BLÓÐ : Un gars, une fille… dans les ténèbres

Déjà le troisième opus pour notre duo français Blóð, à la ville comme à la scène, après un album éponyme (2020) et Serpent (2021), plutôt bien accueillis mais encore trop confidentiels. Leur nouveau bébé baptisé Mara, en clin d’œil à leur fille, entremêle de belles et diverses influences venant du background de chacun des deux artistes, à savoir le black et dark metal pour Ulrich W. (guitariste/chanteur d’Otargos et ex-Regarde Les Hommes Tomber), et le new metal brut et sale mais aussi le doom atmosphérique pour la chanteuse Anna Lynn (ex-Lynn Project). Et Mara nous a totalement envoutés à vrai dire. Une chose est sûre : ces deux artistes se sont bien trouvés… [Entretien avec Anna Lynn Wegrich (chants, basse) et Ulrich Wegrich alias « Dagoth » (guitares, basse, programmations) par Seigneur Fred – Photos : Faallaway]



Blóð a vu le jour en 2018 du côté de Paris et Bordeaux et sort à présent déjà son troisième album. Mais revenons à sa genèse : comment est né ce projet précisément entre vous deux, Ulrich Wegrich alias « Dagoth » et Anna W. Lynn ?
Anna : D’une passion commune. Avec Ulrich, on avait chacun nos projets, lui Otargos et Volker à l’époque, et de mon côté j’avais Lynn. Je suis une fan inconditionnelle des compos d’Ulrich et de ce qu’il a pu faire avec Volker ou Otargos et surtout il est très bon pour faire des sons torturés, lourds et lents, et ça m’inspirait beaucoup. Comme exemple, je citerai le morceau « Pavor Nocturnus » pour Volker qui faisait partie de l’EP, ou bien « Nullabsolut » d’Otargos, mais y’en a pleins d’autres. Bref, un jour je lui ai dit : « compose-moi un morceau ! », et c’est parti de là.

A propos de Blóð, peut-on parler de side project ici ou bien véritablement de « groupe » pour le cas, étant donné que vous êtes seulement un duo ? Avez-vous déjà donné des concerts live depuis vos débuts ou bien il s’agit là d’un simple projet studio finalement ?
Anna : On peut parler véritablement d’un groupe.
Ulrich : Blóð est depuis sa naissance un projet sérieux pour nous, et le fait d’être un duo est un choix assumé. Oui, nous avons donné quelques concerts au tout début en mode duo, mais pour retranscrire correctement la musique de Blóð sur scène, nous avons été amenés à recruter des musiciens de session. En fait, le « live » est très important pour nous, Blóð ne pourrait pas être juste un projet studio.

Question pour toi, Anna : quel est ton background musical ? Tu viens de la scène metal, je crois, aussi comme Dagoth (Otargos, ex-Regarde Les Hommes Tomber) mais plutôt typée new metal dans une veine très dark. D’ailleurs ton groupe Lynn Project est-il définitivement terminé d’ailleurs ? Est-ce qu’une chanteuse comme Otep Shemaya (Otep) a pu t’influencer par le passé par sa noirceur et son ton rageur (à la limite du crossover parfois, voire du hip hop même) ?
Anna : Effectivement Otep fait partie de mes premiers groupes avec une meuf au chant qui a marqué mon « jeune esprit » de l’époque, surtout son album Sevas Tra. Il est assez sombre. Le morceau « Jonestown Tea » m’a beaucoup marqué. Son texte y est d’une tristesse, les riffs en alerte, l’interprétation de cette femme qui hurle ses douleurs, ça parle beaucoup à une ado qui cherche sa place dans le monde. (rires) Otep Shemaya est inspirante, mais elle n’est pas la seule, la liste est tellement longue… Donc je vais plutôt dire que mon évolution auprès des musiques extrêmes, j’y ai trouvé un refuge, une sécurité, une liberté, une façon de me sentir exister et donc le besoin de hurler sur des sonorités violentes, m’imposer, crier plus fort que les autres. J’y ai trouvé mon bouclier et mon arme. Donc, j’ai débuté j’avais 16/17 ans, avec mon petit groupe de metal au lycée de ma campagne savoyarde, ah ah ! (rires) Par la suite, ma personnalité s’est dessinée et cette musique est devenue partie intégrante de ma vie dans ma création ou dans l’écoute. Quand j’ai rencontré Ulrich, j’arrivais de ma Savoie, je n’avais jamais eu de groupes très aboutis jusque-là et donc de le voir sur scène ou l’écouter composer, ça m’a donné envie d’y retourner. J’ai intégré Lynn ce qui m’a permis de découvrir des gens passionnés et de bons conseils pour arriver à ce que je voulais. Puis, petit à petit, je m’éloignais de Lynn car nos chemins de vie ont fait que pour ma part, c’était évident que c’était avec Ulrich que je voulais créer quelque chose…

