DEVOUROR : Pure fucking Armageddon made in Singapore

Si pour nous, occidentaux, Singapour demeure une ville marchande exotique à l’autre bout du monde, au passé colonial chargé d’histoire, à l’instar de Taïwan dont la situation géopolitique est quelque peu tendue actuellement, question metal, ses habitants ne sont pas en reste. Certains bouillonnent même de projets plus diaboliques les uns que les autres. Sévissant depuis déjà trois décennies au sein d’Impety, le chanteur Shyaithan, exclusivement guitariste ici, a lancé ces dernières années Devouror, une nouvelle horde démoniaque dont l’attitude rappelle la furie d’Angel Corpse. Sur leur premier brûlot, ils rendent ainsi hommage à la vieille scène death/black américaine et européenne du début des années 90, et ce, avec dévotion. [Entretien réalisé avec Ariffeen Deen alias « Shyaithan » (guitare, fondateur) par Seigneur Fred – Photos : DR]


Comment est né Devouror en 2018 alors que tous ses membres sont déjà impliqués dans d’autres groupes plus importants à Singapour ou en Australie ? Doit-on considérer Devouror comme un véritable groupe live, ou juste un side project en parallèle de vos autres groupes principaux respectifs (Impiety, Depravity, etc.) ?
A la base, il y a beaucoup d’amour pour les vieux jours du death métal, tu sais. Possessed, Xecutioner/Obituary, Massacre, Death, Poison (Allemagne), etc. en plus de Sarcofago et d’autres. Alors je voulais créer une entité séparée qui ne parlerait que de la fureur du death métal du début des années 90. Cela m’a amené à lancer la horde démoniaque de Devouror. Impiety a énormément progressé au fil des ans et musicalement, il restera techniquement rapide et mortel. Les deux s’opposent l’un à l’autre ! C’est un défi de trouver des musiciens expérimentés de death/black métal pur et dur, tu sais, mais je suis vraiment heureux que nous nous soyons réunis tous les cinq malgré nos horaires chargés avec d’autres groupes, comme tu le dis, et avec le travail/les emplois quotidiens de chacun également. Certains l’appellent un projet, mais c’est une entité à temps plein comme avoir deux femmes à la fois, je dirai à titre de comparaison, ha ha ! (rires) Bien que la plupart d’entre nous soient également occupés avec nos autres groupes, il est temps de s’engager également pleinement dans Devouror à présent. C’est aussi comme ça qu’on gère son emploi du temps et qu’on est pro-actif. (sourires)


Impiety a signé récemment avec Listenable Records et c’est la même chose pour Devouror. Pourquoi ce choix de contrat d’enregistrement pour tes deux groupes de métal si éloignés de l’Europe et de la France ? N’y a-t-il pas de bon label (comme Metal Zone Rec.) à Singapour, en Malaisie ou en Asie plus généralement comme là où tu as sorti ton EP Slay for Satan en 2018 ? Est-ce dû peut-être à vos connexions françaises depuis l’ère Osmose Productions avec Hervé Herbaut et la France en général dans le passé avec l’album d’Impiety, Kaos Kommand 696 sorti en 2002 sur Osmose Prod. ?
Oui, en effet, la France revêt cette place spéciale dans nos cœurs depuis la fin des années 80 et 90. On est toujours en contact avec tant de fanzines et de groupes de métal underground. Je connais Laurent Merle depuis qu’il était rédacteur en chef de Peardrop et S.D.U. fanzine. Bien que nous soyons restés amis pendant si longtemps, ce n’est que maintenant que nous avons eu la chance de travailler avec eux, en signant d’abord avec Devouror en fait, puis récemment avec Impiety. Les labels asiatiques ici sont également bons, mais la distribution à l’étranger est difficile en raison de la hausse des coûts d’expédition pour les produits physiques, etc. Mieux vaut signer sur un label en Europe ou aux États-Unis à mon avis, puis faire distribuer l’album en Asie. Le monde underground du metal ici est encore plus petit contrairement aux industries européennes et américaines. Aucune comparaison.

