NOSTROMO / CONJURER / THE DISCORD : LIVE REPORT @La Fabrique – LAVAL (FR) LE 20/10/2023

Quasiment un an jour pour jour, Nostromo publiait son quatrième LP, le monstrueux Bucéphale que nous vous présentions d’ailleurs en avant-première dès juillet 2022. Depuis, le fameux quatuor de grindcore n’a cessé de tourner (notamment avec Meshuggah en France, rien que ça !). On avait d’ailleurs fait le bilan l’été dernier avec eux au festival Motocultor 2023 (notre interview est à retrouver ici). Pour fêter ce premier anniversaire, nos fidèles amis helvètes repartent en tournée européenne cet automne en compagnie de Conjurer, nouvelle sensation sludge/doom moderne de la jeune génération metal/hardcore anglaise en plein essor (lire notre interview). Ces deux incontournables formations, si uniques en leur genre, étaient de passage à Laval le 20 oct. 2023 avec, en ouverture des hostilités, les locaux de l’étape, The Dischord, belle découverte de hardcore/metal repérée au dernier Hellfest sur la Hellstage. [Texte et photos live : Seigneur Fred]

THE DISCORD : Les « faux » inconnus

C’est donc The Discord, bien connu des Lavallois puisque ce sont les ex-membres de Fat Dead Shit, qui a l’honneur de chauffer le public présent qui, pour l’heure, ne remplit qu’à moitié la superbe salle de La Fabrique, située en pleine zone d’activités dans la banlieue de Laval. Formés en 2020 durant la pandémie sur les cendres de plusieurs anciennes formations mayennaises et déjà auteurs d’un EP, An Ocean Of Fears, en 2022, ils vont nous en interpréter plusieurs extraits avec grand professionnalisme (on ressent l’expérience de chacun des membres), bénéficiant d’un son aux petits oignons, pas trop fort (ça cognera bien plus tard) sur une grande scène dotée de lumières tout à fait correctes. Nous aurons même le privilège d’écouter une tout nouvelle chanson à l’intro très heavy puis à l’esprit assez punk/hardcore par la suite. Le trio livre alors un set impeccable d’une bonne quarantaine de minutes, essayant de faire bouger des spectateurs connaisseurs et respectueux, mais plutôt sages à part au premier rang. Ça commencera à s’exciter seulement sur la fin malheureusement. Ne manquez pas The Discord si vous avez l’occasion de les (re)voir car leur groove dans leurs compositions et leur côté « in your face » nous a emballés dans tous les cas, et on en redemandait presque ce soir.

THE DISCHORD

CONJURER : Le calme avant la tempête…

Tout commence par une petite intro dérangeante à la guitare qui vous hante l’esprit comme si vous sortiez d’une étrange léthargie après une lobotomie. Il s’agit de la chanson « Rot » tirée de leur second et dernier opus en date, le bien nommé Páthos paru en 2022 sur le label Nuclear Blast, le mastodonte allemand ayant repéré cet incroyable groupe anglais (notre chronique album ici) après un premier LP Mire chez Holy Roar Records en 2018. Originaires de Rugby (ça ne s’invente pas), nos quatre rosbifs vont envoyer du lourd avec leur doomµ/sludge post hardcore, mais tout en subtilité, nous faisant ainsi passer par toutes les émotions, telles des montagnes russes.

Nous avions déjà interviewés en 2022 un de leurs deux guitaristes/chanteurs, Brady Deeprose, situé à droite sur la scène. Celui-ci nous avait expliqué venir de la scène metalcore anglaise, tout comme son acolyte, l’impressionnant Dan Nightingale, sur la gauche avec sa Les Paul, à l’exception près que Dan est issu de la scène folk, avant de se pencher durant dans son adolescence dans le metal et le hardcore. Forts d’une récente tournée américaine avec Khemmis, mais également d’une précédente tournée britannique en début d’année aux côtés des vétérans du death/grind Carcass, nos Anglais avaient vraiment à cœur de venir jouer chez nous, les « frogs » comme ils disent outre-Manche. Hé bien, c’est chose faite ce soir à Laval où l’audience française les découvre littéralement ce soir à Laval, et la veille à Paris au Glazart (Jaja de Nostromo nous confiera que ce concert de la veille à la capitale fut bouillant, la salle étant plus petite). Les spectateurs seront particulièrement attentifs et assez réceptifs face à la déferlante sludge/doom metal aux influences hardcore que propose avec sincérité et modernité le combo britannique, comme si c’était leur dernier show ce soir…

Nos Anglais joueront essentiellement des morceaux de Páthos, promotion oblige. Longs et contrastés, intenses en énergie et émotion, les titres vont s’enchaîner pour constituer un set en béton armé où heureusement, on pourra parfois prendre quelques respirations lors des rares passages non saturés. Les guitaristes Dan et Brady apparaissent très concentrés et sérieux, ils ne communiqueront pas avec le public avant la fin quasiment et lâcherons leurs premiers sourires et des regards compliés une fois arrivés au trois-quarts du set. Quand la pression retombera. Bon, il faut dire qu’on est pas là pour rigoler, leur concert ayant comme une fonction cathartique pour eux. Leur dernier album ne s’appelle pas Pathos pour rien.

