LALU : Comme un poisson dans l’eau

Si Lalu n’a que quatre albums à son actif, Vivien, le claviériste et capitaine du vaisseau, a déjà derrière lui une longue carrière sachant s’entouré de pointures quand il le faut, comme sur son dernier opus en date Paint The Sky avec Steve Walsh (Kansas), Simon Philipps (Toto), Jordan Rudess (Dream Theater). Fils de Noëlle and Michel Lalu, tous deux compositeurs et membres du groupe progressif Polène qui connut son heure de gloire dans les années soixante-dix, notre ami a toujours baigné dans cette ambiance musicale où Yes et Genesis était des références absolue. C’est donc une histoire de famille tout ça, et pas étonnant alors qu’il sorte à présent un concept album baptisé The Fish Who Wanted To Be King. S’inscrivant dans la lignée de Paint The Sky justement, l’artiste français nous transporte dans un monde de rock/metal progressif comme on en fait plus. [Entretien avec Vivien Lalu (chant) par Pascal Beaumont – Photos : DR]

Tu vas partir en tournée au côté de Damian Wilson (Lalu, Ayreon, Landmarq, Threshold) pour célébrer ses trente ans de carrière. Apprécies-tu la vie sur la route ?
Oui, complètement. En fait pour ma part, lorsque tu fais beaucoup d’albums studio, j’en parlais d’ailleurs récemment avec Arjen Lucassen d’Ayreon, et que tu n’es pas toute l’année sur les routes, je pense que c’est vraiment un plaisir de sortir de temps en temps et de jouer les morceaux sur scène. A l’inverse, je ne suis pas sûr que j’aurais la même vue si je faisais ça 100 % de mon temps, enchainer les dates de concerts quasiment chaque soir, toute l’année durant… Je ne sais pas si j’aurais cette vision-là. Mais pour nous, c’’est clair que ça s’apparente à chaque fois à des vacances. (sourires)

Quel est ton état d’esprit avant d’enchainer les dates justement, y a-t-il un entrainement important ?
C’est avant tout beaucoup de travail, ce n’est pas vraiment un entrainement mais plutôt une préparation. Damian Wilson, le chanteur, célèbre ces trente ans de carrière, il va jouer tous ses classiques : ceux d’Ayreon, Landmarq, Threshold, plus certains morceaux de Lalu depuis le dernier opus. Ce qui est assez difficile, c’est qu’il compte sur moi en tant que directeur musical pour faire fonctionner le tout. C’est une espèce de puzzle énorme et il faut arriver à créer un show à partir de tout cet univers. Mais ça reste du metal progressif Headspace et Threshold ; les titres de Landmarq c’est plutôt du néo prog’. Certains autres morceaux sont très prog’ et le défi est de faire fonctionner tout ça. C’est quand même un groupe qui est juste énorme, je suis au clavier mais il y a aussi le claviériste de Headspace Adam Wakeman, le fils de Rick Wakeman (Yes), c’est un fou furieux. Les mecs de Threshold sont aussi des gros musicos, ce ne sont pas des titres qui sont super faciles donc c’’est surtout ça le défi. Ça se passe super bien, on est également à l’âge d’internet donc ça permet de s’échanger des fichiers, de se préparer des pistes, de même faire des répétitions en amont des vrais répétitions sur place, de bosser ensemble sur des live tracks pour répéter les chansons entre nous à distance, etc.