Devouror est donc basé à Singapour mais votre batteur très actif Louis Rando alias « Dizaster » est australien, et vit à Perth (côte ouest de l’Australie). N’est-ce pas un problème de répéter tous ensemble avant de partir en tournée et de jouer en live avec Devouror  ?
J’ai beaucoup d’admiration pour Dizazter ! Il vole pendant quatre heures à chaque fois pour venir jusqu’à Singapour, reste avec moi, puis nous répétons tous les jours pendant deux-trois semaines avant de s’envoler pour des concerts et des enregistrements. Avant cela, je lui envoie bien sûr les pistes à préparer. Ce n’est pas une tâche facile et c’est un énorme sacrifice de sa part, mais Dizazter est un excellent joueur d’équipe et vraiment dévoué à notre cause ! Les autres comme Hades (chant), Asura (guitare) et Cryptor (basse) sont basés ici, à Singapour, donc on se retrouve tous ainsi aux répétitions.

A propos de la conception et de l’enregistrement de Diabolos Brigade maintenant. Où avez-vous composé, écrit et enregistré ce premier album studio car le son est très bon, puissant, propre mais pas trop moderne ? Comment avez-vous travaillé pour le concevoir : ensemble en jammant dans un studio à Singapour avec un procédé live et old school, à l’ancienne en analogique, ou bien chacun travaillait et enregistrait derrière son ordi avec un home studio et vous donniez tous les morceaux à un producteur responsable du mixage de toutes les pistes de chacun en studio ?
C’est 666% bio !! (rires) Tout a été répété et enregistré ici, au Studio 47 à Singapour. Le processus à l’ancienne est le seul moyen ! Un groupe doit toujours jouer et répéter ensemble. Aujourd’hui, un certain nombre de nouvelles formations se rencontrent et enregistrent en ligne. Leur choix pourrait fonctionner mais ce n’est pas comme ça qu’il faut pour nous.

Comme déjà évoqué, Devouror est basé à Singapour. Tu sais, en Asie, encore de nos jours, un groupe de metal comme Napalm Death est toujours interdit de se produire live au Vietnam à cause de son nom… Alors, par chez vous, connaissez-vous ou ressentez-vous des formes de censure là-bas avec Devouror (ou Impiety) ? Rencontrez-vous des problèmes avec les religions locales (Christianisme, Islam…) ou autorités politiques quand tu joues ta musique live pour tes concerts à Singapour, ou bien toute autre forme de censure, que ce soit aussi sur internet ou pour tes artworks et paroles qui traitent de Satan, de la débauche, du mal et de la mort en général, bref, l’opposé du « politiquement correct » ? (rires)
Impossible de dire exactement quand les autorités arrêtent ou empêchent un concert alors que le monde devient encore plus sensible, enfin essaie, de s’intéresser aux sentiments humains. Putain, toute cette merde ! Le Conseil des Églises de Malaisie a empêché Devouror de se produire en Malaisie et à Singapour en 2019, mais nous l’avons fait et avons quand même joué en Malaisie dans un lieu secret… C’est comme ça. Il y a encore ceux qui craignent le black et le death métal ici en pensant que cela influencera l’humanité jusqu’au cœur, et c’est comme si nous n’avions pas tous un cerveau pour penser. L’art satanique est tabou ici et les gens ici ne voient pas l’image plus largement, et restent étroits d’esprit. La censure n’est pas un problème mais la performance scénique l’est. Donc, compte tenu de tout ce que j’ai mentionné ci-dessus, il n’y a aucune garantie qu’un spectacle en Malaisie ou à Singapour puisse toujours bien se dérouler. La Thaïlande et l’Indonésie sont plutôt ouvertes et je suppose que le death et le black metal y sont ouvertement acceptés. Les gens apprécient le metal, et reconnaissent sa forme d’art.

Le premier titre baptisé « Sebatan 666 » de Diabolos Brigade débute par une introduction de la 9ème symphonie de Beethoven utilisée dans la célèbre bande originale du célèbre film Orange Mécanique (Clockwork Orange en V.O.) de Stanley Kubrick. As-tu justement l’intention d’ouvrir tes prochains shows de Devouror avec ce titre pour t’attirer encore plus les foudres des autorités locales ? On peut y voir une sorte de message anarchiste ou un sentiment de folie supplémentaire ici peut-être, non ? (rires)
Je suis content que tu l’aies remarqué ! Oui, d’une certaine manière, et avec le fouet sauvage du Christ l’amenant à genoux et alors commence notre vision cruelle d’une crucifixion sans fin et brutale ! J’apprécie parallèlement aussi la musique classique : Chopin, Bach, Tchaïkovski, Mozart etc. Je me suis dit que ce serait parfait pour ajouter une petite touche de classe et de finesse à la persécution en cours du sacré ! Suis-je mal en train de faire ça ? Oui ! (sourires)

