En 2020, Blue Öyster Cult nous proposait The Symbol Remains, vingt ans après Cultösaurus Erectus. La célèbre formation américaine de hard rock se lança par la suite dans une tournée mondiale afin de célébrer ces cinquante ans de carrière et publia dans la foulée 50th Anniversary – Live in NYC – First Night enregistré le 21 septembre 2022 au Sony Hall. À présent, Le Culte de l’Huître Blue s’apprête à sortir Ghost Stories (en clin d’œil peut-être aux Suédois de Ghost qu’il a beaucoup influencés ?). Celui-ci clôturera définitivement leur carrière discographique. Une surprise de taille qui en est une sans vraiment en être, au vu de leur gigantesque carrière ! [Entretien avec Donald « Buck Dharma » Roeser (guitare/chant) par Pascal Beaumont – Photos : DR]
Vous avez déclaré récemment que Ghost Stories serait votre ultime et dernier album. Je suppose que c’est une décision qui a été difficile à prendre. Comment le vivez-vous ?
Oui, bien sûr mais ce qui est certain c’est que c’est le dernier, on le sort dans cet esprit-là. On ne sait pas pendant combien de temps nous allons encore pourvoir tourner. On devient vieux, moi-même je le ressens, et à un moment donné, on devra s’arrêter, c’est logique. On a déjà réduit le nombre de concerts que l’on va donner cette année. Il n’y en aura pas plus de trente et il n’y a rien de prévu pour 2025. C’est ce qui me fait dire que c’est certainement le dernier, évidemment on ne sait jamais mais c’est celui qu’on va défendre en 2024 en tout cas.
Ghost Stories est un titre un peu mystérieux et surnaturel totalement en raccord avec l’image que vous avez développé tout au long de votre carrière, non ?
Oui, il s’agit d’un opus qui regroupe le line-up original. Il y a tous les musiciens qui ont joué avec Blue Öyster Cult durant ces trente dernières années. Tous les enregistrement sont issus de ces différentes époques, en quelques sorte ce sont des fantômes. Au cours de notre longue carrière nous avons enregistré de nombreux titres que nous n’avons jamais utilisés, que ce soit pour Fire Of Unknown Origin, The Revölution by Night, et bien d’autres. On ne les a pas choisis tout simplement parce qu’à l’époque un vinyle ne pouvait contenir que dix chansons au maximum. En général, c’était cinq ou quatre par face. Il fallait faire des choix pas évidents et on a dû abandonner de nombreux morceaux. Si le cd avait existé plus tôt, ils seraient sortis sur les disques de l’époque.
C’est un peu un voyage à travers le temps que vous nous proposez. Est-ce que tu ressens aussi cela à l’écoute de ces douze morceaux qui ont près de quarante ans ?
Complètement. Quand j’écoute ce nouveau disque, je replonge dans mes souvenirs de cette époque. Je revoie la conception de tous ces morceaux. J’ai aussi repensé à certaines histoires que nous savons vécues lors de cette période. Ce sont finalement des histoires de fantômes ! (rires) Avant Ghost Stories, nous avons sorti très peu d’album qui sonnait vraiment comme il y a quarante ans. Quelque part nous étions des héros, nous étions très actifs, nous enchainions les enregistrements et désormais cela fait partie de notre histoire. C’est ça qui est bien, ces anciens titres sonnent comme dans les eighties mais on les a remis au goût du jour.
Sur Ghost Stories, on retrouve cette incroyable version studio de « We Gotta Get out of This Place » (1965) de The Animals. Te souviens-tu de l’enregistrement de cette reprise ?
Oui, on l’avait sorti la toute première fois sur le live On Your Feet or on Your Knees mais cette version studio est excellente. J’ai été surpris lorsque je l’ai écouté. On jouait ce titre à nos tout débuts quand on donnait des concerts dans les clubs avant même de s’appeler Blue Öyster Cult (Ndlr : ils ont eu plusieurs nom The Disciples, Travesty, Soft White Underbelly, et Stalk-Forrest Group avant de devenir Blue Öyster Cult). On l’a joué pendant très longtemps lors de nos shows et on avait vraiment envie de proposer cette version studio.
Vous proposez aussi une version studio de votre célèbre reprise de MC5 « Kick Out The Jams » !
Exact. Je me souviens nous étions en pleine post production en studio, on répétait. Le titre a été enregistré sur un huit pistes comme la plupart de nos morceaux durant cette période. On a fait ces démos, je crois, lors de l’enregistrement de nos deux premiers disques, en 1972, 1973, et c’est cette dernière version que l’on a gardée.
Avez-vous retravaillé certaines chansons en studio ?