En 2014 tu as beaucoup tourné ce qui a abouti à l’enregistrement de l’album Live at P60. Je suppose que tu dois avoir beaucoup de souvenirs en tête. Y’en a-t-il un qui t’a marqué plus particulièrement ?
C’est très simple, c’est la première fois que j’ai vu un fan qui avait conduit depuis la Pologne juste pour voir le groupe sur scène. En fait j’ai réalisé qu’il y avait des gens qui nous écoutaient depuis tous les endroits du monde et qui venaient nous voir en concert. Et tu rencontres ces personnes-là après le show. Tu t’aperçois alors ce que ça peut représenter pour certaines personnes. Par exemple, moi je viens de banlieue parisienne, mes parents étaient musiciens (Ndlr : ils jouaient au sein de Polène). Moi je ne suis pas une superstar, quand tout à coup tu te retrouves boosté comme ça, à donner des concerts et que tu vois de tes propres yeux, les fans qui viennent te voir avec les albums et qui te demande de les signer, qui te disent on a fait tant de km pour te voir, tu saisis un petit peu, le fait que l’on a une certaine portée. Il y a des gens qui attendent le prochain disque. C’est sûr que le progressif, je vais être honnête ça ne me fait pas vivre, je ne vis pas de çe style de musique là. Ce ne sont pas les ventes de ces opus qui vont payer mon loyer, en revanche, l’inspiration en tant qu’artiste pour composer, c’est super motivant. Le fait de savoir qu’il y a des personnes qui attendent la suite et viennent te voir en live, c’est une espèce de rapport qui est génial humainement.

L’opus s’appelle The Fish Who Wanted To Be King. Pourquoi ? Quel est ici le symbole de ce poisson ?
C’est le fait que l’être humain se sent toujours au centre de tout. C’est l’égoïsme humain au milieu de l’univers. C’est assez étonnant de savoir qu’en fait, l’Homme vient du poisson qui a par la suite commencé à marcher, évolué, il est devenu ce que nous sommes aujourd’hui. Maintenant on est en route pour Mars, on a avancé dans l’univers. Bien que la manière dont nous nous comportons vis-à-vis de la planète sera sans doute peut être la même chose ailleurs, enfin je ne l’espère pas. On a tendance à être un peu le centre du monde et cela se finit mal, c’est donc vraiment le poisson qui voulait être roi…

Tu as été très rapide pour concevoir ce nouvel opus sachant que Paint The Sky remonte à janvier 2022 !
Complètement. Je suis parti de zéro, c’est quelque chose que je souhaitais surtout à ce stade. J’avais déjà fait un reboot du projet avec l’opus d’avant. D’ailleurs, le premier titre s’appelait « Reset To Preset ». C’était vraiment le reboot de mon projet à ce type de sonorités. Là, du coup j’étais inspiré, je me suis dit qu’il y avait moyen de partir sur du frais, d’écrire avec cette formation-là, avec les même gens que sur Paint The Sky, sans invité. Je ne m’en étais pas rendu compte mais quand l’album est sorti, je voulais faire un truc qui soit plus intime, juste nous quatre, sans invité spécial, afin de voir ce que l’on peut faire ensemble. C’est pour cela que je l’ai écrit avec mon guitariste (Ndlr : Joop Wolters), je l’ai invité à composer avec moi. Pendant un vingtaine d’années, systématiquement je lui disais quel riff il devait jouer. J’ai toujours écrit tous les morceaux et sur celui-là, ce fut une écriture collégiale, on ne partait de rien et on écrivait ensemble. Je ne sais pas si ça peut se ressentir à l’écoute du disque. Il y aura des gens qui aimeront et d’autres peut être pas, bien sûr, c’est les goûts et les couleurs…, mais j’espère que l’on peut entendre une cohésion de groupe. Même si c’est un truc qui est fait en studio à la base, on se sent de plus en plus mieux à faire de la musique ensemble. Je le vois au quotidien, on a beaucoup plus de lien entre nous et c’est d’ailleurs pour cela que Damian voulait que ce soit nous qui l’accompagnions sur sa tournée. Il y a une espèce de camaraderie qui s’est instaurée et je me serais senti mal de faire celui qui veut se mettre au centre et tout écrire, imposer aux autres. Naturellement, c’est venu comme ça, c’est génial, on fait un truc ensemble et chacun amène sa petite pierre à l’édifice. Effectivement, c’est la première fois de ma vie que je fais un album l’année qui suit notre précédent album, et c’est carrément grâce à la signature de Frontiers Records. Pour le premier opus sorti en 2005, j’avais pris un prêt pour pouvoir le produire. J’avais fait cet album tout seul dans ma petite chambre d’étudiant au sixième étage sans ascenseur à une époque où il y avait quasiment aucun logiciel pour la musique. Je l’ai conçu comme ça et du coup j’ai eu besoin de sept ans pour sortir le suivant. Le deuxième a été fait avec du love money, c’est à dire l’aide de la famille, des amis… C’était vraiment très difficile de réunir les fonds pour le produire. Je ne pouvais pas faire un disque tous les ans et là très clairement la signature avec Frontiers à tout changé. Le fait qu’il m’ait contacté pendant la pandémie, la fameuse période où on était confiné à la maison. J’ai pu concevoir le troisième album et repartir à zéro. Désormais, je peux en faire un tous les ans, je n’ai pas à attendre pour récupérer des fonds par moi-même et faire souffrir ma famille.