Si l’on observe bien le track-listing de Diabolos Brigade, le titre de chaque chanson peut être lié à un groupe de métal old school des années 80 ou 90, représentant certaines de vos influences musicales. D’une certaine manière : chaque titre de chanson pourrait être une référence à un groupe célèbre. Par exemple :
#3 : « Vulgar Necrodeath » – > en référence à Necrodeath (thrash/black metal – Italie) ;
#4 « Wrath Angel » -> Dark Angel ou Death Angel (tous deux thrash metal/USA) ;
#7 « Supersonic Satanas » -> pourrait être une chanson de Venom ! 😉 ;
#8 « Ritualized Debauchery » – > Debauchery (death metal/Allemagne)
#9 : « Bestial Deathcult Warfare » -> Slayer ou Venom, etc.
Alors qu’en penses-tu ? Es-tu d’accord avec mon analyse ? C’était l’un de tes objectifs lors de l’écriture et de la composition des morceaux de l’album ?

Ha ha ! (rires) Putain, tu as un esprit très sombre mais créatif ! Je n’y ai jamais pensé pour être honnête, ha ha… (rires) Je suis juste allé au fur et à mesure que le flux des choses me venait à l’esprit. En effet, ces groupes que tu as mentionnés font tous partie de notre évolution musicale, et nous maintiennent, jusqu’à ce jour, toujours aussi passionnément impliqués dans le métal du diable. Mais il se pourrait bien aussi que je pensais inconsciemment à tous ces groupes cultes à l’époque, en fait. Ha !! (rires)

Impiety existe depuis 1990 et Devouror depuis 2022. Selon toi, quelles sont les principales différences entre les deux groupes car on y trouve tout de même de grandes similitudes et influences comme Possessed, Sarcofago, Venom, Hellhammer, Angel Corpse…, non ?
Impiety sera toujours une mort noire post-moderne techniquement rapide, et mortelle, penchant plus vers le death metal. Le dernier album Versus All Gods était vraiment bon et je suis content que tout se soit bien passé, nous avons cependant souffert du fait que le label qui avait l’intention de travailler avec nous a pris les choses à la légère. Nous avons fini par payer nous-mêmes la promotion… Il a souffert à cause de cela. Mais j’ai hâte maintenant avec Listenable Records et nous écrivons déjà le dixième album studio. Et c’est un putain de défi, crois-moi ! Pour revenir au fond de ta question, eh bien, contrairement à Devouror qui est plus facile, Impiety est plus complexe. Pourtant, les deux sont proches l’un de l’autre et c’est pourquoi j’essaie toujours de créer différemment pour que les deux ne se heurtent pas. Je suis content que Devouror forge sa propre identité maintenant, et la nouvelle offrande Brigade Diabolos le prouve déjà !

Ce que j’aime particulièrement chez Devouror, c’est cette attitude maléfique et cette énergie authentique qui vient du feu des enfers, que ce soit sur disque, comme, je suppose, sur scène et d’après ce que j’ai déjà vu live sur YouTube… Où trouves-tu ton inspiration musicale et cette incroyable énergie personnellement ?
Je suis un bâtard malade, tyrannique et impitoyable qui a besoin de conseils psychologiques et d’aide. J’aimerais parfois être un guerrier d’une tribu barbare du temps du Moyen-Âge luttant pour le sang, etc. Peut-être suis-je la réincarnation d’un être terrifiant victorieux qui a vécu des siècles auparavant dans cette époque moderne où les gens chantent encore avec des fleurs, aiment leurs voisins, et adorent  consommer le temps d’un voyage au supermarché ou cherchent l’amour sur internet. Putain, cette merde. Quel triste monde ! L’être humain ne pense plus par lui-même ! Je suppose qu’être dans le métal depuis si longtemps et aimer ce que je fais, en marchant sur le chemin de la main gauche, a consolidé en moi toute cette énergie impie, me permettant de conquérir sans relâche année après année avec mes groupes et de faire des tournées et sortir des albums, etc. avec passion et dévouement. Je ne crée et ne compose pas de musique pour convenir au public, mais pour apaiser mon âme et apporter plus de dégâts et de mal à l’univers. Espérons que les extraterrestres comprennent tout cela un jour… (rires) Là où il y a naissance, il y a aussi mort et destruction. Je prospère dans les ténèbres et l’impureté. Et je pense que je vais rester longtemps comme ça ! (sourires)

