponyme pour mieux s’en amuser avec modernité. Et quel talent ! L’avenir s’annonce radieux pour Witchorious au sein des ténèbres ! Nous y avons croisé son principal chanteur… [Entretien avec Antoine Auclair (guitare/chant) par Marie Gazal – Photos : DR]



Peux-tu présenter le groupe Witchorious et pourquoi avoir choisi ce nom convenu pour du doom ?
Nous sommes Witchorious, un groupe de doom metal basé à Chelles (dans le 77). Nous sommes composés de Lucie Gaget (basse, thérémine, chant), Paul Gaget (batterie, percussions), et moi-même, Antoine Auclair (guitare, chant). On existe depuis 2019, nous avions sorti deux singles (« 3 AM » et « Evil Creature ») en 2020, et nous venons de sortir notre premier album éponyme le 16 février 2024 sur le label italien Argonauta Records. Quand on a commencé le groupe, on s’est dit qu’on voulait parler de sujets sombres qui nous préoccupaient, et habiller tout ça d’une ambiance occulte doom. On voulait jouer avec les clichés du genre (les sorcières, Satan, l’enfer, etc.) à la fois pour retranscrire cette ambiance de ténèbres et aussi parce que ça nous amusait. (sourires) Quand on a réfléchi à notre message, on s’est dit que la sorcière résumerait bien le propos, parce que c’est un personnage qui à la fois fascine et effraie. Elle est adulée puis persécutée, mais elle survit toujours dans les croyances. Elle représente bien les minorités oppressées, et c’est un beau symbole de vengeance. Et comme on voulait lui rendre hommage et que l’on compte l’emmener loin, on a décidé qu’elle serait glorieuse. Les mots « witch » et « glorious » ont ainsi donné « Witchorious ».

Comment avez-vous formé Witchorious tous les trois ? Il y a un côté familial au sein du groupe puisque Lucie et Paul sont frère et sœur, je crois ?
Lucie et moi avions déjà eu plusieurs groupes ensemble, et on a toujours voulu continuer à faire de la musique ensemble. On était déjà en trio mais notre batteur a arrêté la musique pour un autre projet de vie. On a alors immédiatement pensé à Paul, qui est effectivement le petit frère de Lucie, et qui en plus d’avoir grandi, avait exactement le jeu et les goûts musicaux qu’on recherchait. On a donc commencé à jouer ensemble, dans un style heavy rock, puis au cours d’une répète on en a eu marre. On s’est regardés, on s’est demandé ce qui n’allait pas, ce qu’on voulait faire, et on est parti sur des riffs heavy, des lignes de basse fuzzy, une batterie très libérée, et on a descendu l’accordage en Ré (D). On s’est dit qu’on ferait un truc sombre, mi-vintage/mi-moderne, comme nous en fait. C’était le début de Witchorious…

Quels sont les thèmes qui vous inspirent à écrire, tant des lyrics que des riffs, des partitions de batterie au chant, etc. ? Qu’est-ce qui vous inspire autour de vous au quotidien pour créer cette atmosphère sombre ?
En général, ça part des riffs de guitare. Je m’inspire beaucoup des guitaristes old school du doom et du heavy metal, parce que c’est ce que j’aime : quand c’est lourd et un peu acide, dissonant, avec des chromatismes… Puis on jamme sur les riffs qu’on aime bien ensemble, et on y développe les thèmes. On travaille les parties instrumentales en fonction des ambiances qu’on veut créer, de ce qui nous rappelle tel ou tel truc qu’on aime bien, et on essaie d’assembler pour faire des structures cohérentes. La musique sert de bande originale à ce qui nous passe par la tête. Souvent en moi, puisque j’écris la plupart des textes, mais également Lucie. Selon les morceaux, on parle de nos problèmes comme la dépression, l’angoisse, ou la frustration de façon introspective, ou de sujets plus sociétaux comme les rapports de force entre les gens, l’environnement, le but de l’existence de l’Homme… Il s’agit, en grande partie, de sujets qui nous irritent ou nous font souffrir, et nos morceaux nous servent vraiment d’exutoire. On aime bien raconter des histoires aussi, comme celle de la sorcière qui se venge des hommes dans « The Witch », l’homme désespéré en recherche d’un but dans « Sanctuaire »… On est beaucoup influencés par les films d’horreur du genre Evil Dead, les séries médiévales comme Games of Thrones qui a inspiré « Blood », ou les ambiances chaotiques à la The Walking Dead.

Tu parlais de heavy et de doom metal. Qu’est-ce que vous écoutez comme musique plus précisément ? Qu’est-ce qui fait partie de votre éducation musicale ?
Lucie et Paul sont ceux qui ont le plus gros héritage culturel rock’n roll. Leurs parents sont aussi musiciens et fans de rock, et ils ont vraiment été bercés avec toute la musique rock, metal, heavy, doom, etc. anglo-saxonne des années 60 à aujourd’hui. Pour moi, c’est venu à l’adolescence, quand j’ai commencé à apprendre la guitare avec les copains. On a tous les trois beaucoup d’amour pour les piliers du heavy, évidemment Black Sabbath, mais aussi Kiss, Motörhead… Mais on essaie d’écouter le maximum de styles possibles. Paul est très orienté musique prog’, c’est un fan inconditionnel de Porcupine Tree et Steven Wilson par exemple, et de groupes comme Opeth ou Leprous. Lucie, elle, écoute beaucoup de hardcore ou de death metal, des groupes comme Malevolence ou Gatecreeper. De mon côté, je suis très metalcore, j’adore Parkway Drive, Jinjer, Landmarks… Évidemment, on a beaucoup de références communes, que ce soit les groupes stoner/doom récents comme Electric Wizard, Monolord, et Mastodon, ou les groupes qui ont bercé notre adolescence comme Korn. On essaie d’injecter des références à tout ça dans nos morceaux. On essaie d’être aussi ouverts que possible, on aime le doom de Lucifer, le sludge de High On Fire, et aussi le hip-hop de Dr. Dre ! (rires)