Le nom de ce troisième album Mara fait référence à votre fille, à toi Dagoth et Anna. Pourquoi lui avoir dédié ce troisième album très sombre et notamment une superbe vidéo clip en noir & blanc qui détonne dans le genre metal ? Sa chorégraphie, d’ailleurs, m’a quelque peu rappelé le récent second clip d’Alcest, « Flamme jumelle », en version nettement plus heavy et dark chez Blóð cependant… ? (sourires)
Anna : Non, il ne parle pas d’elle dans le sens personnel des choses, elle est bien plus merveilleuse que ce que l’on raconte dans l’album. (sourires) Ce sont les histoires et mythes qui tournent autour de la déesse du même nom. Ça reste une dédicace, une sorte de petit héritage et Ulrich l’a composé pendant ma grossesse, donc tout naturellement il porte son prénom… (sourires) Du coup, après avoir lu ta question je suis allé voir le clip d’Alcest, effectivement la danse s’y retrouve. (sourires) « Mara » est mon morceau préféré de l’album, il est à la fois envoûtant et sombre par la musique et le texte. On voulait quelque chose avec une liberté d’interprétation, quelque chose d’hypnotique par la danse comme pour invoquer. Quelque chose de jolie limite agréable sans pour autant être rassurant pour instaurer l’aspect sombre de l’histoire. Mara, en fait, c’est une invocation ou une déclaration de puissance, une femme qui a embrassé une force sombre et destructrice, trouvant une nouvelle identité dans la désolation et la mort.
Ulrich : En toute honnêteté on a pris connaissance de la divinité slave après avoir choisi le prénom de notre fille, c’est à ce moment précis qu’on a décidé d’en faire le thème et le titre de l’album. J’aime beaucoup l’idée d’Anna qui danse pour ce clip, cela m’a fait penser au film Suspiria.

Comment vous partagez-vous le chant entre toi, Lynn, capable aussi bien de growls, de narration, ou de chant clair assez grave aussi, et toi, Dagoth, chanteur spécialisé en black metal ? Ce n’est pas trop la guerre à la maison lors du processus de composition, puis en studio lors de la phase d’enregistrement pour se répartir les rôles vocaux, un peu comme un vieux couple à la maison qui s’engueule ? (rires)
Anna : On est loin du vieux couple qui s’engueule, heureusement, ah ah ! (rires) Ulrich me laisse carte libre sur les lignes de chants. Il est évidemment de bons conseils. Lui, c’est plus la musique, ça lui va bien de ne pas chanter. (rires) On s’est bien trouvé, les rôles sont donnés.
Ulrich : Je ne chante pas dans Blóð, et ça me va comme ça. Je préfère me concentrer sur la musique en elle-même.

Plus sérieusement, comment fonctionnez-vous pour l’écriture et la composition, et notamment sur ce nouvel album Mara, par rapport à vos deux précédents albums Blóð et Serpent ? Partez-vous de textes personnels et d’atmosphères pour en composer la musique ou bien l’inverse ?
Anna : En premier, Ulrich compose et ça peut durer longtemps, donc je le laisse gérer dans sa bulle. Lorsqu’il arrive à un point de satisfaction, je l’écoute avec lui et lui donne mon ressenti, si le morceau m’inspire ou si je visualise quelque chose, et on aborde le thème. Et alors on finalise sur le chant où il reste un soutien et un guide pour moi. On travail que tous les deux, on enregistre tous les deux, on mixe tous les deux. Jusqu’ici, ça me convient, mais je commence à ressentir le besoin d’enregistrer et mixer avec des gens pour qui c’est le métier et que l’on reconnait pour ça. Pour ma part ça me permettrait d’avoir une vision différente et d’apprendre. Pour le moment ça reste confort et j’aimerais que ce le soit moins. La musique avant le texte. C’est elle notre source pour savoir ce que l’on va raconter. Les compos d’Ulrich sont très « visuelles », en fait.
Ulrich : J’imagine toujours une ligne de chant dans ma tête lorsque je compose un morceau, mais je ne la présente à Anna que très rarement, voire jamais. Je veux qu’elle soit libre et parte sur une page blanche, c’est difficile de se détacher d’une ligne de chant une fois qu’elle a été, ne serait-ce que, « fredonnée »… Le résultat est la plupart du temps à des années lumières de mon idée de départ, ce mélange est l’essence même de Blóð.