Leur batteur Jan Krause envoie du lourd également, passant d’accélérations intenses death voire black metal à des rythmiques pachydermiques sur des riffs plombés et accordés six-pieds sous terre. On est happé par la puissance de leur show. Le son est là encore très bon, et les lights superbes. Et il faut ça pour Conjurer car leurs chansons sont relativement complexes, passant d’un passage en guitare clean ou acoustique (« It Dwells ») à d’énormes passages saturés flirtant avec le sludge et le deathcore, empruntant même au death metal moderne de Gojira dont ils sont fans, mais toujours avec un son propre. On ne parle donc pas là de sludge à la Eyehateged ou Kruger, mais d’un genre nouveau de sludge metal, aux influences multiples, comme des accents post hardcore, et deathcore. A eux seuls, les quatre musiciens de Conjurer redéfinissent tout simplement le doom metal moderne d’aujourd’hui, eux qui ont grandi dans leur Angleterre natale avec du metalcore mais aussi les classiques du metal anglais comme Paradise Lost, My Dying Bride, Cathedral, Napalm Death et Carcass…

L’un des plus énervés du groupe de Rugby est sans aucun doute le bassiste longiligne Conor Marshall. Avec sa barbe et sa longue chevelure, il ne va cesser de headbanguer sur les passages brutaux comme un diable à s’en briser la nuque, quelque part entre le jeu de scène des débuts de Christian Olde Wolbers (ex-Fear Factory, Powerflo, actuel Vio-Lence) et le jeune Jason Newsted période …And Justice For All (ex-Flotsam and Jetsam, ex-Metallica, ex-Voivod…). Pour l’anecdote, il est aussi membre des thrasheurs de Sylosis qui viennent d’ailleurs d’accoucher d’un énorme nouvel album, A Sign of Things to Come (Nuclear Blast). Ce dernier n’hésitera pas en toute fin du show à rejoindre le pit et s’énerver auprès des spectateurs quelque peu surpris mais dont les premiers rangs n’attendaient que ça, afin d’exprimer toute sa rage et faire bouger le public lavallois plutôt réservé jusque-là. Un show énorme, donc, de Conjurer, pour un groupe tout simplement hors-norme !

Conor Marshall : bassiste de CONJURER, mais aussi des excellents thrasheurs de SYLOSIS !

Setlist CONJURER :

NOSTROMO : Véritables orfèvres du grindcore suisse

Dans l’espace, ou plutôt dans le noir ici, personne ne vous entend crier…

Au lendemain de leur prestation parisienne chaud bouillante, Nostromo remet ça ce vendredi soir à Laval. Quel privilège de les (re)voir dans cette belle salle ! Passée l’habituelle intro de concert, les très attendus Genevois commencent doucement mais sûrement avec « Ship Of Fools ». Ce premier titre est d’ailleurs à l’image de leur dernier opus, le très sombre Bucéphale duquel il est issu. Après le précédent set de Conjurer envoyé d’un bloc, ce qui a pu en mettre certains KO sur le ring, ou plutôt dans le pit, le grindcore moderne et désormais plus nuancé de nos p’tits Suisses passe comme une lettre à La Poste ici à La Fabrique (lieu justement situé à côté du centre de tri postal pour l’anecdote). Les vieux fans sont au taquet, et les nouveaux découvrent.

