MY DYING BRIDE : Doom forever

En 2020, nos amis rosbifs publiaient The Ghost Of Orion, un véritable petit chef d’oeuvre de doom metal lyrique frôlant la perfection que nous avait alors présenté son sympathique chanteur Aaron Stainthorpe. Produit sous la houlette du guitariste et ingénieur du son Mark Mynett (Kill To This), cet album affichait une belle santé de My Dying Bride, après tout de même trente ans de carrière ! Inlassablement, ces maîtres de l’art mélancolique où le spleen est roi et les guitares pleurent littéralement, continuent avec brio leur chemin de croix sur A Mortal Blinding. On peut donc s’interroger où trouvent-ils encore cette inspiration du côté de Halifax (Yorkshire) en Angleterre ? A l’occasion de la sortie de leur quinzième opus studio, nous avons tout simplement posé la question au guitariste originel Andrew Craighan, chef d’orchestre et architecte de ce doom metal si beau depuis plus de trois décennies maintenant. [Entretien avec Andrew Craighan (guitares) réalisé via Zoom le 26/03/24 par Seigneur Fred – Photos : DR]



En premier lieu, comment vas-tu à Halifax, la capitale du doom metal britannique (My Dying Bride, Paradise Lost, Strigoï…) ? (sourires)
(rires) Je vais très bien, je te remercie. La météo est d’ailleurs très doomy ici, très grise et humide en ce moment… (Ndlr : interview réalisée en mars) Pas de soleil, c’est très triste, mais pour faire une interview, ça me va, je dois dire. (sourires)

Je te rassure, c’est pareil ici en France aussi… C’est très intéressant de t’interviewer aujourd’hui car tu es le guitariste originel et membre co-fondateur de My Dying Bride depuis 1990. Généralement, j’ai plutôt à faire à ton chanteur, Aaron Stainthorpe, comme la fois dernière pour la promotion de The Ghost Of Orion en 2020. Parfois aussi, dans le passé, j’avais rencontré ton ancien second guitariste, Hamish Glencross. D’ailleurs que devient-il ?
OK. Hamish, eh bien ! Après avoir joué dans Vallenfyre, il a ensuite lancé son propre groupe depuis son départ de My Dying Bride. Ça s’appelle Godthrymm. Ils ont déjà publié un ou deux albums, je crois…

On parlait à l’instant de Halifax, la capitale du doom. En tant que membre pilier du groupe depuis ses débuts, qu’est-ce qui te motive encore à écrire et jouer du doom metal, après toutes ces années dédiées à My Dying Bride et à ce style du musique si particulier ? Tu ne t’en lasses jamais ? Un peu comme un sportif de haut niveau qui, à son apogée, a donné le maximum de lui-même, et ne peut faire mieux, et raccroche car usé par le temps…
Je vois ce que tu veux dire et en comprends parfaitement la dimension. En fait, ce qui me fait avancer et continuer à faire ça, j’aime faire ça, tout d’abord, et j’apprécie les répétitions du groupe, entre nous, j’aime toujours ça. Par exemple, ça m’a manqué durant la pandémie. Et quand on a recommencé à se retrouver, jouer ensemble, c’était comme un renouveau, régler le matériel, pousser fort le volume et jouer tous ensemble, c’était vraiment appréciable de se retrouver ainsi. On recherche ça. D’ailleurs, on est content de ce que l’on a accompli encore une fois sur le nouvel album. Il n’y aucun regret, on joue ce que l’on aime à fond. Le processus entier repose sur ça. Mais il ne faut pas se mentir, c’est beaucoup de travail, c’est dur parfois, mais quand on regarde le résultat final, on est ravi. Je pense que c’est un superbe disque : la musique est très bonne, les chants sont très bons, l’artwork est magnifique. L’ensemble est réussi, et ça reste du plaisir avant tout, comme pour Aaron. Je ne sais pas encore combien de temps on continuera mais le fait que l’on se débrouille par nous-mêmes, sans manager, et que l’on n’est devenu trop populaire, à la mode, mais en même temps on est sorti de l’underground, on a trouvé le juste milieu dont le groupe évolue en tant que formation du nord de l’Angleterre. Et on ne fait pas plus de plans que ça, et ça nous va ainsi.

