BENIGHTED : Violence intrinsèque

Alors que Benighted met à feu et à sang les pits de l’Hexagone dans le cadre du Hellfest Warm-up tour 2024, débarque Ekbom, la douzième déflagration sonore studio du groupe stéphanois de brutal death metal/grindcore qu’on ne présente plus. Et cette fois, contrairement au précédent album Obscene Repressed que les Français ne purent défendre live sur le moment en 2020 (pandémie oblige), ils comptent bien rattraper le temps perdu à la vitesse de la lumière, même s’ils n’ont pas chômé entre-temps, comme nous l’a confié notre ami Julien, chanteur à ses heures perdues, et infirmier en psychiatrie de métier, profession qui une fois de plus l’a inspiré pour ses paroles… [Entretien avec Julien Truchan (chants) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Benighted ne chôme pas depuis la fin de la pandémie. Vous n’arrêtez pas, que ce soit en live, ou en studio. Là tu es en pleine promotion pour ce nouvel album intitulé Ekbom. Comment vas-tu Julien tout d’abord ? Tu as encore ta voix pour parler de l’album car tu n’arrêtes pas, je présume, en ce moment… ?
Oui, sans souci, ça va, et ma voix va bien aussi. Merci. (sourires) Pourtant on a bien fait la bringue, là, en revenant de concerts en Roumanie et en Bulgarie où l’on a joué le week-end dernier. Et oui, sinon j’ai des interviews de programmées tous les soirs cette semaine, donc je ne m’ennuie pas en effet en ce moment. Mon planning est très chargé…

Quel bilan dresses-tu de votre précédent album Obscene Repressed paru en 2020 car cela a dû être terriblement frustrant de ne pas pouvoir le défendre live de suite, sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, à cause de l’épidémie de covid-19 qui survint ? Essayez-vous de rattraper le temps perdu, d’une certaine façon ?
Ah oui, c’est vrai que déjà, on a été très frustré de sortir Obscene Repressed alors en pleine pandémie, et de ne pas pouvoir le défendre sur scène, comme pour pas mal d’artistes à ce moment-là. Donc c’est très dur pour nous de faire un album et ne pas pouvoir tourner et le jouer en live. (rires amers) Mais du coup, d-ès que les concerts ont été de nouveau possibles, on n’a pas arrêté de tourner. On a fait beaucoup de concerts en France, en Europe. On a aussi fait tous les plus gros festivals français et européens, que ce soit le Hellfest, le Motocultor, ou le Sylak par chez nous, mais aussi le Brutal Assault (en République Tchèque), le Summer Breeze (Allemagne), un au Portugal, un en Espagne, etc. Bref, on a écumé les festivals. Et après on a continué à le promouvoir encore avec deux tournées successives, une avec les Hollandais de Teethgrinder, et une autre ensuite avec les Canadiens d’Archspire, Psycroptic, et Entheos durant un mois. D’ailleurs c’était il y a un an, en mars 2023.

Voilà pourquoi on peut donc entendre un duo avec le chanteur d’Archspire sur une chanson du nouvel album…
Exactement. En fait, ça s’est scellé dans le tour bus tout ça… Au départ, on ne les connaissait absolument pas. J’étais juste en contact avec des amis en commun avec Tobi Morelli, l’un des deux guitaristes. On s’est écrit. Et on a vraiment sympathisé durant la tournée.

Pourtant ils ne sont pas francophones ? Ce qui aurait pu simplifier les choses pour faire connaissance et écrire ce duo ensemble… Il me semblait que leur l’un d’entre eux parlait français pour des raisons personnelles qu’il avait évoquées sur scène d’ailleurs l’an dernier lors de leur show très sympa au Motocultor 2023…
Non, aucun n’est francophone. Ils sont de Vancouver, donc ils sont tous anglophones. Mais c’est Tobi, le guitariste donc, qui est marié à une québecoise, c’est pour ça. Donc sa chérie parle français, et un peu lui aussi.

