LUNAR TOMBFIELDS : Quand le soleil a rendez-vous avec la lune…

Découvert par le label d’excellence à la française Les Acteurs de L’Ombre Productions, le black metal atmosphérique de Lunar Tombfields nous avait séduits l’an passé. Un an et demi après leur premier effort, The Eternal Harvest, qui nous permit ainsi de faire connaissance avec le duo frenchy, celui-ci récidive déjà, fort de son expérience scénique acquise durant ces deux dernières années post-covid. Si l’on note une certaine évolution dans leur musique, devenue moins contemplative et plus directe, mais avec toujours cette même mélancolie, on y retrouve un concept lyrique fort, renvoyant l’Homme à sa propre condition… [Entretien réalisé avec Äzh (batterie) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Ce second album baptisé An Arrow To The Sun est-il issu de la même session d’enregistrement du premier album The Eternal Harvest, ou bien a-t’il été composé rapidement juste après, en fonction des retours que vous en avez eus en 2022 ce qui est toujours important pour un premier essai ? Comment est né An Arrow To The Sun en fin de compte ?
Pas du tout, cet album a été enregistré près de deux ans après le premier. Nous avons recommencé à composer très vite après avoir commencé à jouer live,  cela fait par exemple près d’un an que nous jouons « Solar Charioteer » en live. Nous avons d’un côté pris en compte les retours sur le premier album, qui était bon mais également imparfait, et de l’autre nous avons trouvé une nouvelle direction en emmenant nos morceaux sur scène. Je pense que c’est ce qui a fait d’An Arrow To The Sun un album plus direct, plus incisif.

Je me souviens que ton collègue M. (guitare/chant) nous avait expliqués dans notre précédente interview en 2022 que : « Lunar Tombfields  renvoie à la fois à la dimension nostalgique et historique des thématiques traitées et à l’enveloppe éthérée, quasi astrale, que nous souhaitons donner à notre son. » Et The Eternal Harvest renvoyait à comme une sorte de contemplation et une certaine nostalgie… Alors An Arrow To The Sun s’inscrit-il en connexion directe, à la fois spirituellement et lyriquement parlant, avec le premier opus qui vous a révélé au public sur la scène black metal française en 2022 ?
Tout à fait. Là où le premier album était contemplatif, presque mélancolique, ce nouvel opus et une réponse directe aux angoisses et aux atermoiements. C’est un sursaut de combativité, un appel au combat et à se tenir fort et stoïque face à l’adversité. Je t’encourage à lire les paroles pour comprendre en détail de quoi je parle ici. Je pense que la musique s’en ressent directement, les morceaux sont plus courts, plus directs, plus rapides aussi.

Au sein du groupe, quelle est d’ailleurs votre position d’un point de vue religieux ? Êtes-vous foncièrement anti-chrétien et hostile à toute religion monothéiste ? Sataniste, qui est finalement une religion monothéiste aussi mais inversée ; païen/paganiste ? Agnostique ? Athée ? Très rares sont de nos jours finalement les réels artistes black metal purement satanistes dans leur vie quotidienne… (Watain, Marduk, Enthroned,…)
Nous n’avons pas de foi, sommes particulièrement cartésiens, et pas satanistes pour un sou. Chacun a sa propre sensibilité quant à la spiritualité. En ce qui me concerne, bien que je sois parfaitement athée, je crois que chaque spiritualité (je ne parle pas ici d’églises ni de religion) est respectable et connectée à notre psyché profonde.  Tout ce qui peut élever l’âme m’intéresse, même si je n’adhère pas à la cosmologie des différents courants théistes. D’une certaine manière, jouer sur scène revient à rentrer dans une transe, à dépasser la simple dimension présente et à entrer dans une réalité parallèle où les repères et les sensations sont modifiés.

