DARK FUNERAL : Apocalypse now

Au rayon des sorties black metal scandinave, on ne peut pas dire que ce soit la panacée dernièrement. Excepté le retour d’Unanimated à l’automne dernier, et en attendant les prochains Watain et Marduk cette année, il semblerait que le genre suédois s’éteint peu à peu, les nouvelles formations ne faisant que rendre hommage finalement à leurs aînés… Parmi les vétérans, Dark Funeral fondé en 1993 à Stockholm, garde le cap dans les ténèbres. Nos cinq chevaliers de l’Apocalypse livrent aujourd’hui un septième péché capital dans leur discographie, mêlant habilement traditions et innovation, tout en piochant dans la légende de Dracul Vlad Tepes comme le groupe de Stockholm l’avait déjà fait par le passé. [Entretien avec Andreas « Heljarmadr » Vingbäck (chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]

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Comment vas-tu personnellement en ces temps sombres pour la musique, et ce, à quelques mois de la sortie de votre nouvel album We Are The Apocalypse ? (Ndlr : entretien réalisé le 27/01/2022) Quel est ton sentiment aujourd’hui ? Es-tu impatient, excité, ou plutôt fatigué et frustré?
Eh bien, on est pas mal occupé à vrai dire avec la promotion de ce nouvel album, et je pense que c’est une bonne chose. On est prêt à jouer live. Comme tout le monde, on a la rage de pouvoir repartir dès que possible. Ces deux dernières années, on ne fait que croiser les doigts pour repartir en tournée sur les routes. On s’est débrouillé l’an dernier pour donner tout de même un concert de Dark Funeral ici en Suède, mais tout le reste des concerts sinon fut annulé à cause de cette merde de covid-19. Même si l’on n’avait pas de grande tournée de prévue, le précédent album remontant à 2016, donc ça aurait pu être pire. Finalement, le timing est bon pour nous car on en a profité pour créer ce nouvel album sans pression, sans stress…

Et contrairement à d’autres groupes de black metal, Dark Funeral a toujours été un acteur live donnant des concerts aux quatre coins du monde, en Amérique du Sud, du Nord, en Europe et même en Asie…
Tout à fait, on se produit en concert autant que possible, partout où l’on peut jouer, en tournée ou en festival. Et on n’est pas non plus du genre à rester sans rien faire les bras croisées… (sourires)

Avec le temps, Dark Funeral a peu à peu espacé ses sorties d’album studio, avec une période d’environ quatre à cinq ans, alors qu’au tout début, même si tu n’étais pas encore dans le line-up, le groupe de Lord Ahriman produisait en moyenne un nouvel enregistrement tous les deux ans durant les années 90. Il semblerait que vous prenez davantage votre temps de nos jours ?
Oui. Disons que c’est comme ça que l’on travaille à présent, en effet, car on ne veut pas publier un nouvel album ou EP dont on n’est pas totalement satisfait à 100 %. On veut être sûr de la qualité, et ne pas éprouver de stress. Si tu es stressé, tu n’es pas productif à 100 % sur tout ce que tu fais. Alors si ça doit prendre plus de temps, on prend le temps nécessaire.

Pour les fans de black metal, et de metal en général, la sortie d’un nouvel opus de Dark Funeral, c’est comme un nouveau Mayhem, Marduk, ou Immortal ou bien encore Darkthrone : c’est un rendez-vous, comme un évènement attendu?
Je vois ce que tu veux dire. Bien sûr, et ce n’est pas propre au black metal. Par exemple, dans le thrash metal, un nouvel album de Sodom, Kreator, Exodus, ou autrefois Slayer : c’était toujours un évènement que tu attends avec impatience, mais il ne faut pas non plus trop en faire si tu veux sortir régulièrement quelque chose de qualité. Quand je regarde les albums parus l’an dernier, si je veux faire un Top 10 en 2021, c’est pas évident car finalement il y a eu de nombreuses sorties d’albums, et certains albums n’ont pas eu toute leur reconnaissance car ils ont été noyés parmi la masse de publications sur internet…

Dark Funeral Band
Andreas « Heljarmadr » Vingbäck, chanteur de Dark Funeral depuis 2014

