INCANTATION : Docteurs ès sciences occultes

D’ores-et-déjà annoncé à l’affiche du prochain Motocultor en août 2024 à Carhaix (Finistère), Incantation continue sa carrière lancée en 1989 malgré la jeune et vive concurrence sur la scène death metal internationale, publiant régulièrement des méfaits d’une lourdeur et d’une malsanité abyssale. Si ces meilleures œuvres remontent aux années 90, à l’apogée du style, le quatuor de Johnstown (Pennsylvanie) demeure tout à fait respectable aussi bien en concert que sur disque. Nos vétérans américains, avec à sa tête le guitariste/chanteur John McEntee, seul survivant du line-up originel, en ont encore sous la pédale et s’avèrent inspirés néanmoins, grâce à l’apport indéniable de son bassiste sur leur treizième opus baptisé Unholy Deification à l’artwork réussi. [Entretien avec John McEntee (guitare/chant) et Chuck Sherwood (basse) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Comment allez-vous personnellement depuis la sortie de votre précédent album Sect of Vile Divinities en 2020 ?
Chuck : Eh bien, après avoir tourné sur le tard pour cet album pour les raisons que les gens savent (Ndlr : covid-19), depuis tout le groupe s’est remis à l’œuvre et s’est concentré sur tous les développements du nouvel album intitulé Unholy Deification avant sa sortie le 25/08/2023… Des singles, des vidéos et bien sûr des interviews comme celle-ci ont été faites. D’ailleurs merci de nous accueillir à ton tour.

Comme tu le disais, entre-temps vous avez donné pas mal de concerts dans le monde. La dernière fois que j’ai vu Incantation en live en France, c’était avant tout cela, au Festival Motocultor en août 2019 (voir live report ici). Vous souvenez-vous de ce concert français dans le cadre de ce festival d’été convivial ? C’était génial, du pur death metal, donc fort et sombre… (sourires)
Chuck : Paradoxalement, je me souviens mieux du Motocultor de 2012 en fait. C’était une fête étonnante, on fut très bien traité. On en profité pour une visite d’un château de l’époque féodale lors de notre venue en France. Quelle expérience ! Je crois que c’était un des hommes-bannières de Jean d’Arc ? En tout cas, super spectacle, super souvenir.
John : C’était encore une fois génial en 2019. Le Motocultor est toujours une période difficile car en plein été, on enchaîne les dates, et il y faisait très chaud. Mais nous nous sommes totalement éclatés. Nous avons hâte d’y retourner d’ailleurs. (sourires)

Vous avez publié un split EP l’an dernier avec le groupe allemand Blood. C’est devenu rare dans la discographie d’Incantation, contrairement à la fin des années 80 et au début des années 90 où les splits LP ou EP étaient légions dans le death metal et surtout le punk/hardcore… Pourquoi avoir choisi cette collaboration et ce format d’un seul morceau (idem pour Blood) paru chez Hells Headbangers Records ?
Chuck : Effectivement, mais ce n’est pas trop atypique pour le groupe. Dans notre passé, a eu un certain nombre de splits 7″ quand même mais ça fait longtemps. Cela semblait particulièrement approprié puisque cette chanson a été écrite pendant les sessions d’Unholy Deification et c’était à notre avis un morceau à part entière. Les deux groupes (Blood et Incantation), nous nous complétons musicalement et évidemment les jeux de mots ironiques n’étaient qu’un bonus supplémentaire. (sourires)

Une fois de plus, vous avez demandé à Eliran Kantor de peindre la pochette de votre nouvel album Unholy Deification. C’est très beau. Le précédent pour Sect of Vile Divinities était déjà assez proche, avec un monstre marin et diverses créatures dans les eaux sombres. Y a-t-il un lien visuel et lyrique avec ce nouvel artwork d’Unholy Deification qui représente une hydre ou chimère ailée mais sur terre cette fois ?
Chuck : J’ai travaillé en duo avec Eliran sur ces quatre derniers albums pour présenter certains aspects des albums afin d’aboutir à une œuvre cohérente qui reflète le matériel de chacune des publications en particulier. Sa patience, sa compréhension et son expertise sont vraiment impressionnantes. Pour être honnête, il n’y a pas de thème continu. La couverture de l’album Sect (…) comporte également des créatures, en effet. Il s’agissait plutôt de leur fusion dans le temple dans lequel on les voit. La « déification impie » (traduction littérale du titre de l’album Unholy Deification) est la collection amorphe de tous les éléments du mal que l’apothéose d’un mortel envers une divinité finit par incarner. À la fois craint, adoré, c’est le dieu que vous devez dépasser pour atteindre l’oubli.

