On connait tous les expressions plutôt négatives telles que « mener une vie de chien », ou bien « il fait un temps de chien ». Pour nos voisins belges de Bark, les métaphores canines semblent plutôt les inspirer depuis leurs débuts en 2014 à Antwerp. Auteur d’une quatrième galette énergique où lyriquement les chiens deviennent des dieux, manière de dénoncer à sa manière la fameuse fracture sociale de nos pays occidentaux, le quintet flamand s’est laissé caresser dans le sens du poil pour nous présenter Rambler of Aeons sur lequel il porte beaucoup d’espoir. [Entretien intégral avec Martin Furia (guitare et production), Jorn Van der Straeten (basse), et Ron Bruynseels (chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Question classique pour commencer afin de mieux connaître votre groupe : pourquoi ce choix de nom « Bark » à sa fondation en 2014 à Anvers (Belgique) ? Il semble que vous ayez développé un concept sur les chiens qui sont comme des dieux depuis le début… Est-ce que cela provient du classique des Stooges et Iggy Pop « I wanna be your dog » de 1969, transformé/repris par Slayer en « I’m gonna be your god » en 1996 ?
Martin : À l’époque, nous avions un groupe appelé Aguardente avec le batteur Ward et l’ancien guitariste Rui. On allait splitter en fait, et nous n’avions pas de concerts à venir, alors nous avons commencé à jammer quelques trucs. Nous devenions vraiment excités par les riffs que nous proposions, mais nous avons remarqué que ça n’allait pas pour Aguardente et nous nous sommes dit que nous devrions créer un nouveau groupe pour ça ! La nouvelle musique était assez rapide et court, et nous avons pensé que nous avions besoin d’un chanteur brutal qui pourrait comme « aboyer » en plus de la musique. Ce fut justement le mot exact que nous avons utilisé. On a tout de suite pensé à Ron que l’on connaissait déjà du temps des groupes Hard Resistance et Unleash The Fury. Pour la basse, Ward a toujours voulu avoir un groupe avec son frère Jorn alors l’occasion était parfaite. Donc, quelqu’un a dit « Bark serait un nom sympa ! ». À partir de là, c’était une sorte de remue-méninges ivre. Nous nous sommes demandés : « Qu’est-ce qu’un aboiement ? C’est la voix d’un chien ». De « dog » à « god », il n’y avait qu’un petit pas, et nous avons remarqué que l’on avait là une sorte d’univers dans lequel le groupe pouvait évoluer : des rues sales, une vie errante, des gens louches, la liberté, et même un « Dieu chien » foutu pour ce monde… C’était une soirée incroyable, nous avons écrit des chansons complètes comme « Voice of Dog », « I Remain Untamed », « Black Steel », « All Hell Breaks Loose », « Babylon Streets » qui ont fait partie de notre premier album Voice Of Dog. Elles ont toutes été composées ce soir-là, et restent pratiquement intactes depuis la première version que nous avons réalisé suite à notre bœuf ensemble. On avait enregistré tout ça au départ en démo sur un téléphone portable ! (rires)
Jorn : J’aime cette référence commune aux Stooges et Slayer que tu fais là. (sourires) Tu as compris définitivement notre tendance musicale même si nous n’avons pas pensé à ce croisement au départ. Mais ça colle et ça nous va : la spontanéité des Stooges avec l’agressivité de Slayer…
Il y a une expression courante qui dit : « Le chien est le meilleur ami ou compagnon de l’Homme (l’être humain) ». Qu’en pensez-vous ? Êtes-vous d’accord avec cela ? Peut-être possédez-vous des chiens dans votre vie privée ?
Ron : Aujourd’hui, je possède moi-même trois lévriers italiens et j’ai eu d’autres chiens pratiquement toute ma vie. Je suis totalement d’accord avec cette phrase, oui ! Les chiens sont très doux et fidèles. Nous pouvons apprendre beaucoup des animaux et notamment des chiens sur ces questions. En fait, pour être honnête, je ne pense pas que les humains méritent vraiment des chiens.