Comment est née précisément cette collaboration sur ce titre donc qui va très vite, « Nothing Left To Fear » avec Oliver Rae Aleron (Archspire) ?
En fait, tu sais, c’était un peu la fête tous les soirs en tournée avec eux l’an dernier. Et on s’est dit, lors d’un moment un peu alcoolisé dans le tour bus, qu’il fallait faire un truc ensemble. Donc j’ai dit à Oliver (le chanteur) : « Ah ! Il faut absolument que l’on fasse un truc ensemble. Je veux absolument que tu sois sur notre nouvel album… ». Et Oliver m’a répondu « oui, carrément ! » et qu’il en serait même « très honoré ». Alors on s’est dit OK, et il restait à trouver la chanson… Après on a réfléchi avec les copains à quel morceau on pourrait le faire figurer. Et finalement Manu (guitariste) a dit alors qu’il allait en écrire un autre tout spécialement pour Oliver au chant, et tant qu’à faire sur un tempo à 402 bpm pour notre batteur pour faire en plus qu’eux. C’est la cinquième chanson de l’album, « Nothing Left To Fear ». Voilà comment elle est née. Et du coup, on a trollé au passage les gars d’Archspire en jouant plus vite qu’eux ! (rires) Franchement, il est terrible ce morceau ! On l’a envoyé à leur chanteur donc, Oliver, qui a enregistré sa voix sur ses parties dans le studio de leur autre guitariste, Dean Lamb. Ils m’ont dit qu’ils avaient trouvé ce morceau vraiment terrible. Et quand moi j’ai apposé ma partie vocale aussi, et que l’on a monté et édité l’ensemble sur la chanson, j’ai halluciné sur la rapidité du flot des questions/réponses au chant, la rapidité pour lui chanter ses paroles. C’est fou ! Au final, je trouve que cette chanson est un parfait mix de Benighted entre les parties bien speed et brutales, et les parties bien lourdes et groovy qui nous caractérisent. J’adore cette chanson, il y a des variations. Bon, ça va vite, c’est intense, bien sûr, mais les mosh parts ça te brise la nuque. (rires)

Une nouvelle fois vous avez enregistré au Kohlekeller Studios en Allemagne chez Kristian Kohlmannslehner. Et à la batterie, c’est supersonique ! Ça blaste à fond, une nouvelle fois, c’est de la pure folie que nous fait là votre batteur Kévin Paradis. Que prend-il le matin au petit déjeuner, du lion ? Quel est son secret ?
Oh oui ! Kevin, Paradis pour le coup, qui est arrivé chez nous en 2017, n’a jamais cessé de progresser. Il avait déjà fait office de batteur de sessions quelques années auparavant. C’est un tueur ! En tout cas, je ne sais pas ce qu’il prend au petit-déj’ chaque matin mais une chose est sûre, c’est quelqu’un qui bosse énormément son instrument et qui a un talent fou à la base. On est vraiment  très fier de l’avoir comme batteur dans Benighted.

Et un Kevin pouvant en cacher un autre, si je puis dire, que devient son prédécesseur Kevin Foley ? As-tu des news de lui ?
Alors oui, Kevin Foley est le batteur de Rise Of The North Star depuis une bonne année maintenant.

Je trouve que cette chanson « Nothing Left To Fear » représente bien le nouvel album Ekbom. Et aussi l’évolution de Benighted. Même si ça va très vite, c’est violent, mais on s’en souvient. Et c’est pas toujours la même chose, contrairement à ce que certains ont tendance à dire. Qu’en penses-tu ?
En fait, cet album est beaucoup plus noir que les autres. Et je pense que l’on a utilisé les ambiances différemment dessus. Par exemple sur « Scars » ou « Nothing Left To Fear ». On y a mis des samples et la façon dont on les a intégrés n’avait jamais été faite sur nos disques. C’est  des choses que l’on utilisait pas du tout, et il y a un esprit un peu films d’horreur années 80, comme Aborted le fait depuis longtemps. Là, finalement ce n’est pas systématique, et ça amène une ambiance, et on peut se souvenir de chaque chanson. Ça apporte de l’efficacité au morceau, ça laisse respirer, c’est glauque puis ça repart. Et on a monté encore d’un cran dans la brutalité aussi. C’est pas juste un morceau, mais une chanson. C’est une question de maturité aussi car on a appris à travailler ça depuis nos débuts. Mais chaque morceau, une chanson. Pour moi c’est hyper important. Dans Benighted, je veux que l’on écrive des chansons, qui racontent quelque chose, et pas juste un morceau. Je veux que les gens me disent pas que : « ouah, votre album c’est une boucherie ! ». Je préfère qu’ils me disent : « ah, j’ai bien aimé le refrain de ce titre qui a donné le nom » ou « parce qu’il y avait ce break monstrueux à la batterie » ou « là le chant est terrible », ou « le  riff de guitare est génial »… Bref, que les gens retiennent quelque chose pour chaque chanson, même si ça va très vite ! (rires)