Depuis Paint The Sky, tu as donc signé avec le label italien Frontiers Records, et de ce fait, as changé de statut en tant qu’artiste. As-tu l’impression que cela t’a ouvert de nouveaux horizons ?
Oui, parce qu’en fait label m’a demandé de composer pour d’autres artistes signés chez eux. Il y en a qui sont déjà sortis, d’autres qui sont prévus. Et puis surtout ce qui est très marrant, j’ai des amis à Nice qui m’ont envoyé une photo depuis la Fnac où l’album était disponible. Frontiers est super bien distribué mais en même temps cela ne me surprend pas parce qu’ils ont sorti les Toto, Yes. Et puis le distributeur derrière le label existe depuis les années 90, ils ont une distribution énorme. En fait j’ai été très surpris car hier j’ai vu que le nouveau disque se trouvait même à Leclerc. Quel mec va acheter du prog’ à Leclerc ! (rires) Je ne veux insulter personne, c’est très bien, ce serait génial que ça arrive.

The Fish Who Wanted To Be King est un concept album. Même si tu es parti de zéro, lyriquement parlant, a-t’il été élaboré dans la continuité du précédent ?
Oui, parce qu’en fait label m’a demandé de composer pour d’autres artistes signés chez eux. Il y en a qui sont déjà sortis, d’autres qui sont Moi j’ai la partie du fainéant, je me concentre que sur la musique mon truc à moi c’est d’écrire la musique. A la base j’écris mes morceaux, mon guitariste a écrit les parties de guitares, les lignes de basse (il fait les deux) et ensuite le chanteur Damian reprend tout. Lui, il fait ce qu’il veut à partir de ça et je lui laisse totalement la main libre. Je lui ai dit : « fais ce que tu veux avec les titres ». Il a créé son concept, c’est donc une suite de Paint The sky. C’est une suite de l’histoire, moi je compose la musique je lui ai juste dit que je voulais comme titre d’album : The Fish Who Wanted To Be King. Voilà.

Tu as déclaré tout à l’heure que The Fish Who Wanted To Be King constituait une avancée majeure dans ta carrière artistique. Dans quelle mesure exactement ?
En fait, j’ai vraiment essayé au maximum de laisser le champ libre à tous les musiciens et je n’ai jamais fonctionné comme ça avant. Le moindre riff de gratte ou ligne de basse ? J’écrivais tout ; idem pour toutes les parties de batterie, j’écrivais les chansons de A à Z et là je me suis complètement ouvert. Il n’y a pas une personne qui s’est vu refuser ses parties, j’ai laissé tout le monde apporter sa pierre à l’édifice. J’ai conçu la fondation. J’ai adoré le résultat d’autant plus que mon batteur Jelly Cardarelli est un monstre au niveau technique. Quand on lui envoie une compo et que je vois ce qu’il en fait, c’est hallucinant. Et puis c’est aussi un ingé son de fou, il a vraiment travaillé, il a failli prendre du Xanax à la fin. Il était au détail prêt. On a bossé comme des dingues sur cet opus pour qu’il sorte l’année d’après. On s’est mis une sorte de pression pour absolument le faire et le finir, y aller à fond. C’est un peu comme un working camp, tout le monde bossait sur son truc. Pour moi c’est une vraie avancée, j’ai trouvé cela super positif et je sais que je veux travailler comme cela sur le prochain.