Jorn : J’aimerais croire que les chiens ont domestiqué les humains afin d’améliorer notre nature de merde ou notre condition humaine. Alors oui, je suis d’accord avec ça.
Vous avez signé pour ce quatrième album avec le label français Listenable Records, voisin de votre pays. Mais avez-vous pu tout de même jouer en live ces deux dernières années et défendre correctement sur scène votre précédent album studio Written in Stone sorti en 2020 pendant la pandémie de Covid-19 ?
Martin : Disons que l’on nous avons fait ce que nous avons pu. Comme la plupart des groupes, nous n’avons pas beaucoup joué. On a eu tout de même de très bons concerts, comme au festival Alcatraz en Belgique, qui a été très important pour nous. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas restés immobiles car on a continué à composer et c’est ce qui a fini par donner naissance au nouveau Rambler Of Aeons.
Vous êtes donc de retour avec ce nouvel album studio. Jusqu’à présent, vous étiez sans label et avez sorti vos disques précédents en autoproduction. Que pouvez-vous espérer de ce nouveau contrat avec Listenable Records ? Quels sont vos attentes ?
Martin : Nous avons toujours été un groupe très indépendant, on a même en fait rejeté certains labels par le passé. Mais Listenable est venu avec une excellente proposition et beaucoup de respect pour notre façon de travailler et nous avons pensé que ce serait un grand pas en avant pour le groupe avec un super label qui est aussi un partenaire fantastique, nous sommes ravis de voir ce que l’avenir nous réserve.
Jorn : Mon espoir est que le mot « chien » ait plus de portée grâce à Bark. Je pense que Listenable est un excellent choix à cet égard. Ils nous comprennent dans le sens où ils comprennent ce que nous faisons.
La nouvelle illustration est très belle pour Rambler of Aeons. Qui l’a réalisée ? Par rapport aux chiens qui sont représentés ici comme des dieux, peux-tu expliquer le concept ici s’il y en a un pour ce nouvel album ?
Martin : L’artwork a été réalisé par l’artiste brésilien Alcides Burn. On avait déjà travaillé avec lui pour Written In Stone. Travailler avec Alcides est tout simplement génial. Il vous demande le concept, quelques lignes directrices, des paroles, puis il livre. Nous avons bien sûr une histoire derrière, comme dans tous nos disques. Cette fois-ci, il s’agit d’un ami très cher à nous, appelé Pato Larralde, malheureusement décédé pendant la pandémie, qui nous a inspiré. Il était la voix du chien dans tous nos disques. C’était la voix en espagnol que vous pouviez entendre dans toutes nos versions précédentes. Ce type était un être humain incroyable et a quitté ce monde pour errer dans l’espace et le temps pour l’éternité maintenant. Il est le Rambler of Aeons et l’album est un hommage à sa vie et à son héritage.
Musicalement, vous jouez ce que l’on pourrait définir comme du death/speed’n roll. C’est très direct, in your face, et groovy. D’après vous, quelles sont vos principales influences musicales qui vous ont aidé à façonner le propre style de Bark avec les années ? J’ai l’impression qu’il y a comme un croisement entre les classiques de Motörhead et death metal’n roll d’Entombed (Wolverine Blues et To Ride, Shoot Straight, And Speak The Truth (récemment réédité et de nouveau dans les charts en Suède plus tôt cette année)…
Ron : Je pense qu’il est difficile de définir notre musique en un seul mot, mais si elle doit avoir un certain nom, je dirais simplement : métal ! Tous les membres du groupe écoutent toutes sortes de styles/types de musique heavy différents, par exemple moi-même, je suis très axé métal classique des années 80 et l’un des premiers groupes qui m’a rendu accro au genre a été Kiss, il y a bien longtemps, à la fin des années 70, je devais avoir environ 10 ou 11 ans à cette époque. Plus tard, j’ai découvert le punk, le thrash, le speed, le black, etc. pour ne citer que quelques groupes qui ont laissé une sorte de trace dans les chansons de Bark pour te répondre. J’ajouterai aussi Sepultura, Pantera, Black Sabbath…
Jorn : J’ai toujours aimé le surnom de death ‘n roll que l’on nous donne, parce que le groove est fondamental pour mon frère et moi, aux postes de la batterie et la basse. Nous avons grandi dans les années 90 en jouant du AC/DC, Pantera, Rage Against The Machine, Metallica, etc. C’est ce qui coule dans notre sang.
