Fondé en 1994 et dernier pilier de la scène black metal traditionnelle en France, Merrimack fait à nouveau souffler le vent d’hiver. Loin des belles fables enneigées, Of Grace and Gravity, inspiré d’un esprit des Lumières, fait résonner un son crasseux et puissant, entre passé et présent, venu des catacombes parisiennes… [Entretien avec Perversifier (guitare) par Louise Guillon – Photos : DR]
Première question de cette entrevue, histoire de prendre un peu la température, comment s’est déroulé l’enregistrement de votre sixième album Of Grace and Gravity ?
Nous sommes allés au Studio Sainte Marthe à Paris, chez Francis Caste. Nous avons cette fois-ci opté pour ne pas enregistrer au métronome, nous avons donc dû jouer les guitares témoins pendant que notre batteur enregistrait ses prises. Nous avons ensuite enregistré toutes les guitares, la basse, et le chant chez nous, et sommes retournés en studio pour faire du ré-amping, après avoir cherché le son de guitare parfait. Puis enfin, le mixage a été réalisé au studio. Il n’y a eu aucune édition de la batterie sur cet album, nous voulions quelque chose d’authentique, de naturel, et nous espérons que les auditeurs l’entendrons telle qu’elle a été capté, surtout à l’heure où tout est compressé et édité.
Hâte de retrouver la scène alors ? Or je ne vois qu’une date au compteur le 30 mars 2024 prochain… une tournée est-elle prévue afin de faire la promo de ce nouvel opus ?
Oui, bien sûr ! Nous souhaitons promouvoir cet album au maximum durant l’année 2024. Hormis la release party le 30 mars à Paris, nous avons déjà annoncé notre participation au festival Underground for the Masses à Bucarest en Roumanie les 5-6 avril, le Black Hole Fest en Suisse les 25-27 avril, le House of the Holy en Autriche les 20-23 juin, le Forest Fest en Suisse les 12-14 juillet, et deux autres fests seront annoncés dans les semaines qui viennent. Nous discutons aussi d’un mini-tour de quelques dates juste avant le Forest Fest.
Refaire une tournée avec un groupe comme Marduk serait une expérience qui vous tenterait de nouveau, je présume ? Quel type d’expérience scénique vous motive encore après toutes ces années dédiées à la cause black metal ? Qu’est-ce qui pourrait encore satisfaire votre appétit pour la scène ?
C’est très difficile de nos jours de participer à ce genre de tournée. Les temps ont changé, et les conditions, qui n’étaient déjà pas simples auparavant, sont devenues quasi impossibles à accepter pour un groupe tel que nous. Depuis le Covid, les gens se déplacent moins en concert. Ils ont également pris l’habitude de ne plus acheter de préventes, ce qui fait peur aux promoteurs. Enfin, l’explosion des coûts de l’énergie rend les déplacements très onéreux, un tour bus coutait déjà 2 000 euros par jour auparavant, maintenant c’est beaucoup plus. Donc je ne pense pas que nous aurons de nouveau beaucoup d’opportunités de tournées comme celles que nous avons faites avec Marduk ou Mayhem. Cela ne serait pas rentable actuellement. Aujourd’hui, la « mode » est aux festivals, ils ont peu à peu remplacé les petites dates dans les clubs. C’est dommage, mais nous nous sommes adaptés, et nous nous produisons à ce genre d’évènements.
Of Grace and Gravity est album puissant musicalement, mais également dans ses paroles et j’encourage nos lecteurs à lire attentivement les textes. Qu’est-ce qui vous a le plus inspiré, la vie et les émois religieux ou politiques ? C’est très troublant cette ambivalence à la lecture des paroles, et ce, de manière constante. Peut-être que je me fourvoie, mais j’ai eu cette impression de percevoir une réalité politique et social à travers un vocabulaire très religieux, comme une sorte de métaphore filée qui permettrait de lier diverses thématiques et de « poétiser » quelque part ce monde en proie à une crise sans précédent.
Nous ne souhaitons pas faire d’explication de texte pour nos paroles. Après tout, il s’agit d’une forme de poésie, et cela laisse évidemment libre court à des interprétations, chacun pouvant alors se forger sa propre compréhension, en fonction de ce qui lui fait écho. Évidemment, les évènements récents ont eu une influence, il y a quelques indices disséminés par-ci, par-là. Mais l’inspiration trouve sa source dans toute chose, que cela soit l’actualité, la politique, la religion, la science, ou tout simplement des évènements vécus du quotidien.