Tu as dû te sentir plus libre et moins stressé !
C’est vrai. Peut être pas vraiment parce que lorsque j’écris des trucs, je suis tellement passionné en fait que j’écris trois parties pour trois instruments et que j’en écrive six ou sept, ça ne me met pas du poids supplémentaire sur les épaules. Mais effectivement c’est surtout déjà d’avoir un label qui peut assumer toute une partie, et après avec les musiciens, le fait de leur laisser le champ libre sur les morceaux ça me permet à moi aussi de prendre du recul et c’est très intéressant. Très souvent, lorsque je fais tout par moi-même, j’ai une très mauvaise opinion de certaines choses que je crée et ça m’arrive de recommencer mille fois le truc et là d’une certaine façon ça me force à prendre ce qui vient, c’est plus spontané et donc ça m’allège, je ne m’y attache plus vraiment de la même manière comme si c’était moi qui l’avais fait et que je cherchais la petite bête. Là je suis sur la petite partie que j’ai élaborée au départ sur laquelle on construit, c’est plus facile à gérer. Je me souviens que pour mon premier opus en 2005, j’ai livré trois fois de suite l’album, trois versions au label une semaine après l’autre. Mais il faut sortir le disque un jour et arrêter de faire des mises à jour. Si je m’écoutais, c’est un peu pareil pour tout sur un texte ou autre, on peut être son juge et son bourreau. (rires) Jeter à la poubelle et refaire. Le fait de bosser à plusieurs ça permet de canaliser ça de manière plus positive et j’ai vraiment adoré l’expérience de ce côté-là.

Comment avez-vous travaillé au niveau de l’enregistrement ?
On a fait une partie à la maison et une autre en studio. L’écriture s’est principalement faite chez nous. C’est un secret pour personne, je parlais de Toto tout à l’heure, je crois que « Rosanna » a été écrite dans le salon par Steve Lukather (guitare) et David Paich (claviers) avec un petit clavier Yamaha. La plupart des artistes écrivent leurs chansons chez eux. Moi c’est pareil, j’ai mon piano ici, mes synthés, j’écris beaucoup à la maison. Je sais qu’il y a des groupes comme Dream Theater qui se réunissent dans un endroit et composent ensemble sur place. Nous c’est plus relax. En revanche, l’enregistrement se déroule en studio, là c’était dans celui de notre batteur qui a enregistré, mixé et fait le mastering de l’album. C’est aussi là qu’on a enregistré le chant de Damian et c’était super. Pour le coup, cela nous a beaucoup apporté humainement. C’est une chose qui j’espère s’entend sur le disque, je croise les doigts. Ça sonne comme un groupe et non pas comme un projet.

Sur Paint The Sky il y a une pléiade d’invités comme Simon Philipps (le batteur de Toto) ou encore Steve Walsh, le chanteur de Kansas !
En fait ce qu’il y a de pire c’est que à la base je n’avais même pas pensé à Steve Walsh, je ne pensais pas que ce serait possible de l’avoir sur un opus. C’est mon manager de l’époque qui était en contact avec lui parce qu’il bossait sur un album avec Steve Walsh. Il m’a demandé si ça me plairait de l’avoir sur mon disque. (rires) Tout s’est fait à travers lui, moi personnellement je n’ai pas eu de discussion avec Steve Walsh. Je sais qu’il a été sympa parce que j’avais écrit deux trois paroles en anglais, il a d’ailleurs corrigé quelques trucs ! Il a même enregistré deux fois parce qu’il n’était pas satisfait de son premier enregistrement, il s’était fait opérer, je ne sais pas de quoi exactement, c’est sa vie privée, et il a réenregistré le titre une seconde fois après. Ce n’était pas mon idée au départ, c’était tellement génial finalement. Surtout le fait que lorsque j’étais dans le ventre de ma mère, elle était sur scène à jouer du clavier dans le combo à mon père à faire des reprises de Kansas, moi j’étais fou. En fait, c’est le fœtus qui écoute Kansas et qui enregistre son troisième album avec le chanteur de Kansas. C’était fou. Là pour le coup j’aurais été con de ne pas le faire. Avec Simon Philips, ça fait pas mal de temps qu’on se connait. En 2003/2004, je me souviens, il m’avait invité à venir voir Toto live à Bercy. On était resté amis, il a déjà enregistré plein de trucs pour moi. Quand j’avais composé ce titre-là Paint The Sky, c’était lui qui avait fait la batterie initialement. Je n’avais jamais rien fait de ce titre. Pour te dire parfois en fait, je peux faire pendant un moment la gueule à un morceau. Je n’étais pas convaincu, il était mis de côté, puis un jour je me suis remis dedans. J’ai réfléchi et j’ai dit à Jelly de la refaire alors que j’avais Simon Philipps qui avait déjà fait la prise. Le sacrilège. (rires) Et ça s’est super bien passé, et je l’ai même utilisé comme nom d’album. En fait quand on à des invités de prestige, il y a toujours un coté prétentieux, les gens peuvent se faire une mauvaise idée. C’est limite si ce que tu à écrit derrière disparait complètement parce que pendant la promo, les labels vont mettre en avant les guests et finalement ça ne rend pas service. Du coup j’ai décidé de faire un opus avec juste nous quatre, au départ on devait être quatre, on a écrit ensemble.