Comment composez-vous au sein du groupe : en commençant par des riffs, et après vient le chant de Ron Bruynseels avec son timbre gras si particulier ?
Martin : Ça peut partir de n’importe quoi, un mot, un riff, un film, tout ce qui déclenche quelque chose.
Ron : Après l’enregistrement de nouvelles chansons, Martin et moi commençons seulement à travailler ensemble sur la partie vocale. Écrire des paroles et les enregistrer tout de suite est ce qui fonctionne le mieux pour nous deux et après quatre albums, nous savons très bien à quoi nous attendre l’un envers l’autre. On s’amuse toujours pendant ce processus… Putain, j’ai déjà hâte de faire le prochain, ha ha ha !!! (rires) Allez, go, go, go !!
Jorn : Cela commence avec Martin à coup sûr. Nous sommes tous des musiciens créatifs, mais Martin est à un autre niveau. Il est super créatif. Donc ça commence définitivement avec lui. Mais une fois qu’il a proposé une idée de chanson, nous intervenons et transformons cette matière première en une chanson bien conçue et finie.
Pendant les processus de composition et d’écriture, Bark ressemble-t-il à une bande de cinq chiens enragés, ou y’a-t-il un chien alpha, comme les loups dans chaque meute, qui mène généralement les autres ? (sourires)
Martin : Comme je l’ai dit, les chansons peuvent venir de n’importe où, mais commencent généralement par un riff ou une idée que je fredonne sur mon téléphone à n’importe quel moment. Ensuite, je vais au studio et je le façonne de manière suffisamment bonne pour que les gars jugent l’idée avec justesse. Je suis également producteur de disques et je sais ce que je veux. Donc, au moment où je présente les idées, elles sonnent plutôt bien et l’enregistrement est déjà de qualité. Commence alors le meilleur processus qui consiste à les juger sans pitié avec le groupe ! Ils donnent tous leurs opinions et leurs idées. À ce stade, les chansons peuvent être complètement effacées ou remodelées, avec tout ce qui est nécessaire pour être satisfaisant. Ensuite, cela devient une chanson légitime de Bark où la grandeur de chacun d’entre nous brille.
Jorn : Martin est, en plus d’un grand guitariste, un incroyable producteur de guérilla et ingénieur du son. Il peut faire sonner n’importe quel groupe dans n’importe quel contexte. Une partie de la formule réside dans le fait que Martin s’ennuie facilement. De temps en temps, son esprit crache des riffs et des chansons comme un volcan. Et aussi, il tue ses propres créations sans pitié. Notre première tâche en tant que groupe est de l’aider à tuer et faire le tri. Renoncer aux riffs et aux chansons qui ne nous pas font dresser les poils. Éliminer les morceaux faibles qui n’en valent pas la peine même en les habillant derrière. Il reste souvent vingt chansons inachevées. C’est notre point de départ collectif. Chaque musicien compose et renforce les chansons, couche par couche. À la fin de ce processus, il devient clair quelles chansons deviennent les futurs succès et quelles chansons ne le sont pas. Les hits restent sur l’album.