Au fait, d’où vient ton pseudonyme Heljarmadr qui n’est pas si facile à prononcer et quelle est sa signification ? Il me semble qu’un « jar » était un seigneur, comme un lord, chez les Vikings, non ?
Oui, enfin plus ou moins ici. Cela vient d’un ancien mot scandinave inspiré par la mythologique nordique. Ça veut dire : « l’homme attaché aux enfers », « celui qui appartient à l’enfer », ou alors aussi « le chien gardien des enfers ». En fait, cela varie selon les mythologies, comme Charon, le passeur du Styx, ou bien Cerbère, le chien des enfers chez les Grecs. Mais appelle-moi Andreas si tu veux si pour toi c’est plus simple… (sourires)

Peut-on revenir sur ton intégration dans Dark Funeral en 2014 ? Le précédent album Where Shadows Forever Reign fut en fait ton premier enregistrement studio avec le groupe. Ce fut un disque très classique dans le pur style black metal suédois de Dark Funeral…
Hum… Disons que ça c’est plutôt passé ainsi : quand je suis arrivé en 2014 au sein de Dark Funeral, le groupe avait vraiment besoin de retrouver une certaine stabilité. Il y avait eu pas mal de mouvements au poste de chanteur à la suite du départ d’Emperor Magus Caligula, qui était revenu plus ou moins pour les concerts après son départ et celui de Nachtgarm ensuite. Il fallait reconstruire le socle de Dark Funeral afin de repartir sur de bonnes bases et composer ensuite un nouvel album au calme. Voilà pourquoi on a fait cet album Where Shadows Forever Reign à la pochette habituelle et dans le style musical classique de Dark Funeral. On s’est retrouvé, en tant que groupe, unité, en revenant à nos racines. Maintenant que le line-up s’est stabilisé, on peut voir plus loin, regarder ailleurs, explorer, et se projeter ensemble. C’est ce que l’on a fait, je pense, avec We Are The Apocalypse, sans pour autant se forcer à faire quelque chose que l’on n’aimerait pas.

Ce titre d’album, We Are The Apocalypse, a-t’il été inspiré par la pandémie et ses conséquences sanitaires, sociales, économiques mais aussi culturelles que nous traversons depuis deux ans dans le monde ? Vois-tu là en cette pandémie et ces nombreux morts comme un signe chrétien de début d’apocalypse ?
Non, pas du tout. La chanson-titre et donc le titre du nouvel album ne sont pas nécessairement liés à aujourd’hui, c’est plus une chanson biblique finalement, à propos de l’Armageddon ou de l’Apocalypse donc. Mais pour autant je ne la mets pas dans le contexte actuel ici lié au covid-19. Cette épidémie que nous connaissons n’est pas non plus la peste, ni la lèpre, on peut difficilement comparer à ces maladies mortelles souvent interprétées dans notre histoire comme l’Apocalypse. Attention, bien sûr il y a eu et a encore des morts, et je respecte ça, mais ce n’est pas comparable. Je ne crois pas que ce soit çà l’Apocalypse maintenant. Mais chacun y voit sa propre interprétation. Beaucoup dans les interviews dressent déjà forcément ce parallèle mais non. Je n’écrirai pas sur ce putain de virus. Par contre, en concert, quand nous serons tous réunis, ensemble ce sera alors l’Apocalypse… (sourires)

Le premier single « Let The Devil In » a plutôt surpris par son orientation mid-tempo et lourde, et son vidéo clip très sombre et sanglant. Disons que ce n’est pas du Dark Funeral rapide comme nous y sommes habitués et que nous attendions. Quelles sont les réactions des fans et quel était votre but avec ce premier extrait détonnant et en fait assez représentatif de l’orientation de Dark Funeral sur ce nouvel album qui est assez contrasté ? J’ai trouvé sur le single « Let The Devil In » un certain groove plus typique du black norvégien…
Il y a en effet de nouveaux éléments… Comme je le disais, on a exploré et apporté par conséquent de nouvelles choses sur We Are The Apocalypse, comme quelques passages de guitare acoustique, des rythmes différents, plus lents ou mid-tempo. De mon côté, j’ai essayé aussi d’expérimenter divers chants avec ma voix, des narrations par endroit… Sur ce premier titre, « Let The Devil In », c’est froid, morbide, sanglant, très sombre, et c’est ce que l’on voulait quand on a filmé ce clip réalisé à Wroclaw en Pologne par Grupa 13. L’autre exemple peut-être est la chanson « Nosferatu », où il y a des spoken words que j’ai faits, ce qui est assez nouveau pour moi. Tout dépend de l’inspiration et du rendu, s’il y a un intérêt. Mais, en fait, Dark Funeral en avait déjà utilisé sur son premier album The Secrets of the Black Arts en 1995, avec le chanteur d’alors, Themgoroth…

