Il y a parfois des groupes, des disques, que l’on regrette de ne pas avoir découverts plus tôt tant leur musique vous prend aux tripes et s’écoute comme on savourerait une madeleine de Proust. Basé à Örebro, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Stockholm, voici par exemple Oro, un quintet suédois déjà auteur d’un premier album Djupets kall en 2019. Depuis, ils ont peaufiné leur art, à savoir un sludge metal atmosphérique, pour accoucher d’une véritable petite pépite en la matière qui réconfortera les réfractaires au sludge trouvant souvent ce genre musical trop sale et brut… [Entretien avec Petter Nilsson (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Comment est né votre groupe Oro en 2014 à Örebro ? C’est parti d’une histoire entre potes à l’école en ayant simplement l’envie de passer du temps ensemble et jouer de la musique rock ou metal très heavy pendant les longs hivers en Suède ? (sourires)
Ouais, tu sais, pendant les hivers longs, froids et sombres en Suède, il n’y a rien d’autre à faire que de jouer de la musique lourde et brutale… ! (sourires) Avec Oro, ça a commencé avec moi et Seb Andersson (guitares) avec qui nous avons joué ensemble dans un précédent groupe de post metal appelé Marble Halls en 2012-2013. Mais ce groupe n’a donné naissance qu’à quelques démos et un EP, et après que plusieurs membres aient quitté le groupe et que d’autres choses se soient produites, on a alors décidé de se séparer. Et c’est à ce moment-là que nous avons lancé Oro si tu veux, parce que nous voulions continuer à explorer le genre post-metal, mais en le tordant encore un peu vers son côté sinistre et boueux…
Pourquoi avoir choisi ce nom Oro ? Et qu’est-ce que cela signifie exactement ? Est-ce le diminutif suédois de votre ville d’origine Örebro peut-être, ou bien « l’or » en espagnol ? (sourires)
« Oro » signifie « inquiétude » en anglais. On a pensé que cela correspondait au sentiment que nous voulions transmettre avec notre musique. De plus, c’est court et c’est une anagramme, ce qui donne un aspect plutôt cool à l’écriture. Et l’un de mes plus grands influenceurs musicaux qui est Cult of Luna, a une chanson intitulée « Oro » justement, donc c’est aussi un petit hommage et un salut à eux au passage… (sourires)
Pour être honnête, on ne connaissait pas Oro jusqu’à ce second album qui sort le 01/12/2023 sur Hammerheart Records. Vous aviez pourtant publié un premier LP intitulé Djupets Kall en 2019. Maintenant, avec plus de quatre ans de recul, en êtes-vous toujours fier au sein du groupe et quelles sont les principales différences ou évolutions par rapport au petit nouveau nommé Vid Vägs Ände, selon toi ? C’est toujours une question assez difficile pour un artiste d’analyser son propre travail, d’où ma question ! (rires)
Oui, je pense que Djupets Kall est un bon disque avec de bonnes chansons et j’en suis très fier. Le son et la production laissent cependant, je pense, un peu plus à désirer. Nous n’avions pas beaucoup de temps en studio et faisions à peu près tout nous-mêmes. Il a donc un son très dur et brut, ce qui, d’une certaine manière, est cool. Mais pour Vid Vägs Ände, nous voulions faire le contraire. Nous voulions prendre notre temps et ne rien forcer. On a donc passé beaucoup de temps en mode pré-production, à arranger les chansons et à peaufiner chaque morceau pour que le son soit comme nous le souhaitions. Et nous nous sommes permis de consacrer beaucoup plus de temps et d’énergie au processus d’enregistrement et de post-production cette fois. Donc pour moi, cela ressemble à un album plus « complet », disons, plus abouti, et plus beau à tous points de vue.
Tu citais tout à l’heure le clin d’œil d’Oro à Cult Of Luna. Alors quelles sont vos principales influences musicales parmi les cinq membres car ce doit être vaste à cinq, il faut être ouvert d’esprit dans un tel groupe, non ? Êtes-vous attirés uniquement par le metal et le hardcore ? Personnellement, je vois chez vous de belles influences comme Isis, The Ocean, Ghost Brigade, Burst, Amenra, et Cult Of Luna…
Oui, tu as raison, nous sommes cinq individus aux influences musicales très différentes. Ça va du punk au hardcore, en passant par le death metal, le thrash metal et le post-rock. J’écoute moi-même beaucoup de death metal et de trucs progressifs également, mais bien sûr aussi beaucoup de post/sludge metal en général. Et les principales influences lors de l’écriture musicale sont à peu près les groupes que tu as ciblé précédemment avec brio, je dois avouer : Isis, Cult of Luna, Mastodon, mais aussi Russian Circles et des groupes comme ça…
Clairement, on est tombé amoureux de votre sludge metal car vous prenez votre temps pour créer et développer de longues ambiances très personnelles et profondes, à travers seulement cinq longues chansons au compteur figurant sur ce nouvel album. Etait-ce là l’un de vos objectifs lorsque vous avez écrit et composé ces nouvelles chansons de Vid Vägs Ände ?