Chuck, à propos de ce treizième album studio, j’ai lu que tu voulais : « capturer un concept entièrement réalisé et basé sur l’évolution à travers l’illumination » parce tu lis beaucoup et aimes l’occultisme, le fantastique, et les religions. C’est très intéressant. Et ça colle justement très bien avec le death metal extrêmement sombre d’Incantation. Avais-tu carte blanche pour les paroles des nouvelles chansons, ou as-tu uniquement apporté le concept lyrique et les idées afin que John écrive toutes les paroles qu’il chante ici ? Comment avez-vous travaillé tous les deux ?
Chuck : J’ai contribué aux textes, et c’est ainsi depuis l’album Vanquish In Vengeance (2012) mais depuis Profane Nexus (2017), j’ai en quelque sorte le rôle exclusif dans l’écriture et les concepts. Unholy Deification est un voyage en plusieurs étapes (d’où les chiffres romains à la fin de chaque titre de l’album) dérivé de la magie rituelle. De l’invocation d’un guide spectral, des bannissements, des paroles de pouvoir, de l’apaisement des forces élémentaires par des sacrifices, des cercles rituels, des calices, des autels, des libations, etc. Utiliser les qualités masculines et féminines pour produire un homoncule qui incarnera une divinité… Celle-ci sera gravée, redoutée, vénérée, et finalement aboutira à une force dominante sur toute vie et toute mort. Voilà en gros l’idée ! (rires)

Maintenant à propos du track-listing justement d’Unholy Deification : sur le moment, je fus un peu perdu car je n’ai pas compris tous les chapitres des chansons. Par exemple, le premier morceau s’appelle « Offers (The Swarm) IV » ; et le morceau #2 s’appelle « Concordat (The Pact) I » ; etc. Bref, le track-listing semblait ne pas correspondre à l’ordre des chiffres romains indiqué à la fin de chaque titre de chanson. Alors quel est le bon ordre pour l’écouter et bien comprendre le concept ici et le sens de chaque chanson ou chapitre étant donné que ça ne correspond pas au numéro de la piste, tu vois ce que je veux dire ?
Chuck : C’est un album conceptuel de bout en bout, comme indiqué précédemment. Nous avons tous senti que le flux de la musique exigeait qu’elle soit entendue telle qu’elle est présentée. Pour ceux qui souhaitent creuser plus profondément, nous avons fourni les chiffres romains afin que chacun puisse les réorganiser séquentiellement et vivre l’album d’une manière complètement différente justement.

Il y a plusieurs invités sur Unholy Deification : le chanteur (et ancien bassiste) Jeff Beccera des légendaires Possessed ; Henry Veggian (ex-Revenant, groupe de death metal new-yorkais) ; Dan Vadim Von (guitariste de Morbid Angel jouant également en live avec Incantation à la basse). Sur quelles chansons apparaissent-ils et pourquoi avez-vous choisi ces gars-là précisément ? Bien sûr, vous êtes avant tout amis au sein de la scène death metal… D’ailleurs, c’est Jeff qui chante sur la chanson « Exile (Defy the False) II » ?
Chuck : En fait, oui, et il y a une partie de chant dans la chanson « Circle » où vous entendrez tout ce qui est mentionné ci-dessus. Ce sont avant tout des mentors, des collègues et surtout des amis. Nous ne pourrions être plus honorés de compter sur leur implication sur ce nouvel album, ajoutant quelque chose de tout à fait unique aux versions des chansons.

Quel est l’accordage principal des guitares de John et Dan Vadim ici et plus généralement dans le son d’Incantation ? En Si ou Do peut-être ?
John : Oui, nous sommes en accordage de Do standard (C) juste après la première démo que nous avons sortie en 1990 (Ndlr : démo nommée Reh.1.3.90). Et je ne pense pas que ça changera à l’avenir…
Chuck : Le standard C, Do donc, est le réglage depuis la création du groupe.