Au regard de votre carrière, de vos inspirations et de la scène metal actuelle, comment définiriez-vous le black metal international ?
À vrai dire, le black metal est mourant. C’est un style qui s’est épuisé, et il devient très difficile de trouver des albums récents de qualité. Le terme de black metal d’ailleurs ne veut plus dire grand-chose depuis longtemps, tant ce style s’est démultiplié en des centaines de sous-styles, de branches, et ramifications. J’aurais tendance à dire que Merrimack est encore un représentant d’un black metal typique des années 90/2000, assez traditionnel, car finalement, c’est ce qui nous plait. C’est le style que nous regrettons, qui nous a animés et nous anime encore, je suis à titre personnel peu réceptif à tous les mélanges de genre et expérimentations hasardeuses.
Vous aviez évoqué il y a quelques années votre envie de retourner aux sources du son et de la noirceur du black metal, notamment de par vos inspirations et albums fétiches (Darkthrone et Mayhem notamment). Est-ce toujours la ligne de conduite de Merrimack à l’heure actuelle selon toi ?
Oui, cela a encore plus été le cas sur cet album. Comme je l’expliquais auparavant, nous avons tout d’abord décidé de faire un album plus naturel, sans enregistrer au clic, et nous avons aussi redéfini notre son de guitare. Nous voulions un son plus dangereux, plus abrasif, plus agressif, tout en restant dans l’ère du temps, et qui permet malgré tout de discerner chaque détail de notre musique. Nous avons souvent trois lignes de guitares différentes superposées dans notre morceau, et je trouve qu’on les distingue parfaitement sur cet album, bien que nous ayons ce son vraiment très acéré.
Pensez-vous que la scène black metal est contaminée par une surproduction massive de nouveautés pas toujours qualitatives ? Comment arrivez-vous à trouver votre place dans ce joyeux méli-mélo de mélanges des genres dans le metal ? Peut-être grâce à votre carrière et votre longue expérience ?
Oui, il est évident qu’il y a une saturation en terme de sorties. Il y a trente ans, seuls les meilleurs groupes réussissaient à attirer une maison de disques et à signer un contrat. De nos jours, chaque groupe peut sortir son album sur un petit label qu’il a limite créé lui-même, ou le sortir en auto production, ou même le mettre à disposition sur des plateformes comme YouTube, Bandcamp, etc., et le promouvoir sur ses réseaux sociaux. C’est un changement d’ère, qui a contribué à tuer ce style de musique, la rendant beaucoup trop accessible, aussi bien pour les auditeurs, que pour les « artistes ». Nous ne cherchons pas à trouver une place au milieu de tout ça. La place se trouve elle-même, en sortant des albums de qualité, en produisant des concerts mémorables, et en restant fidèles à notre ligne conductrice depuis trente ans.
Concernant ce manque de réelle « nouveauté » dans le black metal, au sens « originalité » du terme, pensez-vous qu’il s’agit d’un problème d’ordre générationnel ?
Je pense qu’au contraire il y a beaucoup de créativité, mais qu’on ne peut plus vraiment appeler cela du black metal. Il y a une quantité infinie de « cross-over » entre le black metal et d’autres genres, des tonnes d’expérimentations, ce qui fait que c’est devenu un fourre-tout un peu fouillis, où les codes ont peu à peu disparu. Maintenant, on commence à parler de « post black metal », ce qui est révélateur que le black metal est un style qui tend à disparaitre… Il restera toujours des groupes, qui plairont à des puristes ou des nostalgiques, mais il ne faut pas s’attendre à un nouveau souffle. Évidemment, les jeunes générations ont connu le black metal sous un autre prisme. Dans un monde qui est devenu un « safe space », où plus rien ne doit être sulfureux, où tout se joue à base de communication sur des réseaux sociaux, etc. Tout cela est incompatible avec le genre originel en fin de compte.
Pour le mot de la fin, avez-vous déjà en tête un autre projet musical à venir, quel qu’il soit (EP, album, collaboration avec un split…) ? Si oui, pouvez-vous déjà nous en parler un peu ?
Non, pour l’instant, notre objectif est de promouvoir cet album Of Grace And Gravity, puis de faire une pause bien méritée. Composer et enregistrer un album est un travail de titan, qui prend des années, et généralement, nous faisons un break après nos sorties, afin de nous ressourcer, jusqu’à ce que l’inspiration nous revienne, et que l’envie de reproposer quelque chose nous hante à nouveau.
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