Le nouvel artwork d’An Arrow To The Sun est magnifique. Il est signé Sophie Turbé alias « Sözo Tozö » et non plus Denis Forkas comme sur le premier album. Il renvoie à plein de choses mais cela m’a évoqué le dieu grec Apollon (ou Phoebus dans la mythologie romaine) souvent assimilé à la beauté, au soleil, les arts, mais aussi à la guérison et porteur de fléaux… Il était représenté avec un arc et sa flèche mortelle dans la mythologie gréco-romaine. En fonction de vos croyances, que représente-il au juste sur cette pochette ? En effet, tu as vu juste. Les visuels de notre merchandising étaient déjà orientés en ce sens. Le personnage que l’on aperçoit n’est ni une divinité ni un être éthéré, c’est une représentation de nous, de l’humanité, minuscule face au soleil, mais qui n’hésite pas à décocher une flèche en sa direction. Que ce soit pour le rejoindre ou pour l’abattre, cela reste à voir. Nous avons d’abord contacté Denis Forkas pour l’artwork, mais comme tu le sais la situation en Europe de l’Est est quelque peu tendue en ce moment. M. connaissait déjà le travail de Sözo Tozö et nous avons pensé qu’il serait parfait de travailler avec elle. La collaboration a été très naturelle, nous sommes particulièrement reconnaissants pour son travail et son implication.

An Arrow To The Sun m’a paru plus positif et dynamique comme album que The Eternal Harvest, bien que l’intro « An Elegy to the Fog Dancer » lancinante sonne assez dark/doom metal en préambule de l’album…  Etait-ce une volonté de faire quelque chose de plus « lumineux » en quelque sorte ici, à l’image de la pochette, comme si on allait détruire le soleil mais qu’un espoir subsistait ?
C’est assez vrai et en même temps pas totalement juste… L’album peut sembler plus lumineux et positif comme tu dis, mais en seconde écoute il apparaitra plus qu’il dépeint une certaine fatalité, une certaine acceptation d’un destin tragique. Les morceaux sont plus rapides et plus mélodiques c’est vrai, et cela apporte du dynamisme et de la clarté, mais je pense que l’ambiance générale n’est pas franchement optimiste. Ce n’était pas une volonté première lors de la composition de l’album car nous fonctionnons de manière organique, sans vraiment de direction bien définie. Nous écrivons les morceaux petit à petit, de manière instinctive et s’ils sonnent comme cela, c’est parce qu’ils représentent notre état d’esprit lors de la composition.

Vocalement, quelque chose a changé. Moins de screams black, mais un peu comme Jours Pâles et Aorlhac avec Spellbound qui chante différemment, le chant de M. n’est plus systématiquement black. Il y a beaucoup de chants hurlés, plus compréhensibles du coup pour l’auditeur. A-t’il changé sa façon de chanter afin de protéger sa voix ? (abandon des « fry screams » ou « fourth chord screams ») Pour quelle raison ?
Nous n’étions pas parfaitement satisfaits du chant sur le premier album, et petit à petit, en live, M. a expérimenté et il s’avère que nous avons adopté une position plus tranchée et plus originale. Le chant hurlé correspond parfaitement aux textes que nous portons, même si les passages « screamés » sont toujours présents.

Là aussi, aucun chant féminin n’est présent contrairement à l’intro de The Eternal Harvest (« The Ancestral Conjuration »), chose qui aurait pu apporter une note de douceur, et un peu de contraste. Les claviers ont disparu. Le but était-il de revenir à quelque chose de plus direct et organique, et plus simplement à interpréter sur scène en live peut-être ?
Les claviers et le chant féminin ont disparu totalement, car ils n’avaient pas leur place. En échange, j’ai opté pour des samples plus originaux : la NASA a traduit les fréquences vibratoires des planètes du système solaire en « musique ». C’est ce que tu peux entendre au début et à la fin du « Chant Des Tombes » notamment. Il y a de nombreux extraits de ces sons tout au long de l’album, plus ou moins audibles. C’est une manière de se faire accompagner par notre cosmos tout au long de l’album et de profiter de sa grandeur, de sa puissance et de son aura.

Deux nouvelles chansons en français parmi les six figurent alors qu’il n’y en avait aucune sur The Eternal Harvest : « Représailles » ; « Le Chant des Tombes ». Pourquoi ce choix à présent ? La langue de Molière sonne-t’elle mieux pour jouer du black metal, comme Seth par exemple qui fut l’un des pionniers du genre ? Pour l’export, cela peut poser problème à l’étranger même si la French touch est plutôt appréciée ? (sourires)
Très honnêtement nous ne pensons absolument au côté marketing du chant en français, et cela ne nous intéresse absolument pas. M. passe beaucoup de temps sur les textes, et il semblait logique d’écrire en français pour qu’ils soient mis en lumière à leur juste valeur. C’est également un moyen de s’adresser directement à notre public français, mais également de profiter de la richesse de notre langue.