Non, je n’ai absolument rien réenregistré du tout, on a gardé les originaux tel qu’ils étaient sans les retoucher.
Cela fait cinquante-deux ans que vous existez en tant que Blue Öyster Cult. Es-tu surpris d’être toujours là et en pleine forme après toutes ces années ?
Je n’aurais jamais imaginé que nous allions perdurer aussi longtemps, j’espérais que nous allions exister un certain temps, bien sûr, mais jamais cinquante ans ! Je n’ai aucun regret. On a vécu de si grands moments, on a pu s’épanouir et aller au bout de nos projets. Ça a été fantastique de pouvoir jouer pendant aussi longtemps et de traverser toutes ces décennies.
On Your Feet or on Your Knees fut votre premier live est sorti en 1975 qui vous a permis d’exploser et devint avec le temps un album culte, une véritable référence. Comment expliques-tu ce succès massif ?
Lorsque l’on a sorti ce disque, on voulait montrer que nous étions avant tout une formation scénique. On Your Feet or on Your Knees possédait cette énergie et cette puissance incroyable que nous dégagions sur scène et qui surpassait de loin les versions studio de nos chansons. On y trouvait le véritable son de Boc qu’on ne retrouvait pas en studio. Ça nous frustrait un peu, nos opus étaient très travaillés et conceptuels qui plus est très souvent. Avec ce live, on a donc pu montrer qui nous étions réellement, comment nous sonnions live en concert. C’est d’une certaine manière le vrai Blue Öyster Cult !
Sandy Pearlman a joué un rôle fondamental dans votre carrière. Dirais-tu que c’est un peu votre mentor ?
Il a été responsable de l’idée même de Blue Öyster Cult, il nous a en quelque sorte vendu le concept à moi et aux autres membres. Au début je ne savais pas que je pouvais vivre de la musique, j’adorais jouer de la guitare mais je n’avais jamais pensé devenir musicien professionnel et j’ai découvert que je pouvais le faire, jouer sur scène, enregistrer des albums. Sandy à la base voulait être musicien, il comprenait la musique mais ne pensait pas avoir le talent pour en jouer. Il était très honnête avec lui-même. Il s’est donc dirigé vers l’écriture, la production, la gestion des arrangements. Il est devenu ingénieur du son, il a créé son propre style très inspiré. On a été heureux d’adhérer à sa version musicale et c’est ce qui a fait Blue Öyster Cult à nos débuts. On a développé nos personnalités à ses côtés et ça nous a amenés à ce titre emblématique « (Don’t Fear) The Reaper », mais au début on était très brutaux. C’est lui qui nous a inspiré et qui a fait que nous sommes devenus des professionnels. (sourires)
Vous avez débuté en 1967 à Long Island à l’époque de The Doors, Led Zeppelin, Janis Joplin, MC5… Comment décrirait tu cette époque de la fin des années soixante ?
On n’était pas les MC5, on a signé à l’époque sur Elektra mais l’album n’est jamais sorti. (Ndlr : Sous le nom Soft White Underbelly, puis Stalk-Forrest Group). On n’a jamais rencontré les New York Dolls, on vivait à Long Island, ce n’est pas New York. On ne faisait pas vraiment partie de cette scène musicale new-yorkaise, on était un peu à part. Aujourd’hui je suppose que tout est très différent mais auparavant New York était une ville très importante au niveau du rock et des arts en général, bien plus que maintenant. Pour nous c’était important d’y aller car c’est la ville où se trouvait toutes les maisons de disques, les magazines, les journaux, toute cette presse américaine. Lorsque tu débutes, il faut se faire remarquer, qu’on parle de toi, c’est primordial. Cela nous a aider pour démarcher les labels car ils peuvent voir que tu as de bonne chroniques de concerts, tu peux aussi enregistrer des démos et leur proposer. New York était très importante comme ville bien plus que Los Angeles, il fallait donc y être. Maintenant c’est l’inverse, je ne sais pas si cela aurait aussi bien fonctionné si nous avions été du côté de Los Angeles.
Sur Extraterrestrial Live,votre troisième album live, il y a une version extraordinaire de « Veteran of the Psychic Wars » avec ce solo de guitare incroyable. Est-ce que c’est de l’improvisation totale ou bien cela a été préparé en répétition ?
