« C’est au plus noir de la nuit que naîtra la peur… ». En voilà une poésie bien sombre. Reflet d’un imaginaire dantesque, Versets Noirs paraît à présent chez Hammerheart Records, le combo marseillais ayant changé une nouvelle fois de crèmerie (Jive Epic/Sony Music, LADLO…). Il vient clore une trilogie intense et majestueuse. Après un succès auprès de la critique avec leur précédent LP Fourth Reign over Opacities and Beyond et l’étonnant EP Cryptic Curse, le voyage de Dante, ou plutôt ici d’Acod, au bout de l’enfer touche donc à sa fin… Si dans la discographie Fourth Reign over Opacities and Beyond signait l’identité musicale du duo français devenu trio, Versets Noirs y apparaît comme son affirmation, voire sa confirmation. Sur ce nouvel opus, on y retrouve bien évidemment, et ce, pour notre plus grand bonheur, les éléments clés qui ont fait le succès de nos Phocéens : orchestrations aux arrières goûts épiques, passages narratifs en français… Le travail de composition, d’orchestration et de narration s’inscrit donc dans la droite lignée artistique et conceptuelle qui ont fait leur renommée. Néanmoins, nos musiciens ont la peau dure (pour ne pas dire les écailles !) ! Loin de se reposer sur leur laurier et au-delà d’une cohérence et d’une volonté de continuité discographique, Frédéric Peuchaud et Jérôme Grossie proposent encore une œuvre originale et réfléchie. « Habentis Maleficia », morceau d’ouverture marque l’album au fer rouge. Aussi bien par sa durée (20 minutes) que par ses qualités musicales (composition, riffs entraînants, mélodie), ce premier titre concentre à lui seul les éléments qui caractérisent et font la réussite de Versets Noirs. Tout y est justement orchestré et puissamment joué. Que dire de plus lorsque les mots ne suffisent plus à exprimer ce dont notre oreille jouit ? Il est difficile de décrire une expérience musicale surtout lorsque celle-ci ne se veut pas expérimentale. C’est bien dans ce paradoxe que réside la force d’Acod : révéler au-delà des mots et de la musique une expérience ineffable et indicible. Les versets sombres (passages narratifs en français) parsemés sur l’ensemble de l’album rappellent son titre, tandis que parfois les voix se répondent dans un écho chaotique mais mélodique (« The Son of a God (The Heir of Divine Blood) »).
Cette intensité vocale, bien qu’omniprésente sur l’ensemble de l’album, se manifeste notamment sur le second titre « The Son of a God (The Heir of Divine Blood) ». Accompagné par quelques notes de clavier, le chant de Fred revêt une aura dramatique, presque tragique, à l’image de l’enfer dans lequel elle nous enrobe. Impossible de frissonner à l’écoute de ce titre qui rappelle les vives sensations que l’on peut éprouver face au grand écran. Ce style très cinématographique propre au groupe, comme beaucoup l’ont d’ores et déjà souligné, déploie sur Versets Noirs un caractère plus sombre mais aussi plus passionnel. D’une rapidité extrême, « May This World Burn » démontre toute la technicité du jeu de Jérôme Grossie (guitare). La piste se remarque d’entrée de jeu par son attaque très death metal. Elle exprime une tourmente passionnée et une puissance d’une intensité rare. La batterie qui se montre plus agressive que sur les précédents morceaux, cède rapidement sa place à un rythme plus entraînant avant un vif retour aux profondes ténèbres. Quelques douces notes viennent clore « May This World Burn » avant que « Black Trip » ne prenne la relève. Cette reprise des Suisses de Samael se veut enragée et oppressante, et tout aussi dark que l’originale, la French touch en plus ! La tension semble y atteindre son paroxysme lorsque quelques notes de piano tombent de manière drue. Le chant presque screamé de Frédéric Peuchaud caresse la frontière du punk/hardcore. Un dernier tintement de cymbale résonne avant que ne s’achève alors Versets Noirs. Un clap de fin direct et efficace qui nous laisse sans voix. Tout aussi magistral que le précédent album, Versets Noirs offre une musique à émotions et à sensations fortes qui s’écoute par temps de pluie, d’orage, de neige ou de soleil. L’atmosphère y est de moins en moins respirable tandis que l’on s’enfonce peu à peu sur les chemins escarpés et tortueux de Dante. En mêlant lyrisme et orchestration magistrale, Acod nous avaient ravis avec leurs dernières productions. Dans les veines de Versets Noirs coule cette même intensité vocale et musicale qui en font un album de très grande qualité. Les riffs puissants et entraînants soulignant des textes forts et d’une grande justesse faisant du black/death metal d’Acod une épopée mythique à la française, qui n’a rien à envier aux ténèbres scandinaves d’antan et aux récits légendaires balkaniques. Loin de proposer un metal expérimental, le trio marseillais nous offre avant tout une expérience musicale dans tout ce qu’elle a de plus sombre, poétique et viscérale. De plus, Versets Noirs vient prouver qu’une fois de plus la scène française regorge de pépites (Aorlhac, Les Chants de Nihil, Lunar Tombfields, Griffon, Aset, Rüyyn, Houle…) au côté des ténors du genre (Seth, Merrimack, Blut Aus Nord, Belenos, Arkhon Infaustus…), chacun ayant son propre style finalement. À tout bon amateur de black metal, il n’est plus guère nécessaire d’aller chercher loin pour trouver ce qu’il y a de mieux à côté de chez vous ! [Louise Guillon]
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