DOODSESKADER : L’honnêteté comme étendard

Duo belge composé du bassiste d’Amenra, Tim De Gieter et du batteur Sigfried Burroughs, Doodseskader est l’une de ses formations attachantes qui ne triche pas et se sert de ses expériences passées pour nourrir son propos et vider un trop-plein d’émotions. A la fois introspective et inspirée, sa musique totalement contemporaine sert un concept original avec la sincérité et l’énergie de ses protagonistes comme fils conducteurs. [Entretien avec Tim de Gieter (basse/chant/samples) par Norman Garcia – Photos : Diana Lungu]

DOODSESKADER

Avec tous vos projets musicaux (toi avec Amenra et Every Stranger Looks Like You), et Sigfried (avec Kapitan Korsakov et Paard), où trouvez-vous tout ce temps pour créer encore plus de musique ?
En fait, il n’y a pas véritablement de secret, on bosse juste comme des malades. Tu vois depuis quatre à cinq mois, je dois être entre quatre et six heures de sommeil par nuit seulement. J’espère que cela va se calmer bientôt, mais pour l’instant, pas de repos en vue. C’est par contre vraiment un choix de notre part, sachant que pour le moment Doodseskader est la priorité de Sigfried, je pense, et me concernant, j’ai cette chance que les gars d’Amenra me laissent la liberté d’avancer à côté sur Doodseskader, sachant que eux aussi ont des side-projects (Spineless, Absent in Body…). On arrive donc à se mettre d’accord dès qu’on travaille sur l’écriture de tel ou tel album, tu vois. On essaye de se donner l’espace nécessaire histoire que cela fonctionne. Tout ce qu’on entreprend est juste sincère, avec beaucoup d ‘émotions, c’est notre mentalité. Par contre, il a malheureusement fallu que j’arrête Predatory Void pour aussi pouvoir me consacrer à notre propre label, 45 Records.

Dans une récente interview, tu as évoqué vos prochains albums Year 3 et Year 4 alors que Year 2 est tout frais.Ces albums sont-ils déjà vraiment prêts ? Tout est en fait planifié, autour d’un concept, c’est ça ?
Oui, on a commencé le groupe avec une sorte de plan en tête. Avec Sigfried, on vient d’horizons musicaux très divers et même bizarres pour certains (rires), donc on savait que si on y allait direct sans rien planifier, ça n’allait pas fonctionner et les gens ne comprendraient pas forcément notre concept. On a donc commencé par un premier truc sludge teinté de grunge avec notre EP Year 0, sans véritable prod’, rien de spécial. On a enregistré le tout en trois jours pour seulement une demi-journée d’écriture, et une semaine de mixage. Year 0 c’est un peu comme le récit de notre jeunesse, l’histoire d’où on vient, vois-tu ? Et pour le suivant Year 1, on s’est dit qu’on allait mettre plus de prod’ et raconter comment on est arrivé jusque là. Pour Year 2, il y a encore plus de prod’, d’arrangement, et on s’ouvre à plus de genres, tu t’en apercevras en écoutant par exemple « Pastel Prison », le premier single.Il parle de nous, de notre histoire récente, centrée sur cette dernière année. Year 3 sera lui encore plus bizarre et ouvert, et Year 4 correspondra à la forme finale du groupe qu’on avait imaginé dès le premier jour de Doodseskader… mais il va falloir encore attendre pour cela ! (sourires)

Les guitares n’occupent pas une place prépondérante (même inexistante) sur ce nouvel et troisième opus. Cela veut-il dire que vous pensez que l’on peut faire beaucoup de bruit en se passant de cet instrument si essentiel dans le metal ?
Oui, notre approche est vraiment différente, loin de la standardisation que recherchent la plupart des gros labels. C’est vrai que maintenant, il est très facile d’obtenir une grosse distorsion en ne partant de quasiment rien. La vérité est que ni Sigfried, ni moi n’écoutons du metal, moi je n’en écoute jamais ni n’en ai l’envie d’ailleurs, mais j’ai quelque-chose en moi que je dois canaliser et évacuer pour avoir une vie la plus équilibrée possible. Il y a cette recherche d’un son très violent et dur qui m’est nécessaire pour exprimer mes émotions. Notre approche est clairement dirigée vers ça, je veux dire par là que nous cherchons à créer la bande-son de notre vie. C’est en quelque sorte notre biographie à nous.

Effectivement, votre musique reflète en fait qui vous êtes et dans quel état émotionnel vous vous trouvez au moment de composer…
On est dans l’instant présent en fait, le direct, on écrit à deux. On est par exemple ici dans le studio, Sigfried démarre à la batterie, je mets mes samples, je réarrange, il rejoue de la batterie dessus, puis moi la basse, le synthé, etc. En fait j’appuie sur « safe » uniquement quand nous sentons que le morceau est prêt. Et je me rends compte tout en t’expliquant cela que c’est peut-être la façon de faire la plus con possible au monde !!! Cela peut durer jusqu’à quatre heures parfois avant que je n’appuie sur ce foutu bouton de sauvegarde et qu’on donne un nom alors aux morceaux. D’ailleurs, le nom qu’on leur donne est vraiment important pour nous, c’est comme nommer un enfant qui aura sa propre personnalité. Il arrive même parfois qu’on ait le titre avant même d’avoir écrit car on sait à l’avance de quoi la chanson va parler. L’idée se trouve toujours dans le titre.