Tu as aussi travaillé avec Jordan Rudess le claviériste de Dream Theater !
C’est vrai que j’ai eu beaucoup de chance avec Jordan ! Je crois que je l’ai rencontré en 2009 sur le disque que j’avais fait. Ce qui était rigolo c’est qu’il avait épinglé une de mes chansons sur son profil Spotify comme l’une de ses favorites. Ça avait envoyé un message alors sur Myspace. On avait échangé nos mails et on était devenu entre guillemet copains. Il avait été super cool, il m’avait introduit auprès de la marque de claviers Roland. J’ai signé avec eux, ils m’ont accepté. Tout s’est bien passé et j’ai fait des sons pour eux par la suite.

Lors de l’enregistrement et de la conception du nouvel album, as-tu été confronté à un challenge particulier ?
Oui, je voulais que mon ami Jelly ne touche pas au Xanax. J’avoue que lorsque à la fin on a eu la grosse pression et qu’il a failli y toucher, il y a eu un moment où j’ai dit on arrête tout. Je mets fin à ma carrière, on débranche tout. Il ne faut pas que ça en vienne à toucher aux médicaments, pour moi ça allait trop loin. Sur Paint The Sky, c’était presque la même chose, on s’est mis la pression. Quand on a travaillé dessus Jelly s’est retrouvé à l’hôpital, ce n’était pas par rapport au disque mais cela fait partie des sujets qu’il traitait sur le moment. Il était sur un million de trucs à la fois et je pense qu’il faut faire très attention à ne pas tirer sur la corde les uns des autres. C’est une chose de pouvoir sortir un album tous les ans, mais il ne faut pas non plus mettre notre santé en danger, là c’est le moment où moi je dis tout de suite au revoir. C’est le signal d’alarme, on arrête tout.

Il y a un côté très accrocheur sur certains titres comme « Forever Digital » où le refrain est entêtant. C’est une volonté de développer un côté catchy même si on reste dans le prog’ pur ?
Oui, c’est important je pense qu’il y ait plein de formation prog qui ont fait ça comme Rush. De nombreux morceaux que les gens n’imaginent pas quand on n’a pas étudié la musique, ce sont des mélomanes avant tout. Mais autant c’est compliqué autant par moment, il y a des accords très simplistes sur ces refrains très catchy. En fait ça a dû contribuer pour une part à leur succès. Moi après ce ne serait pas mon truc de faire que de la démonstration à 100 %. Il y a une grande part très importante pour la mélodie, l’harmonie et Damian est super pour ça au chant. On parlait du côté british en rock, c’est génial d’avoir un chanteur anglais qui à cet esprit-là derrière.

