Déjà le quatrième opus pour nos Portugais dont le chanteur et principal compositeur a émigré pour vivre et relocaliser le combo de Porto aux Pays-Bas. Si le premier LP Unsettling Whispers, plus discret, avait attiré l’attention en 2018 (Transcending Obscurity Records), les deux suivants, à savoir Limbo (2020), puis Mirage (2022) avaient davantage retenu notre écoute, grâce à une meilleure distribution et la signature avec le puissant label marseillais Season of Mist. Aujourd’hui, on note clairement une évolution chez Gaerea, comme nous l’a expliqué et confirmé son leader masqué en entretien, après plusieurs rendez-vous repoussés pour cause notamment d’un concert en Grèce, et d’une intense préparation pour une tournée américaine cet automne [Entretien réalisé par Zoom avec Guilherme Henriques (chant, guitares, paroles) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Comment vas-tu du côté de Porto au Portugal ?
Ça va, merci, mais en fait le groupe a été rebasé aux Pays-Bas, où je vis personnellement à présent depuis deux ans.
Ah, je croyais que tu étais encore au Portugal, pays que je connais bien personnellement et notamment Porto : les quais du Douro, Vila Gaia, la gastronomie avec par exemple les pasteis de nata, le stade de foot Estadao de Dragao en banlieue de Porto et son énorme centre commercial avec son Burger King, et aussi la fameuse salle de concert au centre de Porto, dans une halle et près d’une grande bibliothèque municipale…
Oui, c’est une ville magnifique. Ça reste la ville où j’ai grandi et y reviens de temps à autre puisque j’y ai ma famille. Il y a donc toujours une bonne raison d’y retourner. (rires) La salle de concert dont tu parles, je pense, c’est le Hard Club, au Mercado Borges.
Oui, c’est ça. Y avez-vous joué d’ailleurs au Hard Club ?
Oui, avec Gaerea on y a déjà joué quelques fois, c’est vraiment un chouette endroit.
En parlant de concerts, Gaerea s’est produit dernièrement lors d’un concert en Grèce [Ndlr : entretien réalisé le 10/09/2024], et cet automne vous partez aux États-Unis pour une nouvelle tournée qui commencera par un show à Philadelphie. C’est plutôt chargé alors qu’il y a la promotion de ce nouvel album Coma dans le même temps. C’est la première fois que vous allez jouer outre-Atlantique ?
En effet, c’est plutôt chargé. On se prépare à présent pour cette tournée américaine. En fait, c’est déjà la troisième fois que l’on va jouer là-bas. On y a été il y a deux ans notamment.
Et comment te sens-tu ? Tu es excité à l’idée de retourner jouer aux États-Unis ? Tu te prépares comment ? Vous répétez beaucoup ?
Ouais, c’est un peu fou. On se prépare beaucoup, oui, c’est toute une organisation, ça nécessite du travail en amont, et ça devient de plus en plus important, notamment au niveau de l’équipe. Cette troisième tournée américaine est donc d’autant plus importante pour nous, et on s’implique davantage encore.
Je me permets de revenir à l’été 2023 où l’on a pu vous voir en concert lors du festival Motocultor en Bretagne à Carhaix, en France. On était bien sûr au premier rang, et on alors remarqué la présence de votre nouvelle seconde guitariste, Sonja Schuringa (ex-Dictated). Et cette dernière m’a confié avoir cassé sa guitare ou bien ses cordes de guitares juste avant de monter sur scène, alors qu’elle venait d’arriver dans le groupe peu de temps auparavant. T’en souviens-tu de ce moment à ce concert français ?
Oh, je ne me souviens pas spécialement le cas de ce concert. Après, le fait de casser ses cordes de guitares sur scène ou juste avant arrive souvent, ce n’est pas unique. On joue fort sur nos guitares, on joue la musique extrême, aussi faut dire, tu sais ! (rires)
Rappelons que tu es donc le chanteur, principal compositeur et parolier de Gaerea. Et c’est donc toi qui composes les musiques des chansons à la guitare au départ, c’est bien ça ?
Ouais, tout à fait. J’écris et conçois tout ce qui tourne autour du groupe plus généralement.
Votre guitariste Sonja a donc intégré Gaerea en 2023 et a quitté Dictated ?
Oui, elle est avec nous et s’est complètement intégrée dans Gaerea. Elle est vraiment importante dans le groupe.
Pourquoi avoir choisi elle comme guitariste, et pas une ou un autre ? La musique importe-elle plus que la personne ou non ?
La musique n’importe pas plus que la personne. Il s’agit d’une belle personne que nous avons la chance d’avoir. Sonja apporte beaucoup au groupe, elle est très créative, elle travaille beaucoup, et est très dévouée sur son instrument et sur le groupe, notamment en studio. C’est la meilleure personne que l’on pouvait avoir à présent avec nous.