Merci. Je ne dirais pas que c’est un objectif avoué d’écrire de longues chansons spécialement. C’est juste la façon dont elles se déroulent et évoluent qui a donné ce résultat final. J’aime la dynamique et le contraste dans la musique et je veux que les chansons transportent l’auditeur à travers un voyage émotionnel avec de nombreuses couches. Et tu ne peux pas faire cela sans laisser la chanson prendre son temps, prendre son envol et évoluer afin de capturer l’auditeur.
Mais en jouant de si longs morceaux comme cela, avec des ambiances sombres, très heavy, et des émotions à fleur de peau, vous n’avez pas peur de difficilement capter l’attention du public qui écoute bien souvent rapidement la musique sur internet car il faut rentrer dedans pour l’apprécier vraiment ?
Non, pas vraiment ! Si quelqu’un est découragé par une musique longue, lourde et émotionnelle, alors il n’est tout simplement pas le bon public pour nous. Et ça me va tout à fait. Nous n’écrivons pas de musique pour le grand public. (rires)
Votre premier single tiré de Vid Vägs Ände s’appelle « Bältad » et sa sortie remonte déjà à septembre 2023. Quelles ont été les premières réactions sur internet ? Suivez-vous d’ailleurs les avis des fans ou vous vous en fichez éperdument parce que vous jouez la musique que vous avez envie de jouer et d’entendre pour vous-même en premier lieu ? D’un autre côté, le travail est déjà fait, donc c’est trop tard pour changer quoi que ce soit maintenant. Donc tu peux te dire : « Que les gens aiment ou détestent, qu’importe… ». (sourires)
Je n’ai pas vu beaucoup de réactions à propos du single, à vrai dire, mais celles que j’ai vues sont très positives, ce qui bien sûr fait du bien. Je me soucie quand même de ce que pensent les gens, même si on ne peut pas plaire à tout le monde… (sourires) Donc, tant qu’au moins quelqu’un aime ce que nous faisons et comprend notre vision, alors je suis heureux !
Le morceau intitulé « Siare » est très lent et calme, et contient un chant étrange (utilisant un vocodeur peut-être ?). C’est très sombre également. Cela me rappelle un peu la chanson de Triptykon « Shatter » (tiré du EP du même nom) au niveau du rythme lent et de l’atmosphère sombre et mélancolique qui y règne… Est-ce que Triptykon et Celtic Frost sont des influences pour toi et la musique d’Oro, et ont-ils eu un impact en particulier sur cette nouvelle chanson ?
Tiens, c’est une ressemblance intéressante ! Je note. Mais pour être honnête, je n’ai pas vraiment écouté Triptykon du tout, et cela faisait longtemps que je n’ai pas écouté Celtic Frost. Donc ma réponse va être courte et ennuyeuse, désolé, mais c’est « non ». Ils n’ont inspiré ni cette chanson ni aucune autre chanson du tout.
J’ai cru comprendre que la nature, les forêts, le plein air en général, vous aident et vous inspirent pour créer votre musique. Comment la nature vous inspire-t-elle chez vous en Suède pour Oro ?
La nature est une force implacable et en même temps très fragile. Cette dynamique est donc une inspiration constante pour moi, à la fois lorsque j’écris de la musique et des paroles. Cela fonctionne également comme un état d’esprit mental lorsque l’on met sa propre existence chétive en relation avec le cycle éternel de la nature. Cela vous permet de rester humble face aux éléments.
Où et comment avez-vous composé et écrit Vid Vägs Ände ? Individuellement, seul et isolé en envoyant des sons MP3 aux autres gars du groupe, ou ensemble dans une petite maison (une cabane en bois) en forêt, comme Darkthrone qui répète et enregistre rapidement ses nouveaux disques ? Ou préférez-vous travailler sur ordinateur à la maison séparément ?