D’où vient cette envie de composer une musique dans le style prog rock inspiré par Yes et Genesis ? Ta famille ?
C’est le fait d’avoir grandi dans cet univers-là depuis tout petit. Mes parents étaient sur scène, ma mère jouait cette musique là même quand j’étais dans son ventre. Quand j’ai grandi, j’avais cinq ans, et il y avait un moog dans mon salon, il y a peu de gamin de cet âge-là qui touche à ce genre d’instrument. Rick Wakeman (clavier de Yes) en avait un aussi. J’ai eu cette chance-là de tout de suite baigner dans le monde de la musique progressive, des claviers, etc. Quand tu as été biberonné là-dedans ça te reste. J’ai grandi avec les disques de Yes, Genesis. Ce sont des trucs qui m’ont suivi pendant toutes les premières années de ma vie. Après lorsque j’étais au collège j’ai découvert le metal. Un jour au lycée pour mon anniversaire un pote m’a offert Images and Words de Dream Theater. Je me suis rendu compte que l’on pouvait mettre quelque chose de heavy sur du prog’. Là ça a été la révélation. J’étais complètement fou à cette époque-là. J’ai toujours été dans le prog’ depuis tout petit, et j’ai toujours été entouré par cette musique-là. C’était vraiment une passion. C’est vrai que mes deux premiers albums sont quand même très heavy. Il y a des grosses guitares avec des gros riffs dessus. Pendant toutes les années que j’ai vécues, de 12 à 25 ans, j’étais à fond dans le metal. C’est marrantn cet espèce de processus où plus je vieilli et plus je reviens vers mes racines lorsque j’étais petit. C’est rigolo.

Tu as débuté en collaborant avec Hubi Meisel (Ndlr : ex-chanteur de Dreamscape), pour qui tu as composé l’album Emocean, sorti en 2004 chez Lion Music. Tu as aussi participé au concept-album Kailash. Je suppose que tu as beaucoup appris à ses côtés ?
Oui, énormément. Ce sont les premiers opus de prog’ metal que j’ai composé pour quelqu’un. J’ai écrit intégralement tous les riffs de guitares, les parties de claviers, la basse et la batterie. A la base j’ai composé les albums en entier, c’étaient vraiment mes débuts. Ça m’a fait entrer dans le monde de la musique et ensuite j’ai pu faire mon premier disque. Il y a eu cette espèce d’expérience au début, j’ai travaillé sur deux albums. Je me suis fait la main pour voir un peu comment je fonctionnais. Ça m’a ouvert les portes de l’A.M.I. et j’ai pu sortir mon premier opus. J’en garde un souvenir spécial, c’étaient mes premiers projets, un très bon souvenir.

Vas-tu proposer un nouveau single après les deux précédents ?
Non, parce qu’en fait le planning des releases de Frontiers c’était un premier single, ensuite un second sous forme de lyrics vidéo, ensuite la sortie du disque. Moi ce que je ne voulais pas, c’est que le single soit le titre qui ouvre l’album. Lorsque l’on m’avait demandé je leur avais dit. C’est chiant les gens vont découvrir l’opus et il connaisse déjà le premier morceau, il faut qu’il y ait une espèce de surprise quand même. C’est pour ça que « Is That A London Number », c’était rigolo et assez court pour passer facilement. Il ne faut pas s’imaginer que ça passe à la radio mais il y en a quand mêmes certaines qui vont le diffuser, c’est le plus radiophonique. La lyrics vidéo, c’est la chanson la plus longue « The Fish Who Wanted To Be King », et ce sont les deux seuls singles. Le problème c’est que pour les vidéos pour les faire bien, il faudrait avoir plus de budget et pouvoir être tous ensemble pour les faire. Pour le disque ça allait mais pour les clips c’est trop compliqué pour nous au moment présent. On a trop de sujets à gérer pour pouvoir faire des trucs comme ça d’autant plus qu’il faudrait que le projet ait un peu plus de succès pour pouvoir atteindre un autre pallier. Les vidéos de Steven Wilson pour son nouvel album sont vraiment géniales, à la limite ça ne donne pas envie de faire des clips, on ne va pas atteindre un niveau comme celui-là. (rires) Je n’ai jamais été très clip, ce n’est pas du tout mon truc mais c’est une condition indispensable pour Frontiers et beaucoup de labels.