Oui, le solo est totalement improvisé. Il n’y pas de préparation ou de répétition mis à part les arrangements et celui qu’on peut trouver sur la version studio. Mais tout le reste est totalement improvisé. La raison principale c’est que j’adore me surprendre moi-même. Je ne sais jamais si ça va fonctionner à chaque fois, mais a chaque concert je le fais quand même je prends ces solos, j’improvise parfois, cela donne des choses incroyables, c’est brillant. D’autres fois, c’est très bon, ça peut aussi ne pas être terrible ! (rires)
En 1979, vous avez sorti Mirrors qui est un disque orienté très pop produit par Tom Wermann qui a produit Boston, Cheap Trick, REO Speedwagon, Ted Nugent, Kiss, Lynyrd Skynyrd, Rush… Comment avez-vous collaboré avec lui ?
A cette époque, on subissait une énorme pression de la maison de disques principalement. Elle voulait que nous écrivions plus de titres susceptibles de devenir des hits. Nous n’avons jamais été un combo de pop, il y a quelques chansons qui sont devenues des hits. Tout le monde travaillait très dur pour obtenir ce genre de reconnaissance, c’est la raison principale qui a fait que nous avons fait appel à Tom Wermann. Personnellement, j’ai adoré travailler avec lui, peut-être plus que les autres membres de la formation qui n’ont d’ailleurs pas trop apprécié. Je trouve que Mirrors regroupe de très bon morceaux même s’il ne s’est pas très bien vendu. Il fait partie de notre histoire comme tous nos disques.
Comme tu le disais vous avez eu quelques hits comme « Godzilla » ou « Burning For You » mais celui qui est devenu la référence c’est « (Don’t Fear) The Reaper » que l’on trouve sur l’opus Spectres. Pensais-tu que ce morceau allait être aussi important dans votre carrière ?
Oui, on sentait qu’il était très bon mais on était loin d’imaginer qu’il allait devenir aussi populaire. On ne savait rien. On a écrit et enregistré Spectres en espérant que les gens apprécieraient. Mais on n’aurait jamais imaginé que « (Don’t Fear) The Reaper » allait passer sur toutes les radios et devenir un hit aussi énorme.
En 1982. Tu as sorti ton unique album studio Flat Out pourquoi ne pas en avoir enregistré d’autres par la suite ?
Après Flat Out, je n’en ai pas ressenti l’envie. J’étais bien au sein de Blue Öyster Cult et aussi très occupé. L’été dernier, j’ai enregistré un morceau qui est sorti en single mais je ne pense pas en faire d’autres pour le moment. Je ne suis pas très ambitieux, je n’ai pas envie de me faire trop remarquer en solo. Je suis très bien comme ça.
Dans les années 70, vous avez beaucoup enregistré au The Record Plant (New York) comme studio. Qu’avait -il de si particulier ce studio pour que tant d’artistes (New York Dolls, Bruce Springsteen’s, Blondie, Metallica, the Eagles Fleetwood Guns N’Roses) y enregistrent ?
Oui tout le monde passait par ce studio Kiss, Blondie, Aerosmith, c’était une référence à cette époque. Nous étions très occupés et y on travaillait beaucoup.
En 1983 vous revenez avec The Revölution by Night votre neuvième album studio qui est produit par Bruce Fairbairn (Bon Jovi, Ac/Dc, Aerosmith, Van Halen, Kiss, Scorpions) une légende de la production. Que vous a-t-il apporté ?
J’ai adoré travailler avec Bruce, nous n’avons pas enregistré à Vancouver au Canada mais aux États-Unis (Boogie Hotel Studios, Port Jefferson, New York Kingdom Sound Studios, Long Island, New York The Automat – Studio C, San Francisco, Californie). Sandy Pearlman a aussi participé aux sessions, il a travaillé à San Francisco. On avait réussi à convaincre Randy Jackson de jouer de la basse sur « Shooting Shark » et c’était vraiment bien, il travaillait avec Journey à cet époque. On a pu le persuader de jouer sur une de nos chansons ce qui nous a vraiment fait plaisir.
Vous avez repris « Born to Be Wild » (Steppenwolf) sur On Your Feet or on Your Knees qui est la référence pour tous les Hell’ Angels mais aussi les motards du monde entier. Eric Bloom (chant/guitare) arrivait en Harley Davidson sur scène. D’où vient cette fascination pour les motos ?
Oui, c’est surtout Eric qui est passionné de Harley, il adore les motos en général. Tout a commencé à Los Angeles, on a eu cette idée de reprendre ce standard en concert bien avant d’ailleurs de sortir des albums. Mais pour nous c’était très naturel de jouer ce morceau.
En 1988, Imaginos fut un album concept très ambitieux construit autour d’une histoire conçue par le producteur et parolier Sandy Pearlman qui vous a demandé une gestation très longue et compliquée, n’est-ce pas ?