Au niveau de la batterie, Dagoth : s’agit-il exclusivement de programmations avec une boîte à rythmes et des samples de batterie acoustique, ou bien tu as enregistré cette fois une vraie batterie ou a eu recours à un batteur de session sur ce nouvel album Mara ?
Ulrich : Je suis resté avec de la programmation exclusivement. C’est beaucoup plus simple que de devoir essayer d’expliquer à un vrai batteur, et de le brider en lui imposant ma partition et mon point de vue. Je sais exactement ce que je veux et j’ai beaucoup de mal à laisser mon travail être (re)interprété par un tiers. Il m’arrive même de garder des prises de guitares enregistrées sur le tas ou en préprod’ car une fois réenregistrées « proprement », elles perdent de leur authenticité et ne sonnent pas pareil.

Quelles sont vos principales influences musicales ? J’ai noté par exemple des influences comme Amenra même si vous possédez votre propre univers, et savez développer vos propres atmosphères… La diversité du chant majoritairement féminin contribue aussi à cela, je pense. Et aussi un peu de Celtic Frost (période Monotheist) dans le grain de guitare mais aussi dans l’atmosphère là encore et ce côté expérimental (cf. l’outro « Mother Ov All »…).
Anna : Pour la musique, mes influences et admirations vont toujours du côté de l’émotion et il serait long de tous les citer. Ça va de Mozart à Shining. Mais Ulrich, reste ma plus belle motivation et inspiration. Ce qui m’inspire n’est pas forcément musical… (sourires)
Ulrich : Difficile de répondre car je n’écoute à 90% que des vieux albums d’Iron Maiden, Bolt Thrower, Slayer, Morbid Angel… Rien à voir avec Blóð… Je suis un nostalgique et ai beaucoup de difficultés à m’ouvrir aux sorties récentes… Heureusement Anna est là pour me tenir un minimum informé de l’actu musicale, et me faire découvrir des groupes, mais il est extrêmement rare que j’accroche au point d’aller réécouter ultérieurement… Il est vrai que je peux avoir une certaine admiration pour des groupes comme Amenra ou autres, mais idem, je ne les écoute jamais, ou ne veux pas les écouter plus… Je ne sais pas. C’est assez paradoxal, j’avoue.

Musicalement, comment définiriez-vous justement votre style ? Du dark/doom metal ? Du drone metal ? Du sludge metal… ? Un peu tout ça à la fois… (sourires)
Anna : On galère à se demander dans quelle case on peut nous mettre. Je vais dire ce qui me vient en écoutant : black doom mélodark, ah ah ! (rires) Du black pour certains riffs, lignes de chant, du doom pour le son des guitares et les passages lents, melodark pour les côtés ambiants hyper gothic et le chant clair.
Ulrich : On ne s’est pas vraiment posé la question du style lorsqu’on a commencé à travailler avec Anna, on a juste laissé libre cours à notre inspiration. Mara est sans aucun doute l’album le plus sombre et torturé qu’on ait fait avec Blóð, la touche black metal y est clairement plus assumé, dans les riffs et dans le chant notamment. C’est pourquoi à présent on qualifie le groupe de « blackened doom ».

Au niveau des guitares, quel est l’accordage en général sur l’album Mara, et comment fais-tu Dagoth pour obtenir ce grain de son de guitare si saturé et abrasif ? Des pédales d’effets à l’ancienne et un certain type de micros, mais aussi d’amplis (ampli à lampe ?), ou bien tout par ordinateur avec des plugins bien spécifiques ?
Ulrich : L accordage à la guitare est un DROP A#, on a donc A# F A# D# G C. Pour Blóð, je joue sur 2 guitares, une Gibson Lp Custom de 71, et une Ibanez Les Paul Custom de 78. Les deux sont équipées de micros DiMarzio « Super Distortion ». Pour obtenir le son de Blóð j’utilise un rack ProCo Rat R2DU comme préamp, c’est assez vintage et du transistor mais j’adore. Sur scène, je balance ça dans un poweramp à lampes (celui d’un 5150 ) et un 4*12, mais chez moi et pour enregistrer j’utilise Two Notes/Torpedo/Wall of Sound. Finalement c’est un mix de technologie moderne et vintage. Je suis un grand malade du matos avec des crises de G.A.S régulière depuis que j’ai commencé la musique fin 90’s… J’ai eu des dizaines d’amplis, de têtes, de poweramps, de préamps, en rack et autres… du Mesa, Marshall, Engl, VHT, Peavey, Laney, Laboga… un Kemper aussi. Je ne pourrais même pas compter le nombre de pédales diverses et variées que j’ai testé, de humbuckers, et bien évidement de guitares… C’est instructif mais épuisant des fois… Je me suis un peu calmé avec le temps, mais jamais à l’abri d’une crise ! Ah ah ! Heureusement, j’ai la chance d’avoir une femme merveilleuse, patiente et compréhensive à mes côtés. (sourires)