As-tu été davantage impliqué cette fois dans le processus d’écriture sur ce second enregistrement avec Dark Funeral ? Par exemple, est-ce toi qui a écrit les paroles de ce nouvel album We Are The Apocalypse ?
Oui, j’ai en effet écrit tous les textes des chansons sur We Are The Apcalypse. Quand j’ai rejoint Dark Funeral en 2014, les deux seules chansons que j’avais pu écrire furent « Nail Them to the Cross » et « Temple of Ahriman » même si les idées et concepts étaient déjà posés par Lord Ahriman. C’est tout. Mais cette fois, j’ai tout écrit, et disons que c’est la continuité de ce que j’avais commencé sur Where Shadows Forever Reign. Je pense que l’on a trouvé un chemin et on continue à l’explorer.

La chanson « Nosferatu » est très réussie. Comme c’est toi qui en a eu l’idée, voulais-tu rendre hommage ici au film culte Nosferatu de Murnau de 1922 ? Connais-tu la version de Nosferatu, Fantôme de la nuit, par Werner Herzog de 1979 avec les acteurs Isabelle Adjani et Klaus Kinski ?
Non, je ne l’ai jamais vue. Quand j’ai écrit, j’avais en tête les anciens morceaux de Dark Funeral comme « Ravenna Strigoi Mortii », « The Birth of the Vampiir » ou « Shadows Over Transylvania » par exemple, et je voulais exprimer ce sentiment maléfique mais sans le côté mielleux et romantique de l’idée de vampire qu’Hollywood a véhiculé ces dernières années (Twilight, etc.) et dernièrement le remake de Nosferatu paru en 2019 sur Netflix. Cette nouvelle version gothique me répugne totalement, on est loin de l’idée originelle du personnage du comte Dracula, Vlad Tepes… Et durant ces deux dernières années à cause de l’épidémie de covid-19, j’ai eu largement le temps de revisionner de vieux films sur ce thème dont cette adaptation qui m’a donné envie de rendre hommage à ce suceur de sang. (rires)

Alors tu n’aimes pas le personnage de Dracula du célèbre roman de Bram Stocker et de la superbe adaptation au cinéma de Francis Coppola ?
C’était bien quand c’est sorti au cinéma dans les années 90, j’aimais bien. Mais maintenant non, je n’aime plus car c’est trop gothique, romantique, même si ça reste un chef d’œuvre du cinéma. A présent, je trouve ce côté romantique et amoureux totalement désuet. Rien à voir donc avec Nosferatu en noir et blanc bien glauque de Murnau d’il y a un siècle… J’avais envie de rendre justice à l’idée même de vampire et du mal originel. Je voulais donc ici une chanson froide, terrifiante, comme l’est le film Nosferatu de 1922.

La chanson-titre « We Are The Apocalypse », placée en fin d’album, est vraiment brutale et explosive. C’est le clou final. Clôturera-t’elle vos shows à venir sur scène ?
On s’interrogeait justement au sein du groupe quelle sera la dernière chanson dans le track-listing de l’album, et on a décidé que ce serait la chanson-titre justement. En fait, la plupart des chansons de l’album sont visuelles d’une certaine manière à travers mes paroles. Elles ne sont pas répétitives et chacune possède son histoire, son atmosphère, et les auditeurs pourront facilement les imaginer à leur façon, comme des titres de film en fait. (sourires)

Au niveau de la production sonore et de l’enregistrement, vous avez de nouveau travaillé avec le célèbre producteur mais dans le studio  de Messhugah en fin de compte, pourquoi ce changement de lieu ?
Les Dug Out Studios à Uppsala n’existent plus en fait, je crois. On a donc enregistré chez Fredrik Thordendal dans son studio 33, mais avec le producteur Daniel Bergstrand. Fredrik était l’assistant ingénieur du son en fait.