Quand tu regardes quatre ans en arrière, en 2020, votre précédent album The Ghost Of Orion fut un sacré album, quasi parfait, un chef d’œuvre dans votre longue discographie, produit par Mark Mynett (Kill To This). Cela n’a pas été trop difficile de se remotiver pour faire encore mieux la fois suivante, non ? Comment as-tu fait pour te surpasser sur le nouveau, A Mortal Blinding, enfin toi et les autres ?
C’est une bonne question… (rires) Je ne sais pas pour les autres mais je vais tâcher de te répondre pour ma part. Ce qui est arrivé donc, me concernant, après The Ghost Of Orion, une fois que l’on eu fini de le composer, l’enregistrer, de le mixer, etc. il y a eu donc la pandémie de covid-19. Ce fut alors une drôle de période… On s’est dit que l’on avait peut-être fait là, en effet, notre meilleur album à ce jour, peut-être le meilleur au monde, même ! (rires) Non, mais on s’est dit que l’on ne pourrait jamais faire mieux après…

Vous auriez pu arrêter votre carrière et partir en retraite, comme Slayer ! (rires) Pour revenir ensuite pour quelques shows à droit à gauche dans le monde entier… (sourires)
(sourires) Après plusieurs années, le besoin de faire un nouvel album est simplement réapparu. Et tu sais, je compose et écris continuellement de la musique, j’ai toujours de nouvelles idées de riffs qui me viennent, que j’enregistre. Et en répétition avec le groupe, on essaie de nouvelles choses, et peu à peu, les choses prennent place, et on a senti que l’on avait de quoi faire un nouvel album, clairement. Voilà comment les choses sont arrivées, tout simplement. L’amour d’écrire, de faire de la musique ensemble, avec une orientation plus dure, plus heavy, c’est venu naturellement. On n’a pas à se forcer, tu sais, je ne sais pas comment décrire cela, mais c’est en nous, c’est inné. Par contre, à chaque dernier album, après coup, on se dit que c’était brillant, mais à chaque fois on arrive à faire encore mieux… (sourires)

Es-tu sensible aux critiques des fans sur internet ? Je ne parle pas là des critiques presse comme les nôtres, mais vraiment des avis des fans ? En tiens-tu compte quand tu composes ta musique ou tu t’en moques ?
Eh bien ! Je ne peux pas dire que j’en me fiche ou que je ne peux pas, mais je ne suis pas vraiment cela… Mais c’est impossible de satisfaire tout le monde. Certains avis sont intéressants, et leurs critiques, du moment qu’elles sont constructives, qu’elles soient négatives ou plutôt encourageantes, ça me va, mais on ne peut prendre en compte tout ça, sinon on ne s’en sort pas. Donc je fais d’abord la musique que j’aime, pour moi, la musique qui correspond à My Dying Bride et l’idée que l’on s’en fait dans le groupe. Et ça nous correspond, alors c’est bon. Si j’écoutais l’avis de certains de nos fans, on referait encore et toujours le même disque, Turn Loose The Swans… (rires)

Il faut donc être un peu égoïste afin d’avancer, et faire sa propre musique, si l’on veut rester créatif. Et My Dying Bride fonctionne encore à l’ancienne : vous vous voyez et répétez régulièrement physiquement, et non pas à distance, chacun dans votre coin, comme certains artistes qui apprennent les morceaux sans jamais se voir, sauf pour les tournées…
Les nouvelles technologies ont évolué et permettent de chouettes choses, c’est vrai, et il y en a qui fonctionnent comme ça. Très bien pour certains groupes. Pas nous. Nous, on a besoin de se voir, il y a de l’électricité, une ambiance quand on joue ensemble et répète. Socialement, c’est important pour nous tous. Tiens, par exemple, après le covid, qui voulait encore rester chez soi ? Pas grand monde. Les gens voulaient ressortir et se retrouver ailleurs. Et les répétitions ont un rôle important pour nous, même si parfois, on a tous nos vies et des empêchements.