Oui, Benighted, ce n’est alors pas que de la violence, même si elle est permanente et intrinsèque chez vous, et je dirai même plus ou plutôt, « intrinsecte », étant donné le sujet de ce nouvel album…
Ah ! Pas mal, j’aime bien le jeu de mots… Je le trouve terrible, bien vu ! (rires)

Cela fait ma transition. Parle-moi justement du thème d’Ekbom. De quoi s’agit-il ? Un syndrome où le patient se croit envahi de parasites comme des insectes imaginaires… Et t’es-tu inspiré une nouvelle fois de ton travail ? (Ndlr : le métier de Julien est infirmier en hôpital psychiatrique, en parallèle du groupe)
Oui, alors j’ai en effet un patient qui a ces hallucinations. Il est schizophrène. Et il a ces hallucinations qui évoquent le syndrome d’Ekbom. Ce syndrome consiste en une parasitose hallucinatoire où la personne a des sensations de reptation sous-cutanées où elle voit des choses qui courent, bougent sous ou sur sa peau. Du coup, ça les terrorise au quotidien. Et là, en l’occurrence, sur le nouvel album, l’histoire est basée sur une jeune fille. En fait il s’agit d’une jeune fille qui a accompagné jusqu’à la fin sa mère atteinte d’un cancer, alors qu’elle était adolescente. Elle n’a jamais par conséquent vécu sa propre vie, jamais existé pour elle-même. Alors quand elle s’est retrouvée seule, une fois sa mère décédée, du fait de sa fragilité d’esprit qu’elle avait, elle a décompensé sur un mode schizophrène. Et ses symptômes s’exprimaient par ces hallucinations d’insectes. Elle sentait des insectes qui courraient sous sa peau, et donc elle essayait de se découper la peau pour les faire sortir de sa chair pour pas qu’ils la mangent de l’intérieur. La conviction délirante liée à la maladie de sa mère, c’est qu’il y a quelque chose à l’intérieur de toi qui, tôt ou tard, va te manger, de dévorer, et te tuer. Voilà en résumé le concept général du nouvel album.

Tu ne t’inspires donc pas là de films d’horreur comme Aborted, Mortician, ou bien d’autres formations qui tirent leurs concepts lyriques à partir de livres ou films d’horreur ?
Alors non, pas du tout. Mon inspiration ne vient absolument pas d’un quelconque film. C’est vraiment les symptômes que je connais de certaines hallucinations liées à des maladies, comme le syndrome d’Ekbom donc, qui m’ont aidé à construire autour de ça une histoire plausible dans la réalité de la schizophrénie pour l’album. On y trouve ces hallucinations d’insectes, mais aussi ce fameux démon qu’elle voit dans chaque pièce où elle rentre. Il y a ce démon omniprésent qui se tient là. Elle n’en pas trop peur car il n’a pas l’air agressif, et elle s’est habituée à le voir. Mais dès que la patiente se découpe la peau et les chairs, alors ce démon sourit, à l’image de la pochette de l’album Ekbom. Donc au final, tout ça part de cas connus, et après le reste de l’histoire ici vient de mon esprit… torturé on va dire ! (sourires)

Mais à force de raconter de telles histoires basées sur des faits réels au départ que tu puises dans ta réalité quotidienne à ton travail en tant qu’infirmier en hôpital psy, tu n’enfreins pas la règle du secret professionnel ? Même si tu ne communiques jamais en chantant des données confidentielles comme leur numéro de sécu ici… (rires)
Non, bien sûr. Alors oui je suis tenu au secret professionnel, tu as raison. Mais en l’occurrence je ne cite jamais de nom de patients, et je ne colle pas à l’histoire personnelle exactement des patients, au cas où l’un d’entre eux ou ses proches viendraient à découvrir le scénario d’un des albums de Benighted ou juste d’une chanson. Je m’inspire et déforme, je refais l’histoire à ma façon, et change énormément de choses, donc impossible qu’ils se reconnaissent dedans.