Au niveau du line-up, Lunar Tombfields se compose-t’il toujours de deux membres exclusivement, telle une hydre à deux têtes, avec M. (multi-instrumentiste, parolier) et de toi, Äaerzerath, alias « Ä » (batterie, mais aussi batterie) ? Y’a-t’il des invités sur An Arrow To The Sun comme il y avait la chanteuse sur l’intro de votre premier LP The Eternal Harvest ? Sur les passages narrés peut-être par exemple avec la voix masculine que l’on entend ici ou là ?
Lunar Tombfields est, et restera, toujours un duo. En fait, M. et moi-même composons les guitares à deux, il s’occupe de la basse et du chant, et moi de la batterie. D’un point de vue écriture, il s’occupe de composer premières propositions de morceaux et je me charge des arrangements. Notre musique est la synthèse de nos deux caractères et de nos deux approches musicales, indissociables l’une de l’autre. Néanmoins, il y a un invité sur cet album en effet, sur le titre « As Iron Calls… » lors de la partie de guitare acoustique. Il s’agit de quelqu’un qui m’a beaucoup influencé. Pour les passages narrés, il n’y a pas d’artifice : tu entends la voix de M.

Question live, vous avez donné une trentaine de concerts à la suite de la sortie de The Eternal Harvest. Il me semble que votre premier concert avec Lunar Tombields fut en mai 2022 pour le festival LADLO II à Nantes. Cela a dû vous donner une sacrée expérience en live après la crise sanitaire. Quel(s) souvenir(s) gardez-vous de cette série de concerts plus ou moins grands, et avez-vous des nouveaux projets de concerts cet automne ?
C’était bien à Nantes oui, mais au Ferrailleur, en compagnie de nos amis des Chants de Nihil et de Corpus Diavolis. Et nous avons bien joué au LADLO Fest II, quelques mois plus tard. On a tous les deux toujours joué en live, depuis des années et des années. La crise du covid a été particulièrement difficile, car certains d’entre nous ont vu des concerts annulés, des projets reportés. Nous étions donc particulièrement motivés lorsque l’occasion de remonter sur scène s’est présentée. On a adoré jouer notre set en live l’an dernier, et nous repartons en tournée dès la fin octobre (2023) en France et en Belgique pour une dizaine de dates. Nous jouerons l’intégralité du nouvel album, avec les mêmes musiciens live mais un visuel bien différent.

Le black metal a tendance à devenir passé de modes du côté du public, malgré les nombreuses nouvelles formations qui naissent d’un peu partout comme en France, et plus simplement en Scandinavie où ça peine à se renouveler par contre. Comment voyez-vous votre avenir sur la scène black metal européenne justement dans ce contexte où tout est cyclique (revival thrash, rock seventies, etc.) ?
Aucune idée, je suis assez peu au fait de l’état de la scène black metal actuelle. En revanche, je peux t’assurer que nous continuerons à jouer notre musique aussi longtemps que nous le pourrons, que la scène périclite ou au contraire qu’elle explose.

Question plus personnelle : je sais qu’au sein du groupe, vous êtes fans de la scène black metal américaine : Abigail Williams, Absu, mais surtout Wolves In The Throne Room… As-tu écouté leur nouvel EP Crypt Of Ancestral Knowledge ? (lire notre chronique ici) Si oui, qu’en penses-tu, notamment de leur tendance de plus en plus atmosphérique ?
Je vais être honnête, depuis Celestial Lineage, je trouve que Wolves In The Throne Room a perdu quelque chose… Leurs derniers albums m’ennuient, je ne trouve plus cette patte si personnelle qu’ils avaient à leurs débuts. J’ai vaguement écouté leur dernier mais je n’ai pas ressenti l’envie de me pencher dessus.

En conclusion, que veux-tu ajouter à propos de ce deuxième album de Lunar Tombfields et quels sont les projets du groupe ? (vidéo clips, ouvrir un jour pour un grand groupe de black metal, des festivals d’été/automne l’an prochain (Muscadeath, Tyrant Fest, Motocultor, Hellfest…), des tournées en France et à l’étranger ?)
Comme je te disais, nous enchaînons une dizaine de dates en octobre et novembre 2023, et nous préparons notre venue sur des festivals d’été l’an prochain, plus quelques dates disséminées au long de l’année. Pour le reste, nous travaillons sur différentes idées, rien de particulièrement bien défini mais l’album vient tout juste de paraître, tout reste encore à faire.

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