L’album vient tout juste de sortir, comment appréhendez-vous la suite ?
La première chose que l’on s’est dite le dernier jour avant d’aller au pub après être sorti du studio, on écrit le prochain quand vous voulez ! Damian est prêt, je peux lui envoyer les chansons, il est partant, tout le monde est prêt, même mon guitariste Joop Wolters. Je veux vraiment insister sur lui, Joop en plus de faire la basse et la guitare, il a eu une importance énorme sur cet album plus rock à la base. Il était présent sur mon premier opus qui était vraiment metal prog’ mais là c’est beaucoup plus rock. Il arrive à se glisser dans ce style là et a apporté tellement de choses entre la basse et la guitare. Il était aussi le premier à me dire : « on ne perd pas de temps ? On fait tout de suite le prochain ». Il a raison le but c’est d’arriver à faire un disque tous les ans. Il faut que l’on arrive à grandir, c’est d’autant plus difficile que le monde de la musique aujourd’hui c’est carrément une catastrophe.

La plupart des groupes font désormais un album pour partir en tournée, vous c’est un peu l’inverse !
Moi ce qui m’intéresse c’est d’écrire de la musique.  A la base je suis vraiment compositeur, c’est ma casquette écrire, écrire, écrire. Si je pouvais faire des albums dans le style de Yes ou Genesis jusqu’à ce que je meure, ça serait super, c’est ce que je veux faire de ma vie. Après c’est vrai qu’il faut qu’on arrive à vivre et là ce serait génial. Il n’y a qu’un seul moyen pour ça être constant, créer des disques tous les ans. J’ai remarqué un truc, c’est débile quand on met un titre sur Spotify ça oriente le nombre d’écoutes, il y a de nouvelles personnes qui découvrent systématiquement et qui vont également écouter les précédents disques… Bien évidemment je ne suis pas du tout un commercial. À l’époque, je m’en foutais complètement, je n’ai pas du tout compris ça en plus. Ce n’est pas du tout le but quand on fait du prog’ et ce genre de musique, on a délibérément fait un choix. On n’a pas envie de crever la dalle. (rires) Ce n’est pas autre chose en revanche c’est vrai que pour arriver à monter comme ça il faut vraiment tenir le coup, ne pas abandonner. Tous les gens comme Steven Wilson qui ont atteint ce niveau-là…. Je pense que tout le monde connaît l’histoire de Porcupine Tree. Steven Wilson n’est pas arrivé chez Virgin Records distribué par Universal Music du jour au lendemain. Il a galéré un nombre d’années hallucinantes, ça doit être une trentaine d’années pour en arriver là. Il a bossé comme un fou et il en est au point où il est nominé pour les Grammy, c’est énorme ! Un mec comme ça ce n’est pas son but dans la vie. On voit clairement quand on écoute sa musique, c’est un artiste, il est passionné de musique et fait ça avec cette espèce de flegme, quel talent ! Mais c’est vrai que c’est important au bout d’un moment on s’en rend compte. Quand j’ai galéré pendant 8 ans pour faire un album parce qu’il fallait que je rembourse le prêt que j’avais pour le premier. Quand on a vu la vie, la vraie, du coup au bout d’un moment lorsque tu as un label comme Frontiers, c’est l’occasion, j’ai cette chance-là, de sortir un opus tous les ans, de monter un petit peu, si je peux faire du prog’ jusqu’à la fin de mes jours, c’est parfait.

On se parle l’année prochaine alors ?
Oui, d’ailleurs il faut qu’on tienne le cap. J’aimerai que le suivant sorte l’année prochaine car, surtout, on est sur une bonne dynamique de groupe.