Fredrik t’a-t’il fait écouter au passage son nouvel album de Meshuggah, Immutable, par hasard, qui paraît chez Atomic Fire Records ?
Non, malheureusement, pas eu l’occasion.

Lors de mon dernier entretien avec Lord Ahriman, quand je lui avais fait la remarque que le son de Dark Funeral était très propre pour du black metal sur votre précédent album Where Shadows Forever Reign, il m’avait répondu que de nos jours, c’était la moindre des choses de sonner correctement tout en restant puissant, et que le son sale et cru d’antan n’avait plus cours car nous n’étions plus au début des années 90’s, et que les technologies avaient évolué, et par respect envers les fans auditeurs. Partages-tu aussi de cet avis ?
Je rejoins absolument Lord Ahriman, tout à fait d’accord. Une chanson peut très bien être bonne qu’elle possède un bon son ou un son brut, sale. Pour autant, je ne pense pas quand les gens disent aimer une chanson, peu importe qu’elle soit propre ou brute. Mais une chanson bien produite et sonorisée sera plus écoutée et appréciable, et c’est d’autant plus difficile pour un musicien de bien la jouer et de s’appliquer.

Cela met en fait plus de pression au musicien sur son interprétation en studio car tout ce que tu feras de manière fausse sera entendue et ne sonnera pas bien, gâchant tout. Et c’est la moindre des choses que l’on peut faire envers nos fans, comme tu dis en citant notre guitariste Lord Ahriman. Tu vois, si j’avais à choisir entre une bonne guitare et une mauvaise, ou bien dans mon cas, en tant que chanteur, un bon micro ou un mauvais micro qui dysfonctionne ? Tu choisirais le bon matériel, alors c’est pareil. En résumé, c’est comme entre choisir une fille jolie et une fille moche : laquelle choisirais-tu ? (rires)



Quelle serait ta définition du black metal aujourd’hui et comment vois-tu son avenir sur la scène suédoise ?
Comme déjà évoqué plus ou moins, je pense que pour le futur du black metal dans la musique, hum, disons que j’aimerai toujours ramener ce feeling, faire vivre ce sentiment rebelle et fougueux des années 90 mais avec une certaine évolution. On parlait de production sonore d’ailleurs, par exemple. Après, personnellement et ce n’est que mon avis, beaucoup de nouveaux groupes de maintenant veulent sonner comme d’autres groupes d’auparavant, se copiant les uns les autres, et c’est leur but. Du coup, tout se ressemble et cela manque de personnalité. Je pense que chaque groupe doit se trouver et sonner comme il a envie mais à sa manière, rester soi-même, avec son propre style, rester créatif. C’est quelque chose que je constate et qui manque du coup sur la scène quand j’écoute de nouveaux groupes qui veulent sonner comme les anciens groupes black metal norvégien ou suédois des années 90. Et c’est dommage. Il y a une génération qui se cherche mais ne crée pas.

En plus, il n’y a plus autant de renouveaux en matière de groupes de black metal en Suède ces dernières années, je trouve…
Oui, il y a un manque. Les nouveaux musiciens ont peur de sonner différemment, d’être catalogués ou ne pas être compris, d’être en dehors de la boîte… Alors ils copient les vieux groupes en restant dans ce qui existe déjà. J’avais lu une fois un article intéressant dans un magazine comme le tien, il y a très longtemps, une critique d’un album qui disait en gros que ce n’était pas terrible car pas original. Maintenant, c’est le contraire, il faut pour que ça marche et ce soit bon que ça ressemble à tel ou tel groupe de référence…

Enfin, avant de se quitter, as-tu encore des projets avec ton autre groupe toujours actif signé chez Avantgarde Music : Grá ?
Oui, je suis en train justement d’écrire de nouveaux textes pour un prochain album studio avec Grá. Les chansons sont composées en majorité et à l’état de démo, et j’achève les paroles donc. Ensuite, d’ici quelques semaines je vais enregistrer ma voix une fois les paroles finalisées. Je vais enregistrer aussi mes parties de guitare, et on doit encore enregistrer la basse. Et tu as raison, ça paraîtra bien chez Avantgarde Music.



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