Une chanson intitulée « Homunculus (Spirit Made Flesh) IX » pourrait être une chanson de Celtic Frost à l’époque du dernier album Monotheist, je trouve (dans sa seconde moitié). C’est lourd, sombre, bruyant, lugubre, au fond du noir… Etes-vous d’accord avec ça ? Y’a-t-il une inspiration Celtic Frost là-bas, peut-être ici ?
Chuck : Merci pour tes gentils mots, mec. Nous tous dans le groupe sommes sans aucun doute de grands fans de Hellhammer/Celtic Frost. Dire que leur influence ne refait pas surface à cette occasion ici serait insensé, mais je ne crois pas que nous ayons eu une source particulière d’influence dans la création de ce morceau, « Homunculus ». Pour autant, ravi que tu entendes cela en parallèle.

La dernière chanson est très heavy et doom également, je trouve. Elle s’appelle « Circle (Eye of Ascension) VII ». Mais sa deuxième partie change et s’accélère alors. La chanson entière est finalement très épique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce morceau de fin de l’album ?
Chuck : L’arrangement et la fusion du doom et du death metal sont les éléments qui composent « Circle ». Le rendu est très approprié, à nos yeux du moins, et constituent la conclusion de l’album. Cela implique également nos excellents invités dont on parlait tout à l’heure, et la partie chantée (mentionnée ci-dessus) qui construit l’énergie de cette dernière chanson. Cela en fait une chanson spéciale et une grande clôture pour Unholy Deification. Conceptuellement, « l’Invocation » est le résultat final du voyage de l’acolyte qui se termine par le fait qu’il est la forme omniprésente du mal.

Avec le temps et une telle longévité dans la carrière d’Incantation, qu’est-ce qui vous motive encore à jouer du death metal aujourd’hui ?
Chuck : Je pense que je parle au nom de tous dans le groupe : la fougue est la raison pour laquelle le groupe a été créé en premier lieu et elle ne nous a jamais échappée. La joie de créer du death metal avec des gens aussi talentueux ajoute à l’unité d’Incantation qui n’a fait que se renforcer en studio et sur scène. Cela fait quinze ans que je suis avec John et Kyle et cinq ans ayant travaillé avec Luke et Charlie (Ndlr : Charles Koryn, batterie) ne font que renforcer notre conviction et notre confiance.

Au fil des années, avez-vous entretenu des relations fortes avec d’autres groupes de death metal et de metal en général aux USA et à travers le monde en tournant et partageant les scènes tous les soirs lors de tournées ou de festivals d’été ? Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui encore une réelle connexion et un réseau plus important entre les groupes de ce genre, en particulier grâce à internet, alors que dans les années 1990, le death metal se développait à l’aide seulement du bouche-à-oreille, du tape trading et les fanzines, et en étant curieux ? Internet et les réseaux sociaux où tout est accessible de nos jours rapidement et facilement sont devenus indispensables pour un artiste d’aujourd’hui dans sa communication mais tout y demeure si superficiel et noyé dans la masse d’informations ?
Chuck : Chaque expérience de tournée est unique à sa manière. Au début, nous sommes tous des étrangers et nous finissons par devenir amis pour la vie. Je suis le pire avec la correspondance (rires), et malgré le luxe des réseaux sociaux, aussi faciles soient-ils, je me trouve toujours plutôt reclus. Cela dit, peu importe le temps qui s’écoule, chaque réunion avec d’autres groupes, fans, amis, etc. est comme si aucun temps ne s’était écoulé. Je trouve que les algorithmes dictent désormais l’exposition, ce que les médias sociaux veulent promouvoir, ils le feront, le reste doit être payé. C’est misérable mais précis et redoutable.

Pour conclure, que souhaitez-vous ajouter à propos de ce treizième opus studio Unholy Deification ? Et peut-on espérer vous voir bientôt en concert en France s’il n’y a pas d’apocalypse avant cela (nouveau fléau, une pandémie, ou une troisième guerre mondiale…) On vous attend aux prochains Hellfest ou Motocultor l’année prochaine par exemple ! (sourires)
Chuck : Alors, salut à tous nos supporters en France, on a toujours passé un super moment à vous rendre visite aux quatre coins du monde dont la France. Assurez-vous de recevoir le nouvel album disponible depuis le 25/08/23, en espérant qu’il soit accueilli de la même manière que nous l’avons reçu lors de sa création.
John : J’espère revenir bientôt, des choses sont en cours mais rien de confirmé. Je ne suis donc pas libre de confirmer ou d’infirmer notre retour au Hellfest ou à Motorcultor (Ndlr : cela a été confirmé entre-temps officiellement depuis cet entretien), même si ce serait un honneur pour Incantation. La déification impie approche et nous apporterons très certainement ce nouveau matériel pour écraser les scènes et vos crânes… Vous voilà prévenus ! (rires)

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