Comment vous partagez-vous le chant entre Lucie et toi, qui demeure le chanteur principal, en plus de ta fonction de guitariste ? Il ne m’a pas semblé lire que Lucie était créditée comme chanteuse ou aux chœurs, or on peut l’entendre ici et là chanter, comme sur la magnifique chanson « Eternal Night » ? Comment déterminez-vous qui chantera lors de la phase de composition et d’écriture des morceaux ?
Il n’y a pas vraiment de « chanteur » versus « choriste » chez nous. Lucie est souvent présentée comme chanteuse, autant que moi. Le choix du chanteur principal se fait essentiellement en fonction de qui a écrit le morceau. Lucie en l’occurrence a écrit « Eternal Night ». Après, on essaie de mettre les voix en fonction des émotions qu’on veut faire passer, de ce qui sonne bien, comme la voix de Lucie doublée de mes screams sur « Catharsis ». Personnellement, je suis très fier des voix à l’unisson qu’on a faites comme sur « To The Grave », déjà parce que je trouve ça joli, mais également parce que le fait d’avoir plusieurs voix renforce le côté mystique. Ce n’est plus un chanteur en particulier qui porte la voix, c’est le groupe qui parle. J’ai toujours été fasciné par les groupes comme Kiss ou Mastodon qui ont des chanteurs lead différents selon les morceaux, ou les groupes comme Queen dans lesquels tous les membres écrivent tout en conservant une cohérence. On va essayer d’explorer davantage ce partage du chant dans nos prochains morceaux, je pense qu’il y a de belles choses à faire. C’est une énorme chance d’avoir plusieurs voix, ça donne beaucoup de corps et d’opportunités pour nos personnages, il ne faut rien exclure. Pour l’anecdote, Paul aussi a chanté, même si c’est encore discret, sur la fin de « To The Grave ».

Vous avez eu recours parfois à l’usage du thérémine sur votre album éponyme : qui maîtrise ce vieil instrument électronique si spécial, et d’où vous est venue l’idée de l’utiliser ici ou là sur l’album ? Cela m’a rappelé les albums de The Gathering autrefois, et bien sûr les vieux groupes de rock progressif des années 60/70 qui les inspirèrent…
C’est une proposition de Lucie, qu’on a acceptée à l’unanimité ! On avait flashé sur cet instrument quand on a vu Church of Misery en concert au Hellfest s’en servir pendant leur concert. Lucie en a immédiatement acheté un et elle a commencé à délirer avec. Ça apporte un son très original qui sonne super bien dans l’univers occulte, et les gens adorent le découvrir en live car ce n’est pas un instrument très connu.

Pour ce premier LP, comment s’est passé ce premier enregistrement professionnel chez Francis Caste au fameux studio Sainte Marthe à Paris (Xème) où Svart Crown, Seth, Misanthrope, et bien d’autres, ont par le passé déjà enregistré… ? Comment est-ce de travailler avec Francis Caste ?
C’était très pro et très cool ! Francis nous a tout de suite mis en confiance. C’est facile de parler avec lui. Il s’intéresse et comprend très vite le projet, et propose énormément d’idées car il a l’expérience et le goût du bon son. L’enregistrement était très discipliné, on commençait tous les matins à 10h et on enregistrait jusqu’à 20h. On a eu la chance d’enregistrer tout l’album d’une seule traite, ce qui nous a permis de rester bien concentrés et de vivre pleinement l’immersion en studio. On avait entièrement confiance, on voyait que Francis savait exactement où il voulait nous amener, on connaissait son travail avec d’autres groupes. Au-delà de ce qu’on avait prévu, il nous a fait essayer beaucoup de choses en plus, que ce soit des instruments ou des arrangements, pour avoir le meilleur rendu possible. Il nous a aidés à finaliser les morceaux, apporter la cohérence de l’ensemble, et rendre le son complètement possédé.

Enfin, ça représente quoi le doom metal, pour vous, en 2024 ? Quelle « patte » ou quel style voulez-vous donner au vôtre aujourd’hui ?
Pour nous, le doom représente surtout un énorme héritage. C’est une musique que l’on adore, qui a animé énormément de groupes, et qui en inspire encore beaucoup de nos jours, la preuve ! (sourires) On ne prétend pas révolutionner le genre, mais on essaie d’y apporter notre touche, en mélangeant nos influences. Et puis surtout, on s’en sert pour exprimer nos problématiques du moment, alors on essaie de faire quelque chose d’actuel, qui nous ressemble. C’était sûrement le plus gros challenge quand on a commencé ce projet : comment faire en sorte de se reconnaître et s’exprimer honnêtement dans une culture à la fois étrangère et datée ? Heureusement (ou pas), beaucoup de problèmes déjà présentés par Black Sabbath comme la folie, l’écologie, ou la guerre, sont encore d’actualité ! (rires) Mais il nous a fallu utiliser les codes du genre et les adapter à notre façon de voir les choses pour qu’on se sente authentiques dans notre démarche. Et je crois que c’est ce qui nous motive à poursuivre, faire évoluer notre doom avec nous, pour que notre musique reste fidèle à ce que l’on est aujourd’hui, dans notre époque.

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