Nous sommes dans une société d’hyper consommation y compris pour la musique ou la nouvelle génération zappe un morceau au bout de trente secondes, en écoute sur leur portable et se penche rarement sur un album en entier. Comment te sens-tu en tant que musicien de prog’ dans ce nouveau monde technologique ?
On va dire que d’un certain coté, j’ai une grosse déception à cause de la frustration que je ressens et connais… Quand j’étais petit, j’avais à la maison un casque avec la chaine hi-fi de papa. J’étais entouré de tous ses albums. J’ai possédé un des premiers walkmans qui est sorti. Mes parents m’ont acheté un walkman, j’écoutais la musique avec le casque en fermant les yeux. J’ai toujours eu un rapport facile avec la musique. Pour moi, c’est une super forme d’art, ce n’est pas juste un truc que l’on met derrière un film. Pour moi, la musique à part entière est tellement importante que j’ai l’impression, effectivement, comme tu le dis, que maintenant il y a une espèce de truc ou finalement la musique perd un peu ses lettres de noblesses. Lorsque tu vois les budgets que certains mettent dans leur album en studio pour que ça sonne bien et que les gens écoutent ça sur des speakers de merde où il n’y pas assez de basse qui sort. Pour être intelligent quand on est face à ça, il ne faut simplement plus mettre de basse ! (rires) Mixer dans les aigus, et voilà. On n’en est pas à ce point-là. J’ai des enfants et je vois ma fille de 16 ans, je ne lui ai jamais rien dit, elle achète énormément de vinyle, elle est passionnée, ce n’est pas un truc que je lui ai dit, genre ma fille tu vas écouter des disques, ça ou ça. Non c’est venu d’elle-même, elle est passionnée. Elle écoute énormément de musique et je ne m’attendais pas à ça quand même qu’en 2023/24, ma fille achète des vinyles, des tee-shirts de groupe, écoute des cd’s et des vinyles. J’ai l’impression de me voir moi à l’époque. Finalement je me dis que c’’est un peu comme les courbes en économie, ça monte, ça descend, et là j’ai l’impression que ça remonte un peu à ce niveau-là. Je me dis on va être positif, peut être que les gens finalement vont se rendre compte déjà que les musiques créées par les AI (Ndlr : intelligence artificielle), c’est de la merde, ça ne vaut rien. C’est un gros sujet. Ça me fait un peu rire quand tu vois plein de discussion sur le sujet et tu sais pertinemment que jamais des robots vont jouer sur scène notre musique. La part belle est encore à l’artiste, je pense que du coup il faut vraiment faire attention à ça. Si les combos arrivent à rester eux-mêmes, sortir leur musique et être constant, il n’y aura jamais aucun problème à l’avenir et je pense que ça va remonter. De toute façon, même tout ce qui est intelligence artificielle lorsque le public fait des espèces de requête pour générer des choses, ils veulent des trucs dans le style de…. d’un artiste, c’est toujours mieux ! Le plus important c’est d’arriver à rester positif et se dire on va rester calme et essayer d’être nous-mêmes et encore là je sonne comme un faux cul parce que je suis fan de Yes, et Genesis, il y a plein de parties dans mes morceaux où c’est du Pink Floyd mais je pense qu’il faut rester dans son truc, coute que coute, et avancer, surtout ne pas abandonner. C’est primordial. Et je pense que l’on va arriver à faire quelque chose. Je reste positif, là c’est sûr qu’en ce moment la situation c’est un champ de guerre, c’est terrible le monde de la musique.

A l’écoute de cet opus, il y a un côté positif aussi, voire joyeux !
Ça me fait plaisir d’entendre ça. Merci beaucoup. C’est un truc que Damian voulait aussi sur Paint The Sky à l’époque, c’était important. C’est vrai que c’est toujours plus attirant le côté sombre, et il y en a aussi sur le disque. Il faut des contrastes, des passages dark aussi.

Pour conclure, qu’as-tu envie de rajouter ?
Merci beaucoup de me laisser parler de cet opus, c’est super cool, surtout en France ça fait plaisir. Et puis aussi parce que c’est du prog’ et comme je disais c’est un style qui nécessite quand même une certaine volonté de la part de l’audience de se poser pour écouter. C’est assez demandeur comme style et sur ce nouveau disque, il y a quand même moins de guitare, le coté heavy vient surtout de la batterie ! Merci de mettre en avant un projet comme celui-ci, ce n’est pas forcément le truc flashy du moment.

Publicité

Publicité