La chanson « Who Will Pour The Blood On Me », parue en novembre 2023, ne figure par sur votre nouvel album Year 2. Pourquoi ? Il me semble que vous êtes coutumiers du fait… (sourires)
C’est l’approche que l’on a de faire de la musique, tu vois, tu dois voir ça un peu comme un écrivain, qui dans le temps, après avoir écrit un bouquin et essuyé les critiques ou remarques des lecteurs déciderait de réfléchir sur lui-même et sur ce qui il avait écrit. Il prendrait alors la décision de publier un essai avant son second livre afin de créer un pont entre les deux bouquins… C’est un peu pareil avec nos albums, qui sont reliés par nos différents singles qui n’y figurent pas. On veut sortir du carcan standard commercial, qui serait d’ailleurs un suicide commercial pour nous. (rires)

Vous faites souvent aussi des reprises de hip-hop, de soul, comme avec « Bathroom » de Montell Fish), ou encore du Drake ! Peut-on parler d’une certaine marque de fabrique chez Doodseskader ?
Oui. On essaie vraiment de partager notre univers. On s’est dit au début qu’il fallait qu’on soit honnête avec ce groupe. Combien de chance tu as vraiment dans la vie d’être sincère avec quelqu’un ? Combien de personnes te connaissent vraiment, même parmi tes amis qui ne savent pas forcément ce que tu ressens intérieurement ou ce que tu peux faire quand tu es seul chez toi… On s’est donc dit qu’on avait cette chance unique de montrer qui on était. Et finalement on est des gens normaux, comme tout le monde, avec tous nos défauts, nos coups de cœurs, nos chagrins… Alors nous voici, d’un seul tenant, et bam !

Doodseskader n‘est-il pas en fait le moyen pour vous de vous sentir libre, sans aucune limite par rapport à vos autres formations ?
C’est exactement ça, oui. On ne se donne pas de limite, que ce soit stylistiquement ou esthétiquement. C’est aussi pour ça qu’on a créé notre propre label (45 records) pour faire vraiment ce que l’on veut. Il faut voir tout ça comme un prolongement de soi, et on tient aussi vraiment à ce que tout le monde sache qu’il y a de l’humain derrière tout ça. C’est vraiment important pour moi, ce contact, ce rapport à l’autre, comme cette interview que je fais avec toi en ce moment même ! Je suis vraiment chanceux de pouvoir parler de ce que je fais, avec humilité. Doodseskader c’est l’honnêteté incarnée, on est marqué à vie, on veut être accepté comme on est, on est là pour vous, pour unir et… finir.

A l’écoute de vos différents albums, on ressent des influences grunge et sludge sur Year 0, plus hardcore et hip hop sur Year One et vraiment plus indus sur Year 2. D’ailleurs j’ai quelquefois eu l’impression d’écouter du Nine Inch Nails en plus violent ! Du coup je suis un peu curieux et me demande quelle sera la teneur de Year 3 ? Sur quels sentiers alors allez-vous nous emmener sur le prochain album ?
Ah, en fait c’est difficile d’en parler maintenant, surtout que moi-même j’ai beaucoup de mal à comprendre ce que représente Year 3 quand je l’écoute ! On vient de faire une petite tournée avec Brutus, et j’en ai profité pour leur faire écouter Year 3 d’un seul tenant, pendant quarante-cinq minutes, sans parler. Et les réactions étaient plutôt… positives.

D’accord, mais en procédant de cette manière, ne crains-tu pas d’être déçu ou de vouloir tout modifier quand tu réécoutes un album déjà terminé depuis un moment mais pas encore sorti ?
Tu sais, quand je vois une photo de moi à quatre ans, alors que j’ai maintenant trente-quatre ans, je me dis que j’étais vraiment laid (!), pareil à seize ans, je pense que j’étais encore plus laid, et maintenant je ne suis toujours pas content de l’image que je renvoie. J’ai appris en tant que producteur que l’enregistrement d’un disque est un moment figé dans le temps, et qu’il faut lâcher prise le plus possible. Alors quand on enregistre le processus est vraiment lourd et prenant, on y met toute notre énergie. C’est court dans le temps mais mentalement très difficile. Dès que le master est fait, on considère le disque comme abouti et que ce n’est pas la peine de revenir dessus. Aussi, on ne dira jamais, par exemple, que Year 2 est meilleur que Year 1, ou bien que Year 3 sera notre meilleur album, ce genre de truc qui sont pour nous juste faits pour vendre. Sinon, je me dirais quoi, tu es juste en train de me vendre quelque-chose, ou bien que tu es en train de mentir à toi-même. Quand tu sors un album, tu es censé penser que c’est simplement le meilleur album que tu pouvais faire à cet instant-là.

Des featurings seront-ils aussi prévus ?
Je pense effectivement à quelques personnes, si l’occasion se présente, mais les gens que je vise ce n’est vraiment pas faisable pour le moment. J’attends vraiment le bon timing pour le faire. Mais oui, c’est encore trop tôt, je dois bosser encore comme un malade avant de le faire ! On verra bien ce que l’avenir nous réserve…

J’ai aussi lu que vous étiez moins axés sur les concerts. Alors une venue en France est-elle prévue du coup ?
On va venir en France, ouais, mais je ne peux pas encore en dire en plus. Mais on va venir ! (sourires)

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