Très vite, Max, derrière ses fûts, accélèrent sur la fin du morceau et n’hésite pas à blaster dans une apparente facilité totale, alors qu’au chant, le charismatique Jaja s’énerve, avec toujours ses allers et retours incessants sur scène et son lancé de micro avec son fil. S’en suit immédiatement le brutal et direct « IED (Intermittent Explosive Disorder) ». Là tout le monde se prend d’emblée un uppercut en pleine, malgré quelques problèmes sonores (aucun retour pour son chanteur sur scène). Des samples ne partent pas, mais c’est pas grave, c’est bien oublier que nos gaillards ont des racines punk/hardcore, et savent enchaîner. La tension monte dans le pit, ça bouge, notamment sur l’entraînant « In Praise Of Betrayal ». Finalement ces nouveaux morceaux passent très bien l’épreuve du live, comme on avait déjà pu le constater en mars dernier à Orléans à l’Astrolabe, ou bien en festivals cet été 2023 (Hellfest, Motocultor…), même si Lad et Jaja nous avaient confié qu’ils s’attendaient à mieux. Mais peut-être que Bucéphale commence à être digéré à force de dizaines et de dizaines de concerts un peu partout en Europe. Généralement c’est plutôt bon signe quand un album complexe, touffu, alambiqué et dense sort, il faut un peu de temps pour l’assimiler. Souvenez-vous dans un autre genre, Roots de Sepultura qu’il fallut apprivoiser en 1996 tellement il était heavy et en fin de compte si avant-gardiste pour du thrash/death metal, qui influencera plus tard la planète entière pour créer le style dit « tribal » (expérimenté dès l’album Chaos A.D. quelques années plus tôt…).

Mais revenons à nos briseurs de cervicales. Côté gauche de la scène, comme d’hab’ le guitariste Jéjé est impérial sur son ESP noire (il a rendu la Jackson rose à son proprio Lad, le bassiste & ingé son/producteur).

Il balance les riffs avec dextérité, et si l’on regrette son headbanging d’antan (vers 1998-2000), il demeure redoutable quand il s’agit d’enquiller les riffs complexes, sur des rythmiques sinueuses comme sur Bucéphale.
On revient EP Narrenschiff avec la chanson « Superbia », rapide et rentre-dedans avant que la seconde partie nous ramène à ce qui leur est cher : les rythmiques syncopées à la Meshuggah dont ils sont fans (ils ont tourné en France en juin dernier avec le groupe suédois). A l’opposé sur la scène, un peu moins statique et avec la casquette vissée sur la tête, Lad explose tout sur sa basse Thunderbird saturée au possible, à l’aide de ses doigts puissants. Puis on remonte le temps avec des classiques des vieux Nostromo : « Rude Awakening » (extrait d’Ecce Lex) qui n’a pas vieilli d’un poil et secoue le public ravi ; « Delight » (extrait de leur premier LP, Argue), et enfin « Epitomize » tiré de l’EP Eyesore.

Encore du Bucéphale avec plusieurs titres dont l’intro inquiétante de « Katabasis » permet de souffler un instant avant de sombrer dans les limbes du sludge et du post hardcore. Lourd et oppressant, il permet de poursuivre avec « A Sun Rising West » dont on ne distingue pas toujours bien tout le travail du riff de guitare joué par Jéjé, qui, quoi qu’il en soit, assure comme d’habitude. A notre grand regret, le single « Decimatio » ne sera pas interprété, au profit de « Realm Of Mist » par contre. Nos Suisses repiochent dans leurs EP’s qui ont marqué leur come-back discographique en 2018 et 2019, avec « Septentrion » de Narrenschiff et « Uraeus » du EP du même nom. Le public lavallois en redemande alors. Un rappel a lieu avec deux morceaux supplémentaires : l’habituel « Sunset Motel » issu d’Ecce Lex, suivi en conclusion d’une reprise de, non pas Napalm Death ou Nasum, mais ?? Petit indice récolté précédemment : notre ami gratteux Jéjé Lapin arborait un sweat-shirt à capuche avant de monter sur scène. Surprise ! Il s’agit de leurs compatriotes de Knut avec le morceau « Wyriwys » (figurant sur l’album Terraformer du regretté combo helvète de sludge).

Encore une fois, les Genevois ont livré un show énorme, alors que la veille ils ont déjà tout donné à Pariset ne font que débuter cette nouvelle tournée européenne avec Conjurer. S’ils bougent moins sur scène (excepté le frontman Jaja toujours aussi sympathique), les années passant, leur musique n’en reste pas moins massive et technique. Mais Nostromo, en live, ne déçoit jamais. C’est brutal, viscéral, froid, lourd, rapide, ils savent tout faire, et en plus ces gars-là sont des crèmes en dehors de la scène. Et quand on sait que Lad a bossé sur le dernier disque de Laurent Garnier en tant qu’ingénieur du son, on peut dire : « respect », que l’on aime la techno ou pas. A présent, une interrogation se pose : quelle suite va donner le quatuor helvète à ce monstre Bucéphale qu’ils ont créé de leurs propres mains ? Notre petit doigt nous dit qu’ils devraient enregistrer tranquillement un prochain EP bien grindcoresque, « in your face », et moins contrasté et sombre que leur dernier chef d’œuvre. (cf. lire notre interview réalisée backstage au Motocultor 2023). [Seigneur Fred]

Setlist NOSTROMO

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