JOURS PÂLES : Alone in the dark…

Pur projet personnel de Spellbound, chanteur et parolier d’Aorlhac, Jours pâles nous revient déjà sur la scène française avec un troisième opus. Après Éclosion, Tensions, voilà venue l’heure de la Dissolution. Un périple audacieux et intime dans la tête de Spellbound, un musicien à cœur ouvert, en décalage avec une société consumériste où l’on prend puis l’on jette sans émotion, un monde lisse, policé, fait de ruptures permanentes qui entraînent malheureusement parfois la dissolution du foyer, la perte de repères et de sens. Retour sur d’intimes convictions avec l’artiste. [Entretien avec Spellbound (chant/guitare), par Marie Gazal – Photos : DR]

Spellbound, on est ravi de t’interviewer à nouveau ! La dernière fois que j’ai pu te poser mes questions, c’était en décembre 2022 pour le second album de Jours Pâles, Tensions. Depuis tu as planché sur ce troisième opus : Dissolution. Parle-nous du titre de cet album, après Éclosion, Tensions, on aborde la Dissolution. De quelle dissolution au juste, de quoi ou qui ?
Salut à toi et merci, ravi également ! Je me souviens d’une entrevue très intéressante à l’époque de Tensions et ton intervention va encore une fois en ce sens. Je me rends bien compte au fil des entretiens liés à ce nouvel album qu’il n’est vraiment pas facile pour moi de répondre aux questions tant il est encore plus personnel et douloureux que ses prédécesseurs, moins diffus, plus ciblé sur une thématique principale. Il s’agit notamment d’essayer de purger mentalement une rupture avec un enfant au milieu, même s’il est évident qu’un album ne suffira pas à régler le problème dans son entièreté. Il ne s’agit là que l’une des pierres à poser dans l’édifice immense de la reconstruction. Être père pour la première fois en vivant la chose ainsi, c’est un combat. Mon hypersensibilité semble s’être développée, décuplée et de cette séparation naît des états d’âmes particulièrement complexes et douloureux. Dans des détails quasi indescriptibles, comme dans des termes plus grossiers ou des questionnements plus « basiques ». La dissolution évoquée fait donc référence à la perte d’un foyer, cette même perte qui par extension fait poser un regard sur soi (remise en question personnelle) et sur le monde qui m’entoure et dans lequel je ne trouve, pour ainsi dire, quasiment plus aucun entrain, ni aucun attrait.

Quand écris-tu ? Qu’est-ce qui inspire tes textes ? J’entends différentes thématiques, de l’amour déchu à la perte de sens, en passant par le dépit vis-à-vis d’une société taciturne…
Il n’y a pas de moments définis concernant la composition. Je n’arrête jamais vraiment d’écrire, en fait, même si les périodes psychologiquement les plus sombres deviennent inévitablement aussi celles qui permettent le moins d’avancer, la force de s’y mettre étant noyée par les turpitudes mentales et physiques. Concernant les textes… il faut voir Jours Pâles au-delà d’un simple projet musical. Il n’est que le reflet de mes pensées et chaque album représente à l’instant T mon état d’esprit. Sur ce nouveau disque Dissolution, les paroles dirigent parfois les riffs, et inversement mais il est assez clair que les deux sont importants et complémentaires. Les sujets abordés partent du centre de la rupture, qui elle-même fait écho à d’autres questionnements : le rôle des réseaux sociaux dans la relation à l’autre (amitié, couple), les vices qu’ils exacerbent au sein de ceux-ci, l’isolement mortel qu’ils peuvent finalement créer, la surconsommation érigée en modèle de société, toutes ces aberrations et ces lois devenues si peu naturelles dans lesquelles nous évoluons et faisons si souvent partie malgré nous.

Vis-à-vis du premier morceau qui ouvre l’album, « Taciturne », j’aimerais avoir ta vision de la société actuelle et te demander la place que la musique occupe dans cette société justement. Comment considères-tu ton art ?
Concernant « Taciturne », c’est surtout un titre qui explique pourquoi je m’isole de plus en plus, et pourquoi je le deviens justement, taciturne. Autant je suis prolixe quand il s’agit de répondre aux entrevues et de m’occuper de la promo, autant je suis de plus en plus en retrait sur le reste, dans ma vie, au quotidien, parfois malgré moi car la solitude n’est pas toujours choisie. Ma vision de la société en ce moment ? Si je devais tout dire, je pense, que je prendrais des cartons rouges, à l’heure de la bien-pensance formelle et définitive. Je ne me reconnais plus dans rien. Il n’y a rien de subversif à dire que nous sommes à l’heure de l’égoïsme, de la perte de repères, de l’incapacité de s’exprimer en intelligence, dans un monde où pourtant n’importe qui peut donner en instantané un avis sur tout, ou tout crame et s’embrase pour rien, sans punition, sans retour de bâton légitime, d’où la perpétuation de la barbarie et de l’ultra violence ambiante. La musique devrait jouer un rôle important dans notre monde en perdition, et à chaque époque ses problématiques, mais les gens n’entendent que les messages les plus assimilables, les plus digestes. Qu’ils restent entre eux. Leur monde ne me concerne pas et me fait tant souffrir en même temps, d’où mon retrait. La masse n’a aucun goût et je préfère encore les rencontres d’êtres cassés, brisés mais qui ont des choses à dire, qui résonnent en moi. Ma musique n’est pas politique, elle est égoïste. Un constat tout personnel qui malgré moi donne une main largement tendue vers l’autre, non pas par volonté philanthropique mais simplement parce que je ne raconte que l’universel finalement. L’art reste un vecteur politique oui dans un sens, mais quand on l’analyse à l’heure actuelle, cela va à sens unique : des rappeurs peuvent chier sur à peu près tout, faire l’apologie de l’extrémisme religieux, de la consommation de drogue, de viols, de propos haineux, sans jamais être inquiétés de quoi que ce soit. En soit, c’est de la politique. De la revendication. Quand « nous » tentons d’approfondir des sujets sérieux, nous sommes relégués au rang de minables, de reclus et de Lepéniens… Liberté d’expression à géométrie variable, plus que jamais. Unilatéralité aussi. Le metal est censé être un courant extrême mais la plupart des gens qui composent cette scène tendent à le diluer, le rendre monotone et sans danger. Politiquement correct en somme. Et c’est un gars qui écoute autant Saez que Peste Noire qui te parle. Difficile de faire mieux en termes d’ouverture d’esprit, non ? (sourires)