On peut d’ailleurs vous vous voir tous les deux interpréter une chanson extraite du nouvel album Coma, « Hope Shatters », façon « playthrough »…
Oui, tout à fait, on a voulu proposer quelque chose de simple, comme si l’on enregistrait en studio tous les deux. Je suis content du résultat d’ailleurs. Cela donne une bonne idée de la façon dont on a travaillé.
Parlons davantage de ce quatrième album Coma. Je sais que c’est toujours difficile à chaud car tu n’as pas assez de recul, mais comment le considères-tu et l’analyses peut-être déjà par rapport au prédécesseur Mirage que l’on était venu découvrir alors en avant-première à Porto en avril 2022 ? C’est une grande évolution pour Gaerea selon toi ?
Oui, assurément. Disons que c’est un album très important dans notre croissance, on évolue. Il y a de nouvelles émotions abordées et exprimées ici, mises à nu sur la table. On a pu prendre le temps d’expérimenter de nouvelles choses dans notre home studio au Portugal, aux Red Box Studios. C’était plus agréable, dans notre propre environnement. Je n’aime pas me répéter. Les choses ont ainsi pu prendre le temps de venir, mûrir, et pas simplement enregistrer en à peine un mois comme généralement. Il y a donc de nouvelles idées apportées sur Coma, notamment aussi au niveau de notre texture sonore. Avec beaucoup de folie, on a tenté d’expérimenter pour aller à d’autres niveaux, tout en gardant notre essence, ça reste toujours agressif et expressif, heavy comme album de Gaerea.
Comment s’est passé justement l’enregistrement en studio de Coma ?
Cela s’est fait avec de très bons amis à nous. Les Studios Red Box nous ont ouvert leurs portes et les conditions furent idéales pour nous là-bas à vrai dire. C’est un grand studio situé au nord du Portugal. Il y a tout pour y travailler et vivre confortablement. On pouvait y manger, cuisiner, recevoir des amis, boire, faire la fête, répéter, et pas loin de chez nous en plus, dans les bois. On a donc pris nos marques facilement. Cependant, le mixage et le mastering ont été réalisés une nouvelle fois aux Demigod Studios comme les précédents.
En matière de bières portugaises : es-tu plutôt Sagres ou Super Bock d’ailleurs ? (rires)
Oh, Super Bock ! (sourires)
Plus sérieusement, vous avez travaillé une nouvelle fois avec Miguel Tereso qui vous suit depuis vos débuts, c’est bien ça ?
Oui, en effet. Il nous suit depuis nos débuts, nous connaît bien et sait ce que vous voulons. C’est un peu le sixième membre du groupe en fin de compte… (sourires)
C’est un peu votre producteur fétiche comme Bob Rock avec Metallica à leur apogée sur leur « Black Album » ? Mais attention, ça a fini mal ensuite avec Metallica à la fin sur St Anger… (rires)
Oui, on va dire que c’est notre Bob Rock ! (rires)
Quelle est la signification ici de Coma ? Pourquoi ce choix de titre d’album pour ce quatrième enregistrement ?
Il s’agit là de tout un concept imaginaire, en fait, mais c’est très ouvert et subjectif comme album. Je veux dire par là que toutes les chansons et éléments du disque sont basés sur la mémoire qui revient lorsque l’on est à l’état de coma et que l’on en sort. C’est l’imaginaire, ou plutôt la vision du monde que l’on a à ce retour. On ne sait pas trop ce qui arrive, pendant et au moment d’en sortir. Certaines morceaux de l’album sont comme des souvenirs, des visions, des moments, des états. On ne sait alors pas trop où l’on est, ce que l’on fait. On est entre le conscient et l’inconscient.
L’auditeur est donc suspendu, quelque part, comme en apesanteur, dans sa pensée, comme le suggère d’ailleurs la chanson « Suspended »…
Oui, c’est une chanson importante là-dessus. Mais en fait on avait déjà eu une chanson plus ou moins là-dessus sur l’album Limbo, elle s’appelait « To Ain », à propos des gens qui tombaient… C’était à propos des victimes qui avaient dû sauter de l’immeuble en feu à New York lors des attentats du 11 septembre 2001. Ici, cela fait référence plus ou moins à l’état qui précède leur mort, durant leur chute qui a été terrible. Ici, elles sont donc comme « suspendues »… En tant qu’artiste, c’est notre interprétation de ça, du sentiment qu’ils ont peut-être eu, ressenti, à ce moment-là. C’est comme un état de coma tellement c’est intense, peut-être ont-ils vu un soulagement, un arc-en-ciel avant la mort.
Tout ceci qui est abordé sur Coma est-il personnel plus généralement ? De quoi t’es-tu inspiré ? Tu as rencontré des proches qui ont vécu un coma et sont passées peut-être près de la mort ?
