Alors que la grisaille et l’humidité persistent en ce début d’automne, pardon, de printemps en Europe occidentale, et que le soleil n’arrive toujours pas à percer notre ciel grisâtre pour réchauffer nos cœurs, que ce soit en France ou bien outre-Manche, quoi de mieux que de savourer justement la dernière offrande des Anglais de My Dying Bride pour entretenir un peu plus notre spleen hivernal… En provenance directe de nos chers producteurs de doom d’Halifax, la capitale du doom metal britannique (Paradise Lost, My Dying Bride…), A Mortal Blinding voit la bande à Aaron Stainthorpe et Andrew Craighan briller de mille feux encore dans leur art mélancolique, quatre ans après l’excellent The Ghost Of Orion pour lequel nous nous étions d’ailleurs entretenus avec son chanteur et parolier. Seuls membres originels, nos Anglais expriment tout ici leur savoir-faire en la matière, et il faut dire que les bougres demeurent bons et encore inspirés malgré les années, même s’il y a eu parfois des hauts et des bas.
Si le classique « Her Dominion » pose les bases d’emblée d’un doom metal bien heavy et hargneux par les growls d’Aaron Stainthorpe, on est sur du terrain connu, certes, mais franchement convaincant. Le violon de Shaun MacGowan, toujours là quand il faut et sans abus, apporte cette touche folk et mélancolique développée il y a déjà une bonne quinzaine d’années. Le refrain nous captive déjà, les breaks nous réveillent un peu. Une belle entrée en matière des Anglais. Puis le single « Thornwyck Hymn », avec son vidéo clip à la photographie réussie et à l’humidité omniprésente, permet au chanteur d’évoluer en voix claire sur des leads dépressifs au possible, renforcés là encore par ce violon utilisé avec tact. Telle une chape de plomb, les riffs de guitares vous accablent un peu plus dans les profondeurs des ténèbres. La production sonore une nouvelle fois réalisé chez et par Mark Mynett (Kill To This, ex-Ayin Aleph) apparaît très propre, et permet d’apprécier pleinement la richesse des mélodies des Anglais. Plus atmosphérique mais tout autant dépressif, « The 2nd Of The Three Bells » propose une jolie entrée en matière, tout en grâce, presque religieuse. La seconde partie du morceau s’énerve toutefois un peu.
Arrivé au milieu de l’album après des plages sonores d’environ six à sept minutes, « Unthroned Creed » donne dan le lourd de chez lourd, avec des riffs imposants et un break intéressant et sombre, proche d’un Triptykon dans un court phrasé d’Aaron, avant que sa voix claire ne vienne nous caresser et le violon aussi…C’est dark et extrêmement heavy. Du doom, quoi ! Certains relents peuvent rappeler l’excellent album The Light At The End Of The World (1999) avec ses rebonds énervés et progressifs. Puis arrive « The Apocalyptist », certainement la chanson phare de l’album. A l’instar de « The Solace » sur le précédent effort, ce morceau s’avère d’une incroyable force. Puissant, épique, d’une durée de plus de onze minutes, ses gimmicks de guitares vous font grincer des dents, puis les riffs plombés là encore, et le violon de Shaun MacGowan, et même la basse de la trop souvent discrète (mais efficace) Lena Abé vous glacent alors le sang dans vos veines. Les breaks sont mystérieux, on est impressionné par ce petit chef d’œuvre qui ne vous laissera pas indifférent. Et si vous zappez, vous tomberez sur « A Starving Heart », quelque part entre les premiers Within Temptation, le meilleur de Swallow To The Sun, ou les derniers Paradise Lost. Bien qu’évoluant alors principalement en voix clair, le grand chanteur (avec toujours ses stigmates du Christ sur ses mains dans les vidéoclips) vous donne vraiment envie de pleurer. Heureusement la batterie relance les choses, et on bascule sur un death/doom plus agressif avec les growls de Stainthorpe. La fin est magnifique. Enfin, « Crushed Embers » conclut ce bal funéraire. Musicalement, dans tout ça, l’architecte de toutes ses mélodies sinueuses et sans fin demeure néanmoins Andrew Craighan qui prend le temps de travailler, créer, et peaufiner ses riffs sur sa guitare six cordes (il n’a pa cédé à la mode des sept ou huit cordes) et chaque tempo chez lui, dans son antre, avant que les chansons prennent forme progressivement, comme il nous l’a expliqué dans notre récent entretien. Puis Aaron appose son chant avec ses paroles toujours très personnelles et métaphoriques.
Si The Ghost Of Orion frôlait la perfection absolue, A Mortal Blinding n’en est pas loin et s’inscrit dans sa belle lignée. On peut aussi le rapprocher d’A Map Of All Our Failures. Avec sa track-list de huit morceaux au total, chaque chanson est une ode à la tristesse, mais dans ce qu’elle a de beau, de pur, de personnel, et au bout, quel que soit la voie choisie, on y trouve finalement une lumière, une certaine réussite individuelle, dans une forme de contemplation. Bel et bien vivant, My Dying Bride a et aura eu finalement une belle carrière, et sa féconde discographie laissera finalement un magnifique témoignage et mode d’emploi ou aide à la déprime, pour avancer un peu plus chaque jour dans la vie, face aux obstacles, et faisant aussi relativiser les choses. Quand on y réfléchit au final, dans ses petits malheurs du quotidien, il y a des évènements bien plus graves dans le monde, et tout n’est finalement que mental, en se mettant soi-même une cage invisible, sa propre prison qui ne demande qu’à exploser en éclats. Tout n’étant finalement qu’une question de point de vue. Mais il y a des vrais malheurs personnels avec lesquels on doit cependant continuer à vivre. Et ça, Aaron Stainthorpe, ne le sait que trop bien puisqu’il accompagne et se bat auprès de sa fille malade d’un cancer depuis sa tendre enfance. Après l’album Feel The Misery, en 2017, il avait dû annuler plusieurs concerts à des festivals en raison de sa rémission. [Seigneur Fred]
Publicité