Comme instrument, je trouve que la basse est relativement en avant dans votre mixage, ce qui n’est pas souvent le cas dans la musique métal en général. Quel type d’équipement utilises-tu, Jorn, et apportes-tu tes propres idées ou suggestions sur ton instrument durant la composition des nouvelles chansons ou bien l’enregistrement en studio ?
Jorn : Peut-être que ça a quelque chose à voir avec le fait que je sois aussi le guitariste principal d’un autre groupe. Je ne sais pas vraiment. Mais quand je joue de la guitare, je me concentre vraiment sur la basse et la batterie. Et quand je joue de la basse, j’essaie de m’attacher à la batterie avant tout bien sûr. Mais j’essaie aussi de remplir de manière créative les espaces que mes guitaristes me laissent, car ils ont confiance en ma capacité à créer des lignes intéressantes. Comme je fais confiance à Martin et Toon (Ndlr : Toon Huet, l’autre guitariste de Bark) pour faire de même. Toon est un incroyable guitariste soliste soit dit en passant. Quand j’ai commencé à jouer de la basse il y a dix ans, j’ai imité le son de mon bassiste dans mon autre groupe Bulls On Parade. Thomas Cleppe y avait un son incroyable, alors je suis allé de l’avant et j’ai acheté le même matériel : un ampli Mesa Boogie 400+ (celui avec 12 lampes), un MusicMan Stingray, qui est vraiment vital pour le son de basse de Bark. Et le préampli du MXR M80 Bass D.I. qui donne une couleur que j’aime beaucoup. Ça te prend aux tripes.
Les growls de Ron Bruynseels me font penser énormément à ceux de Jan-Chris de Koeijer (Gorefest). Est-ce une influence ici chez Bark, et êtes-vous peut-être en contact avec la scène métal extrême belge mais aussi voisine néerlandaise ?
Ron : Merci, je prends ça comme un compliment, monsieur ! Je ne dirais pas vraiment que Jan Chris est une grande influence pour moi mais j’aime beaucoup sa façon de chanter, sa voix est très impressionnante. Je suppose que j’utilise ma voix de la manière dont je me sens le plus à l’aise, pas spécialement en essayant de sonner comme n’importe qui d’autre… J’essaie juste d’aboyer aussi fort que les autres avec leurs instruments, putain ! (rires) Étant nous-mêmes un groupe belge, nous partageons très souvent la scène avec des Belges, oui, et avec des groupes hollandais aussi, et on s’est fait sûrement pas mal d’amis avec le temps. C’est une grande famille dans le métal ! (sourires)
Peux-tu m’en dire plus sur les paroles de cette chanson radicale et brutale « Fuck You Is My Etiquette » à l’accent punk ? À quoi faites-vous référence ici ?
Martin : Nos paroles parlent de choses qui nous arrivent dans nos vies de musiciens, de métalleux, de rockers… Cette chanson en particulier parle de gens qui vous disent ce qui est bien et ce qui est mal, ce que vous devriez faire, comment vous devriez vous comporter, et nous on dit merde à tout ça. Donc fondamentalement, notre étiquette est une grosse merde à tout ça. On fait ce qu’on veut et ça fonctionne ainsi pour nous.
Quelques mots maintenant aussi sur le morceau bonus intitulé « Invisible People » figurant à la fin de l’album ?
Martin : En fait, je veux dire par là que nous sommes tous les invisibles, les anonymes, les travailleurs acharnés dans l’ombre, les non privilégiés, ceux qui luttent, les non-élites…
Enfin, quels sont les projets de Bark pour cette fin d’année 2022 et l’année prochaine ? Une tournée européenne ? En Amérique aussi peut-être ? Des festivals d’été sont peut-être déjà réservés ?
Martin : Notre album sort en novembre, il y aura aussi une sortie japonaise en décembre 2022, et nous avons quelques concerts programmés ici et là, puis nous verrons ce que l’année prochaine nous réserve. Nous voulons jouer partout et amener notre musique dans le plus d’endroits possibles !
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