Au niveau du line-up de My Dying Bride, qui est votre batteur officiel à présent ? Jeff Singer (du groupe Kill To This), comme sur le précédent album The Ghost Of Orion, ou bien un certain Dan Mullins ?
Il s’agit à présent de Dan Mullins, qui avait déjà officié pour nous (Ndlr : 2007-2012). En fait, Jeff a joué avec nous ces quatre années durant, et il a fait du beau travail sur The Ghost Of Orion. Mais ça devenait difficile avec sa vie familiale, et puis il est toujours dans le groupe Kill To This, et accompagne aussi Mark Deeks (Winterfylleth) dans son projet doom, Arð. Et puis même si c’est un batteur brillant et un bon ami, il ne vit pas dans notre ville de Halifax, la capitale du doom metal comme tu disais, donc on a préféré Dan Mullins. (rires) On n’est pas du genre à répéter par Skype ! (rires)

A propos du nouvel album, A Mortal Blinding, et plus généralement, comment fonctionnez-vous pour la composition et l’écriture des chansons ? C’est toi qui crées tout la musique, et Aaron se charge des textes et des chants ? Quelles sont vos habitudes lors du processus créatif au sein de My Dying Bride ?
Alors, sur le nouvel album, j’ai apporté la plupart des musiques, des harmonies, à la guitare. Donc j’apporte ça en répétition en planifiant cela. On répète en moyenne deux fois par semaine, juste la musique d’abord, sans les paroles ni chant. Juste la musique. Ensuite, là on commence à voir et placer les parties de chant, de violon, claviers, puis les divers arrangements. Tout prend son sens une fois que l’on a assemblé les harmonies et choisi les bonnes notes pour ajouter le chant, et les autres instruments additionnels. Donc voilà comment on a fonctionné et fonctionne généralement. Pour les paroles sur ce nouvel album, je n’en ai pas écrites, contrairement aux fois précédentes. Là c’est Aaron qui a tout écrit. Généralement, tout part d’une atmosphère, d’un riff, qui nous inspire, Aaron ou moi, pour écrire les paroles. Notre imagination prend alors forme… On écrit des titres de textes, ce qui nous vient alors à l’esprit si tu veux. Une fois la musique et l’idée principale, on écrit autour de ça, voilà comment on fonctionne. On sait ce que l’on fait. Chacun sait ce qu’il a à faire. C’est un dur labeur, bien sûr, mais à chaque fois, le résultat est phénoménal.

Et comment ça se passe pour les parties de violon et de claviers interprétées par Shaun MacGowan ? Car elles ne sont pas systématiques et vous n’en abusez jamais. Est-ce Shaun qui propose ses interventions car c’est délicat pour lui de trouver sa juste place dans ses longues chansons mélancoliques… ?
En fait, c’est moi qui décide. (rires) J’écris ses parties quand on répète ensemble étant donné que j’ai une vision plus globale. Mais je lui dis au départ de jouer sur tout, sur toutes les harmonies de guitares, et puis on adapte en fonction du chant d’Aaron et des respirations. Pareil pour les claviers. Tu sais, avec Shaun, il est dans le groupe depuis près de vingt ans sur scène, et officiellement depuis quinze ans, donc je lui fais confiance. L’idée est d’utiliser le violon et les claviers avec parcimonie. En fait, dès qu’il y une intervention au violon par exemple, ça doit te fendre le coeur, voilà l’idée. Donc ça rejoint ce que tu disais, ce n’est pas systématique, et il faut que ce soit au bon moment. On ne veut pas que ce soit en permanence en fond, non. Ce doit être à un moment spécial.

Côté paroles, c’est Aaron qui a écrit tous les textes, mais parle moi un peu des chansons « The 2nd of Three Bells » et « The Apocalyptist » qui m’ont particulièrement marqué…
Là c’est Aaron qui a tout écrit une fois de plus sur l’album. Mais par exemple, sur les chansons « The 2nd of Three Bells », et « The Apocalyptist », j’ai amené le thème principal de chacune de ces chansons. On en a parlé, ça devait respecter l’ambiance de l’album, et il a ensuite écrit les paroles. Il a formulé après ses parties de chant là-dessus par rapport aux harmonies de guitares et ce que ça l’inspirait. On a travaillé sur une préproduction avec Mark Mynett (Kill To This) en studio. Sur cet album, j’ai composé des riffs vraiment heavy, on voulait ça, de gros riffs, et on a travaillé dans ce sens. Du coup, il y a aussi plus de parties death/doom metal et de growls de la part d’Aaron au chant. On a tous trouvé ça génial.