Je rebondis à présent sur le titre « Réseaux venins ». Quel est ton rapport aux réseaux sociaux ? Comment les considères-tu ?
J’utilise les réseaux sociaux (Facebook majoritairement) quasi uniquement pour la promotion de ma musique. On sait bien que les sites officiels des groupes, des labels comme on pouvait les trouver à l’époque, sont obsolètes pour la plupart, tous ayant été mangés par ces géants du web. Tout passe par là et c’est une remise en question permanente malgré tout en ce qui me concerne. Est-ce que c’est vraiment ce que je veux ? Ce dont j’ai envie ? Besoin d’exposition, de reconnaissance ? « Réseaux venins » est une critique autant qu’une remise en question. Ce site n’existe et ne fonctionne qu’au travers de l’égo de ses utilisateurs, dont je fais partie, je le sais, moi aussi, pétri de contradictions. Parfois dans une solitude extrême, je me suis moi-même surpris à changer de photo de profil juste pour attirer quelques likes, quelques réactions, pour me sentir moins isolé. J’essaye simplement de limiter les fonctions de ces trucs à la promotion de mon art, aux discussions avec les membres de mes groupes (bah oui, c’est utile pour programmer des répétitions ou parler à son manager, à son label…) et voilà. Les réseaux comme Insta ou Facebook globalement sont des fléaux. Je ne dis pas que l’humain a attendu internet pour se mentir ou se tromper. Mais ils participent à exacerber nos vices. Ils détruisent nos familles. Franchement, qui peut dire aujourd’hui qu’Instagram n’est pas simplement devenu un site de rencontre ? Des millions de statistiques et de fenêtres ouvertes qui nous mènent vers des inconnus qui ont les mêmes centres d’intérêts et les mêmes envies que nous, « sur le papier ». Et le résultat c’est quoi ? Énormément de couples et d’amitiés n’y résistent pas. C’est un fait. Et c’est tragique.

Sinon, comment s’est passé l’enregistrement de l’album et où avez-vous enregistré Dissolution ?
L’enregistrement a été effectué de manière assez éparse, géographiquement. Mes vocaux ont été capturés à Saint-Flour dans le Cantal, dans une maison familiale où je possède un studio et où j’effectue tous mes travaux musicaux depuis 2007. Les guitares et la basse ont été faites à Clermont-Ferrand dans le Puy de Dôme par Alexis, Stéphane et Alex. La batterie, le mixage et le mastering à Meslan, en Bretagne par le biais de Ben (B-Blast Records.) Tout s’est plutôt bien déroulé dans l’ensemble, même si la période était totalement déséquilibrante pour moi.

Es-tu toujours entouré de la même équipe de musiciens que pour Tensions ? Comment cela se passe-t-il entre vous ?
Je suis entouré de la même équipe depuis Tensions. Alexis et Stéphane aux guitares, Alex à la basse, Ben pour la batterie studio et Romain pour la batterie en concert. Tout se passe à merveille et tout le monde est très impliqué au sein du projet. Concernant la méthode de travail en elle-même, je compose tout, puis soumets au reste du groupe. Il m’arrive parfois de bloquer ou d’avoir besoin d’aide sur un solo de guitare, un riff… et les gars répondent toujours présents. Je considère globalement Jours Pâles comme un groupe à part entière, même si les compositions viennent de moi. Leur implication est totale et le line-up fonctionne très bien ainsi.

Comment ça se passe avec Aorlhac ? Quelles sont les nouvelles ?
Aorlhac est un projet qui prend le temps, nous ne sommes pas dans cette forme d’urgence que j’ai avec Jours Pâles. Cela étant dit, notre dernier album Pierres Brûlées date déjà de 2021. En collaboration avec Les Acteurs de l’Ombre, on a quelques surprises qui arrivent. Nous sommes également en pleine composition pour proposer quelque chose qui devrait sortir en 2025, en plus de quelques concerts prévus cette année.

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