Oui, c’est un projet qui est née de l’idée de Sandy et de notre batteur Albert Bouchard. L’histoire a été écrite par Sandy qui s’est chargé de tous les textes, il a toujours voulu en faire un album complet depuis nos débuts mais on résistait. On n’était pas très chaud pour enregistrer ces morceaux, on voulait écrire nos propres chansons, ce n’était pas dans notre esprit et cela a pris du temps pour nous convaincre. En 1981, lorsqu’Albert Bouchard a quitté la formation en 1981, Sandy nous en a reparlé et a voulu qu’on travaille dessus. Il a fallu encore quelques années avant que nous puissions enfin le sortir en 1998.
Pour Cultösaurus Erectus, vous avez travaillé avec Martin Birch (Deep Purple, Rainbow, Black Sabbath, Iron Maiden, Whitesnake, Michael Schenker Group…) à la production. Étiez-vous lors de cette période à la recherche d’un son plus heavy après l’échec de Mirrors qui était nettement plus commercial ?
Martin a été fantastique, c’était une personne merveilleuse et aussi très talentueuse, il était ingénieur et producteur. Ce n’était pas une production plus heavy que nous recherchions mais plus rock, il avait sa version en tête et il nous a amené dans la bonne direction de nombreuses fois, je pense. Ça a donné deux très bon disques. Avec lui tout était très bien, il a fait du bon travail. On voulait qu’il nous apporte son propre style. Il avait travaillé avec Black Sabbath sur Heaven and Hell juste avant notre disque Cultösaurus Erectus. On adorait le son de cet opus.
Vous avez d’ailleurs tourné avec Black Sabbath sur le Black and Blue tour !
Oui et on a apprécié ! La raison de cette tournée est très simple : pour une période assez courte Sandy Pearlman a été le manager de Black Sabbath et l’idée est née de monter cette tournée, c’était pour nous très logique de tourner ensemble. La tête d’affiche variait en fonction de la popularité de chaque combo dans les villes où nous jouions, donc on alternait.
On vous qualifie souvent de formation de heavy metal alors que vous touchez à de nombreux style très variés en ayant un son rock ou heavy ! Vous êtes plus proches du classic rock en fait ?!
On a débuté en jouant un rock psychédélique et par la suite on a été qualifié de heavy metal ce que nous ne sommes pas. En fait, lorsque on a débuté, on nous a donné ce qualificatif qui n’existait pas vraiment car on était très heavy mais bien loin de ce que l’on connait aujourd’hui. Ce n’était pas le même heavy metal et c’est vrai que personne ne sonne comme nous et aucun combo ne nous ressemble.
Est-ce qu’il y a un opus emblématique qui serait le plus représentatif de votre style ?
Je ne sais pas car on sonne différemment sur tous nos disques. On est facilement identifiable toutefois lorsque tu entends un de nos titres, tu nous reconnais immédiatement. Peut-être Fire Of Unknown Origin ou Agents Of Fortune, c’est difficile de choisir. La référence pour notre public, c’est Secret Treaties qui est reconnaissable entre mille. Je n’ai rien signé sur cet opus mais la voix et le son de Blue Öyster Cult sont bien présents.
Kiss a annoncé en 2023 qu’ils arrêtaient de tourner. As-tu été surpris par leur décision ?
Non, c’est classique, personne n’est éternel et ne peut continuer indéfiniment.
Sur votre deux premiers albums (Ndlr : Blue Öyster Cult/1972, Tyranny and Mutation/1973), on ne voyait pas vos visages mais uniquement votre logo la croix de kronos également surnommé « hook and cross » dessinée par Bill Gawlik qui a aussi conçu les pochettes. C’était-ce une stratégie de votre part pour n’être qu’une entité musicale ?
On ne se préoccupait pas de ce type de problème à nos débuts, on n’essayait pas d’apparaitre dans la presse ou les magazines. On voulait instaurer une certaine vibration sans que nos personnalités n’interviennent. À la base, c’est Sandy Pearlman qui voulait que nous apparaissions avec une image mystérieuse, une énergie venue d’ailleurs.
Qu’as-tu envie de dire à propos de Ghost Stories qui te parait si important aujourd’hui à la veille de votre fin de carrière ?
Il contient des titres qui ont été enregistrés par notre line up original, c’est un clin d’œil à notre histoire, on souhaitait montrer comment nous étions à cet époque. Je voulais aussi saluer tous nos fans français et tous ceux qui nous apprécient depuis longtemps, on espère venir en Europe.
Vous avez prévu de venir en France prochainement ?
Oui, je l’espère. Nous viendrons si cela a un sens, si nous pouvons nous en sortir financièrement, il faut aussi que notre venue sur le Vieux Continent soit rentable.
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