Au niveau du line-up de Benighted : aujourd’hui il n’y a donc qu’un seul guitariste dans Benighted, avec Emmanuel Dalle puisque Fack est parti. Mais comment vous faites alors en live ? Il y a des parties de guitares supplémentaires samplées et diffusées sur scène ? Et allez-vous rester comme ça désormais ?
Exactement. En fait, quand avec Fabien, on a décidé d’arrêter en juillet 2022, euh… Si tu veux, ça fait vingt-six ans que je chante dans Benighted,et rechercher et intégrer une nouvelle personne à chaque fois, en l’occurrence un second guitariste, c’est usant honnêtement. On ne sait jamais si ça va coller ou pas, il faut forcément une période d’adaptation plus ou moins longue et on n’a plus envie de recommencer ça. Il y a déjà eu pas mal de changements dans le line-up du groupe : à la basse, à la batterie, et là encore à la guitare. Donc là, la cohésion entre nous quatre fonctionne super bien, donc on s’est dit : « restons avec ce nouveau line-up comme en studio ». Et on va sampler la deuxième guitare, et la diffuser sur scène en plus de ce que joue live Emmanuel. Du coup, on reste dans une configuration à quatre et c’est plus pratique pour nous en termes de logistique. En plus, sur scène, l’énergie que l’on dégage à quatre est différente. On a donc plus de place pour évoluer, et ça donne à nos shows un côté encore plus hardcore, plus brutal. Il y a aussi moins de problème de son, bref on est gagnant sur tous les plans, donc on reste ainsi à quatre dans Benighted.

Quelle sont les véritables raisons du départ de Fabien « Fack » Desgardins? Vous l’avez usé avec la troisième mi-temps dans le tour bus ou les loges… (rires)
Ah ! Peut-être ! (rires) En tout cas, au niveau du rythme des concerts avec Benighted, ça commençait à atteindre sa santé. Et je ne voulais absolument pas que Fabien vienne en voitureà chaque fois pour avoir un jour un accident sur la route par exemple. Ça devenait dangereux pour lui. Il est en Picardie, à Amiens, et c’était le plus éloigné d’entre nous qui sommes basés à Saint-Étienne encore pour la plupart, Bref, ça devenait fatiguant pour lui. Il était cuit.

Des nouvelles peut-être de Freitot, son side-project à Fack ? Il continue son groupe avec Arnaud Strobhl (Carnival In Coal) et Etienne Sarthou (ex-Aqme, Deliverance, Karras…) ?
Je ne sais pas s’il continue ou s’il a fait des nouvelles choses avec. Non, vraiment. Mais je l’ai eu au téléphone. Je vais le revoir bientôt de toute façon car il va venir nous voir sur une date du Warm Up du Hellfest cette année.

Sinon, on a rencontré Akiavel dernièrement, et ils m’ont parlé de toi et Benighted. Sven aussi, d’Aborted, m’a parlé de toi récemment car tu as souvent chanté et fait plusieurs featurings avec Aborted, et bien d’autres groupes… Essaies-tu de remettre au goût cette tradition qui se faisait davantage sur les splits EP, LP, dans le punk/hardcore ou le hip-hop dans les années 80, et qui s’était un peu perdue dans le metal devenant une démarche bien souvent trop commerciale ?
Oh oui, j’aime beaucoup faire ça. Après, de manière générale, les groupes, les artistes que j’aime beaucoup et que je respecte par rapport à leur travail, par rapport à leur musique, ceux avec lesquels on tourne, que l’on rencontre, avec qui ont a créé des affinités, c’est toujours un plaisir de collaborer avec l’un d’entre eux faire quelque chose que ce soit sur scène ou en studio. C’est justement ça, ce côté familial, ça soude la scène metal qui m’est très chère. Akiavel par exemple, je connais la chanteuse Aurélie depuis près de vingt ans maintenant. Pareil avec Sven (Aborted), on se connaît depuis très longtemps. Alors quand on a l’occasion de faire des projets ensemble, on le fait. Tout simplement.

C’est comme ça qu’est née aussi l’autre collaboration que l’on peut entendre sur Ekbom avec Xavier en invité, le chanteur des terribles Blockheads, sur la neuvième chanson de l’album « Fame Of The Grotesque » ?
Alors Blockheads, oui, c’est pareil. On fait des concerts ensemble et se croise depuis le début des années 2000. J’ai déjà été invité plusieurs fois à monter sur scène pendant leurs concerts pour chanter, et inversement Xav est déjà venu chanter avec nous. En fait, là, on avait ce morceau de deux minutes, ultra intense, « Fame Of The Grotesque » donc, avec de gros relents grindcore. Je me suis dit : « ça y est là, c’est l’occasion sur ce titre de sceller notre fraternité avec nos potes de Blockheads ». Et on a invité Xavier à venir chanter dessus. Blockheads, c’est un groupe que l’on respecte énormément, tant pour la qualité de leurs shows, ils sont toujours à fond, mais aussi pour leur attitude, leur esprit car ce sont des mecs très intelligents. J’ai donc beaucoup de respect pour eux, en plus ils sont là sur la scène metal/grindcore depuis longtemps, donc respect.

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