Dagoth : j’imagine que passer d’Otargos à Blóð est différent, mais en même temps on retrouve cette noirceur… Est-ce que ton backgound black metal t’aide quand même dans ton l’approche que tu as ici avec Blóð ?
Ulrich : Certainement, mais de manière involontaire car à l’origine je souhaitais vraiment l’éviter. Je pense que ça fait et fera partie de moi jusqu’à la fin ! C’est pourquoi avec Mara, j’ai décidé de l’assumer plus qu’auparavant, ce qui de plus ne dérangeait pas Anna, au contraire. Mais ça reste quand même pour moi deux choses totalement différentes de composer pour Blóð ou pour Otargos. Je ne recherche pas du tout les mêmes « sensations ». Quand je compose, j’appréhende la musique d’une manière très cinématographique, et là on est sur deux registres bien éloignés l’un de l’autre.

Pouvez-vous m’en dire davantage sur la chanson « Gehenna » en ouverture du nouvel album ? J’ai pensé d’office au groupe de black metal norvégien Gehenna, personnellement, puis les chœurs d’enfants m’ont surpris, me rappelant les musiques des films d’animation du réalisateur nippon Hayao Miyazaki…
Ulrich : Certes, les deux sont sur la même piste…, mais il faut considérer l’intro comme celle de l’album, et non celle du morceau « Gehenna » en lui-même. C’est plus exactement un hymne à la déesse Mara. Et « Gehenna », le morceau à proprement parler, traite plutôt d’une vision mythologique et cataclysmique de l’Enfer sur Terre. Dans les deux cas, rien à voir avec le groupe norvégien de black metal, ni les films nippons ! (sourires)

Pourquoi avoir choisi le label allemand Talheim Records Germany, plutôt qu’un label français comme Les Acteurs de l’Ombre Productions, Season Of Mist, ou Osmose Productions ? Season of Mist vous distribue cependant en France et à l’international peut-être ?
Ulrich : La question épineuse ah ah ! (rires) On a choisi Talheim car c’est un label qui nous permettait une visibilité hors frontière avec une touche black, donc on s’est dit pourquoi pas. Nos expériences précédentes étaient tellement mauvaises qu’on s’est dit pourquoi pas sortir de France. Notre rêve aurait été Les Acteurs de l’Ombre, c’est sûr. Gérald (Ndlr : son responsable) est très passionné et on le voit à la qualité de son label. Un jour peut-être… (sourires)

Enfin, que souhaitez-vous ajouter à propos de ce troisième LP Mara très réussi, très personnel aussi, totalement hypnotique et sombre, j’ai trouvé ?
Anna : Merci ! (sourires)On espère qu’il plaira pour pouvoir vous le partager scéniquement aussi. Je l’aime beaucoup cet album, de par sa diversité et son ambiance… On fait ce que l’on aime.
Ulrich : Hypnotique et sombre, c’est exactement le genre de sentiments que j’espérais matérialiser avec cet album. Merci !

Et pour toi, Ulrich W., alias « Dagoth » : quelles sont les nouvelles d’Otargos ? Bientôt un nouvel album studio peut-être ? Un contrat est-il toujours en vigueur avec le label XenoKorp ou Kaotoxin Rec. ? Ou bien un retour est-il prévu chez Listenable Records ?
Ulrich : A l’heure actuelle, c’est assez calme du côté de Otargos, on réfléchit au prochain album, et rassemble des idées. Malheureusement Xenokorp n’est plus. Avec ses soucis de santé, Nico, le boss du label, a dû stopper définitivement son activité, et on le comprend tout à fait. On ne le remerciera jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour nous. On a quelques dates prévues pour cette fin d’année, mais pour ce qui est du label qui sortira notre prochain et huitième album, je ne peux rien te dire pour l’instant.

Allez, maintenant, quand peut-on espérer vous voir en concert s’il y a des projets dans ce sens, ou bien Blóð est uniquement un projet de doom/sludge metal studio condamné à l’obscurité et à la confidentialité, sans prestation live comme Darkthrone depuis des années ?
Anna : Non, le live est trop important pour nous, il confère un sentiment à la fois d’aboutissement, de plénitude, de délivrance et de plaisir dont on ne pourrait se passer. On espère donc pouvoir partager un maximum cet album sur scène, avec le public.
Ulrich : Nous avons quelques dates de prévues très prochainement en Espagne et Portugal, mais pour la France il faudra attendre la rentrée de septembre 2024.

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