« Le temps, c’est un peu comme le vent. Le vent, on ne le voit pas : on voit des branches qu’il remue, la poussière qu’il soulève. Mais le vent lui-même, personne ne l’a vu ».
Jean-Claude Carrière
Les vents tempétueux faisant s’envoler les poussières du temps long ? Cet aphorisme ne pourrait-il pas être celui de l’œuvre d’Aorlhac ? Petit retour sur le passé justement… Le groupe français est fondé en 2007 par deux membres d’Astaroth : NKS (batterie, guitare) et Ash (basse). Leurs morceaux annoncent une veine black metal dans l’esprit des vieux Ulver ou Taake. L’arrivée de Spellbound, ancien batteur, au poste de chanteurn stabilise le line-up rapidement, complété par le batteur KH « foudre des montagnes ». Aujourd’hui, comment résumer ces trois pierres angulaires de ce groupe auvergnat réédités dans un coffret « vieux grimoire » dont les tranches des trois disques forment la croix occitane ?
Essayons de nous y appliquer, en restant concis. Pour l’aspect commercial, outre le très bel objet, et les livrets d’enluminures contenant l’ensemble des textes, trois titres bonus ont été ajoutés sur l’EP A la Croisée des Vents, et la reprise d’un titre de Taake figure sur La Cité des Vents. C’est peu dire que la rudesse de la contrée auvergnate influence le black metal épique et guerrier du trio. C’est la base, dure, frontale, qui assaille l’auditeur dans un premier temps sur les morceaux d’Aorlhac. La guitare véloce, acide, mais curieusement aussi, mélodique, est bien en avant et domine le jeu, bien épaulée par une batterie lourde et implacable. Un exemple ? « La Guillotine est fort expéditive », ou « Une vie de reclus », et « Aldérica ».
La voix éraillée et haineuse de Spellbound emmène l’assaut, il donne tout, et avec une réelle conviction ! Alors, oui, c’est le premier temps. Mais quid derrière ? Un peu comme l’œuvre du grand Tom G. Warrior (ex-Celtic Frost, Triptykon), dans un autre genre, il se cache derrière toute cette noirceur volcanique de nombreuses pierres de couleurs différentes, peut-être précieuses, trouvées sur le chemin… Comme le folklore du pays tant aimé, oui (« Infâme Sauvimonde » ou « Les Méfaits de Mornac », etc…), mais sans le secours des synthétiseurs. La guitare acoustique fait souvent son apparition, mais on peut aussi apercevoir de la vielle, le violon et d’autres instruments, par touches. On note aussi ces chevauchées épiques et médiévales, présentes dans les mélodies, en alliage avec le black metal qui les magnifie. Il est question ici d’atmosphères… qui affleurent… de manière changeante… comme le temps dans les cimes. (« Le bûcher des Cathares », « Plérion », « Ode à la Croix Cléchée », etc.). Les mélodies sont parfois plus atmosphériques dans la composante black : « La comptine du Drac », voire clairement « ambient », en interlude, ou intro/outro « A la croisée des Vents » ; « L’esprit des Vents ». Le heavy metal peut aussi faire son apparition, à la Iron Maiden, qui est souverain depuis longtemps dans le domaine du mixage metal et épique : par exemple « Le Charroi de Nîmes ». Quelques bruits de nature enfin peuvent apparaitre, comme les loups dans « le Miroir des Pêchés ». Sympa, cela peut faire penser à leurs collègues frenchies de Nydvind (à découvrir aussi !).
Les textes content souvent des récits sanglants du passé, faits de batailles, de révoltes, de résistances, … ou de contes pas joyeux, joyeux… Toute l’ancienne Occitanie revit alors, les destins oubliés, la dure vie dans les villages de l’ancien temps, où tout allait moins vite qu’aujourd’hui. Un brin de nostalgie ? On peut ainsi y découvrir aussi des extraits de récits « patriotiques » notamment issus du Chant des Auvergnats : « Salut à toi, Puy de Dome, salut à toi Puy Mary, les deux rois du vieux royaume où notre peuple a fleuri », dans le morceau « Au travers de nos cris ». Des textes issus de l’œuvre du critique et poète Camille Gandilhon (XIX-XXème siècle), par exemple dans le morceau « Ode à la Croix Cléchée ». Cette démarche pourrait rapprocher nos Auvergnats du cheminement des Québécois de Forteresse, y compris par la musique abrupte et épique, mais sans l’aspect politique. En marchant dans ce haut pays, la musique d’Aorlhac peut nous inspirer, nous métalleux, car leur musique est faite avec toutes leurs tripes, elle est franche et directe, dirait-on ancrée ( ?), comme disent quelques sages auvergnats, en méditations sur les pierres de granits magnétiques.
La musique d’Aorlhac est, par elle-même, vit. Mais on peut parfois aussi discerner un lien avec les Ukrainiens de Drudkh, les Roumains de Negura Bunget, ou les cousins Bretons de Belenos, pour citer ces groupes black/folk que nous n’avons pas cité encore. Au-delà de l’album Pierres Brûlées qui a suivi cette trilogie en 2021 (lire notre interview d’Aorlhac à cette date), il sera intéressant de voir à présent l’évolution future du groupe français qui dispose de plusieurs pistes… Celle menant à un folklore plus prégnant, sur laquelle le groupe avait été interroger moult fois par notre rédaction ? Sans aller jusqu’à Wazoo, d’accord, on est dans le metal, Monsieur ! Cher lecteur : on se rappelle « La Manivelle » ou « Les Dieux du Dôme » ? Ou bien « doomesque », plus lente, comme évoqué par Spellbound dans nos lignes ? Enfin celle d’emprunter le chemin brumeux et atmosphérique des illustres Agalloch ? Ou rester tel que ? A voir… Tout dépendra aussi de l’activité du chanteur, bien occupé par Jours Pâles (ex-Asphodèle) qui rencontre un joli petit succès dans une veine plus rock/dark metal… (lire notre dernier interview de Spellbound en date de début d’année 2024 ici) A vrai dire, nul ne le sait vraiment, peut-être pas eux-mêmes à cette heure automnale. Ses membres laisseront probablement aller leur inspiration au gré des vents occitans…
Pour conclure, à bientôt, on l’espère pour quelques concerts d’Aorlhac (pourquoi pas devant le Puy de Sancy enneigé, au crépuscule rougissant ?, c’est du vécu !). Et salutations à Arvernian et Vintergeist, « Aux Portes de Gergovie » ! , pour parler de la scène auvergnate. Qué viva Auvèrnhe ! [Morbidou & Seigneur Fred]
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