Coma revêt un caractère personnel, assurément. Les émotions varient ici. Mais Coma n’est pas entièrement inspiré de ma propre vie uniquement. Mais certaines choses que j’ai vécues, de près ou de loin, m’ont inspirées plus globalement, après il y a beaucoup d’expressions différentes mais pas nécessairement issues d’expériences personnelles.
Y’a-t’il des bonus tracks sur des versions CD digipack ou vinyle que l’on pourra ce procurer à la sortie cet automne chez Season of Mist ?
Non. Ce que tu écoutes, c’est ce que tu obtiens et achètes. (sourires) Juste dix chansons pour un album donc conceptuel, et pas plus. Cela reste simple comme album, mais ça suffit pour le sujet ici. Pas de superflu donc…
A propos des deux chansons parues en singles avant la sortie de Coma, il y a donc « World Ablaze », et « Hope Shatters ». Je trouve que ces deux titres sont particulièrement catchy et plus mélodiques, et du coiup tout à fait accessibles à votre univers pour les gens qui ne connaissent pas la musique de Gaerea. Qu’en penses-tu ? C’est l’objectif ?
Avec ces deux chansons, c’était clair et évident qu’elles seraient censées représentées ce nouvel album. On voulait obtenir des réactions différentes en proposant quelque chose d’inhabituel. Disons que ce n’est pas forcément à quoi les personnes peuvent s’attendre. Et c’était un peu un challenge à la fois pour nous et le public. Cela donne une idée du nouvel album mais pas totalement. Des parties agressives et plus typiques du black metal subsistent.
J’y ai noté des influences heavy et presque metalcore ?
C’est ce que c’est, après je ne sais pas trop… Ce sont des morceaux importants, ça c’est sûr, avec ce nouvel album Coma. Elles possèdent une structure relativement moderne, je pense, et oui, ce n’est pas du black metal habituel pur et dur. Après c’est un moment important pour notre carrière, on est conscient de ça. Et je pense que ces nouvelles chansons sont donc une bonne introduction à ce qu’est Gaerea aujourd’hui.
Il y a également deux autres chansons très importantes qui m’ont marqué : celle qui ouvre Coma, « The Poet’s Ballet », et surtout la chanson-titre « Coma » qui est très heavy, et très émotionnelle aussi, située au milieu de l’album…
« The Poet’s Ballet » fait référence au processus de création, les choses qui viennent à l’artiste lors de son inspiration. Il y a comme un moment quand il crée, pense, et exprime les choses dans son travail interne. C’est un peu l’idée de la chanson, dans la mémoire, chacun de nous ressent quelque chose à ce moment-là, c’est assez spécial et intérieur. J’exprime là un moment magique, comme si on était dans un état de coma, là aussi donc, mais on est ici dans une vision plus douce et intérieure, ce n’est pas dramatique. Quant à la chanson-titre, je pense qu’elle représente beaucoup de Gaerea, ce que l’on était davantage avant, et explose au milieu de l’album, de façon assez lunatique. Je pense qu’on va sûrement la jouer en concert si l’on en a l’opportunité. C’est l’une de mes chansons préférées et elle en porte d’ailleurs le titre, ce n’est pas pour rien… (sourires)
Enfin, on n’a pas eu l’occasion d’échanger en 2023 à propos de ton side-project Oak orienté doom/death metal atmosphérique. Le dernier album Disintegrate est paru chez Season of Mist tout comme Coma de Gaerea. Peux-tu nous en toucher deux mots avant de se quitter ?
Ouais, il s’agit d’un projet différent mais actuellement je suis très occupé par Gaerea, tu sais, dans ma vie, notamment pour les concerts et tout ce qui arrive en live avec Gaerea. Donc, quand je serai moins occupé, j’y reviendrai mais il s’agit là uniquement d’un projet studio. C’est pensé différemment de Gaerea. On est un duo, et on ne tourne pas. L’approche est différente.
Au fait, es-tu toujours en contact avec les gars de Moonspell qui eux sont originaires de Lisbonne, même si Fernando a déménagé pour s’isoler mais toujours au Portugal ? Ils vous ont aidés au début, je crois ?
Nous sommes amis avec les gars de Moonspell. Ils sont vraiment importants ici, et nous ont aidés pour divers trucs, notamment à nos débuts, nous donnant des coups de mains et astuces dans le milieu. C’est une belle amitié. On est vraiment ravi d’avoir un tel groupe comme eux au Portugal.
Pas de conflit entre vous pour ce qui est du choix du club de foot, entre Porto et Lisbonne ?
Oh non, pas de ça entre nous, ou alors juste pour le choix des bières : Super Bock (Porto) ou Sagres (Lisbonne) ! (rires)
Publicité