Mais en 2022, ne crois-tu pas que cela sonne un peu stéréotypé de toujours parler de la mort, de Satan, de la guerre, du mal, de la sodomie, du christianisme, de Jésus-Christ (on peut voir sur les nouvelles illustrations de Diabolos Brigade) et des trucs comme ça ? En fait tu as envie de perpétuer une sorte de tradition dans le métal extrême old school qui est typique du thrash, du death et du black métal, ce qui est tout à ton honneur, bien sûr ? (sourires)
Cliché tu veux dire ??! Je suppose que cela dépend de la façon dont tu te places et regardes, il faut voir ça dans une perspective plus large. Pour moi, je souhaite seulement chérir les vieilles manières du black et du death métal. Et le faire n’est pas si facile de se démarquer du reste de tous ces autres groupes au son de métal extrême old school. Il y a évidemment des éléments intéressants à noter injectés dans notre musique, donc ce n’est pas juste une copie Xerox d’un autre groupe ou un culte d’idole dans une seule direction. Devouror a sa propre direction sonore et musicale. C’est pourquoi, lorsque je compose, j’essaie de garder mon esprit à l’écart d’autres influences afin que ce que je crée affiche de l’originalité plutôt que de la similitude. Ce n’est pas facile, mais je sais que je suis capable de le faire. Lyriquement, nous sommes toujours coincés dans le temps, sodomisant une chèvre, avec un bouc, etc. Éjaculer sur le visage d’une nonne tout en déchirant son trou du cul poilu ou castrer et disséquer un prêtre est toujours une chose cool à raconter, n’est-ce pas ?! Ha ha ! (rires) Ce qui nous amène bien sûr au titre « Evil Has No Boundaries » (Slayer) !

Avant de conclure : votre premier concert a eu lieu le 21 avril 2019 à Kuala Lumpur, en Malaisie, et nous pouvons vous voir sur quelques photos promotionnelles prises live en noir et blanc (et rouge). Vous avez l’habitude de jouer avec des masques, des ceintures avec cartouchières, des corpse paints, du cuir, des pics, et autres protections. Encore une fois, c’est une sorte d’héritage de groupes de métal du passé comme Hellhammer, Mayhem, Possessed, Sodom, etc. Alors, comment résumer un concert de Devouror ? A quoi peut-on s’attendre quand on écoutera Diabolos Brigade en live ?
On aimerait certainement ajouter le feu et les femmes nues (si possible mais c’est un challenge et un budget ! (rires)). Mais en effet, nous gardons une identité proche de la tradition : laid, bruyant et grossier! Parfois, cela dépend du lieu, si par exemple nous devions utiliser des têtes d’animaux, seulement en Thaïlande ou aux Philippines, ce sera plus facile à gérer par rapport à d’autres pays ici. Une chose est sûre, nous serons plus créatifs et destructeurs sur scène. Alors attendez-vous à l’inattendu avec Devouror !


A présent, il est temps de conclure : que veux-tu ajouter sur ce nouveau premier album studio de Devouror, et peut-on espérer te voir bientôt en concert en Europe (s’il n’y a pas une troisième guerre mondiale d’ici là…) et surtout en France ?
Diabolos Brigade est définitivement ce que tout le monde attend avec impatience et Devouror marquera son empreinte profondément dans la chair ! Nous espérons lancer une tournée asiatique plus tard cette année 2022, ou au début de l’année prochaine. La France est l’un des pays où j’ai aimé jouer par le passé, alors voyons si Devouror peut également rejoindre des festivals. Merci pour le rituel de l’interview, Fred, et j’espère te voir un jour dans l’enfer de l’Asie du Sud-Est ! 666 !!!


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