L’écriture des chansons commence généralement de mon côté. J’apporte de nouveaux riffs ou de nouvelles idées en général et je les présente aux autres gars dans notre salle de répétition. Ensuite, nous commençons à les tester, en essayant différents arrangements, leads, rythmes, etc. et en rassemblant les pièces comme un puzzle. Lorsque nous avons écrit la musique de Vid Vägs Ände, nous avons également passé beaucoup de temps chez Richard (Richard Stöök, guitares) et avons arrangé et enregistré les chansons dans son home studio. Et quand la structure et la musique sont terminées, je commence à travailler sur les paroles. C’est donc vraiment un travail d’équipe, même si c’est généralement moi qui écris les principaux riffs et mélodies au départ, après nous les forgeons ensemble.
Mais au fait, peux-tu nous expliquer le sens du titre de l’album : « Vid Vägs Ände » ? C’est du suédois pour dire quelque chose du genre « la fin du chemin pour l’humanité » ? Pas pour Oro j’espère car ce serait triste, on vient seulement de découvrir votre musique… (rires)
Le titre signifie « au bout du chemin » et il exprime ma vision de l’endroit où nous en sommes en tant qu’espèce humaine. Nous avons tellement détruit la terre que nous sommes sur le point de nous détruire nous-mêmes. Et la planète s’en porterait mieux sans l’Homme. C’est donc censé être une métaphore apocalyptique, oui, navré… (rires)
On a récemment interviewé un autre groupe suédois appelé Domkraft qui joue aussi un genre de stoner/sludge metal mais plus psychédélique. Et ils aiment jouer fort, heavy et amener les auditeurs ailleurs, dans une autre dimension spirituelle par leur musique, même si leur dernier album Sonic Moons est peut-être plus direct. Bien sûr, ils sonnent un peu différents mais finalement ça représente deux faces du sludge metal suédois d’aujourd’hui, je trouve. Connaissez-vous personnellement les gars de Domkraft qui viennent de Stockholm, et non d’Örebro comme vous ?
Malheureusement, je n’ai pas (encore) eu le plaisir de rencontrer les gars de Domkraft. Mais ce serait cool de partager une scène avec eux un jour.
Il y a tellement de groupes sur les scènes metal, hardcore et rock en général en Suède. Chaque jour, c’est comme une grande compétition indirectement en fait, avec de nouveaux challengers qui arrivent. Entretenez-vous de bonnes relations avec les autres collègues que vous rencontrez en concerts, dans les pubs et en festival ? Ressentez-vous plus ou moins cette concurrence avec Oro ?
Oui, je pense que l’ambiance de la scène est bonne. La plupart des groupes que nous rencontrons sont vraiment des gars géniaux, tu sais. Mais bien sûr, il y a un peu de concurrence, oui, mais je pense que c’est positif, ça reste sain. Si je vois un groupe qui connaît du succès, cela fonctionne comme un accélérateur pour moi, et me donne envie de travailler encore plus dur pour m’améliorer et évoluer encore. Ça te botte le cul dans un certain sens. (sourires)
Petite anecdote, j’ai lu que votre batteur John Stöök joue également dans un autre groupe appelé Maskin, à ne pas confondre avec le groupe italien Maneskin qui a remporté l’Eurovision l’année dernière en 2021. (rires) Accepteriez-vous de jouer à l’Eurovision si vous étiez sélectionnés pour la Suède ? Après tout, les hard rockeurs de Lordi, originaires de Finlande, avaient bien gagné pour la Finlande en 2006, devenant ensuite très célèbre avec un parc à leur nom dans leur ville natale en Laponie, et même une marque de soda !
Hé hé ! (rires) A vrai dire, je ne sais pas pour les autres gars d’Oro, mais je préfère boire de l’essence et faire pipi sur un feu de brousse plutôt que de participer à l’Eurovision. Je n’ai pas si faim de gloire !
Pour conclure, quels sont vos projets pour cette fin d’année et l’année prochaine ? Déjà des spectacles, tournées et festivals de prévus pour 2024 ? Des festivals d’été peut-être en Europe ou en Amérique ? En France ? Venez nous voir en live bientôt, s’il vous plaît !
Il nous reste un concert cette année à Oslo le 2 décembre 2023 avec The Moth Gatherer. Et ensuite, notre objectif principal pour 2024 est de continuer à jouer en live autant que possible. Rien n’est réservé à l’heure où nous parlons mais nous y travaillons. Alors gardez l’œil ouvert !
Publicité