C’est ce qui fait que par moment l’album sonne assez féroce, plus féroce même, sur une même chanson…
Oui, c’est le mot, « féroce », tu as raison. Je vois ce que tu veux dire. Et c’est assez technique comme performance vocale pour Aaron, même si ce n’est pas vraiment nouveau pour nous.

Dans le développement des chansons, les breaks, et les parties plus brutales et contrastées au sein même des morceaux, cela m’a rappelé parfois certaines parties de votre album The Light At The End Of The World sorti en 1999…
Ouah ! Eh bien ! Cela nous rajeunit pas ! (rires) Je vois ce que tu veux dire. Il y a, en effet, des similitudes avec The Light (…)

A Mortal Blinding est plus contrasté et heavy que The Ghost Of Orion qui était lui, plus lyrique, plus mélodique et épique peut-être…
Il y a des différences de contextes dans lesquels ces deux derniers albums ont été réalisés. C’était une période particulièrement difficile et sombre pour The Ghost Of Orion, puisque la fille d’Aaron, notre chanteur donc, était malade (atteinte d’un cancer) alors qu’après elle était en rémission. Aaron s‘est battu avec elle. Le groupe aussi, du coup, s’est battu et l’a soutenu. Voilà pourquoi A Mortal Blinding est peut-être plus dur et contrasté. Entre-temps, l’ambiance de la pandémie n’était pas très joyeuse non plus. Mais indépendamment de ça, de manière authentique et spontanée, les sujets que nous voulions aborder étaient plus sombres encore, et même si je ne dirai pas que nos albums sont particulièrement joyeux en général (rires), disons que sur A Mortal Blinding, il y a plus de vie. C’est plus contrasté au final. Voilà pourquoi tu ressens ça, je pense, à leur écoute.

Comment se porte d’ailleurs la fille d’Aaron Stainthorpe ? As-tu des nouvelles ?
On va dire qu’elle va bien pour le moment, même s’il faut rester prudent. Elle a des traitements à vie, et a des séquelles, mais d’extérieur, c’est une fille tout à fait normale. Elle a onze et douze ans maintenant, et grandit. Donc c’est bien, par rapport à l’époque où elle était très malade.

Retrouve-t’on des duos spéciaux sur A Mortal Blinding comme celui fantastique de « The Solace » figurant sur The Ghost Of Orion avec Lindy Fay-Hella (chanteuse de Wardruna et en solo dans son projet pop/folk/new wave Lindy Fay-Hella & Dei Farne dont notre interview arrive très bientôt) ? Il ne m’a pas semblé en entendre cette fois… Pourquoi ?
Non, en effet. Quand on s’est retrouvé pour répéter et créer ce nouvel album, on s’est dit que ce serait juste du My Dying Bride, rien que nous six, sans aucun autre membre ou invité, afin de se retrouver. On voulait revenir aux fondamentaux. On n’avait pas spécialement envie cette fois d’un nouvel instrument, une nouvelle voix. Donc on a convenu cela dès le départ. Mais attention, le succès que l’on a rencontré avec les interventions de Jo Quail au violoncelle, et Lindy Fay-Hella dont tu parles avec sa voix magnifique, a été vraiment phénoménal. C’était vraiment très professionnel et magnifique, et en studio, Mark Mynett a fait vraiment un travail appliqué là-dessus. Ça nous donnait des frissons. Cela a vraiment apporté une nouvelle dynamique à l’album The Ghost Of Orion. Mais on ne voulait pas juste répliquer, copier les mêmes choses sur ce nouvel album A Mortal Blinding. Aussi, pour être honnête, on voulait donc revenir à quelque chose de plus basique, car on est avant tout un groupe de metal, de doom metal, ou de heavy metal au sens large. Après, on verra par la suite. Qui sait ? Pour le prochain disque, il y aura peut-être du trombone, ou du banjo !

Le saxophone revient à la mode, y compris dans le metal, regarde des groupes Shining (Norvège) ou Ihsahn !Oh, le saxo est un drôle d’instrument. Je ne pense pas que ça collerait bien pour autant à l’ambiance de My Dying Bride, car c’est un instrument tactile trop délicat et sexy pour nous ! (rires)

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