SATYRICON : Visite guidée

Un peu plus d’un an à peine après la réédition des deux premiers opus de Satyricon, ou plutôt chefs d’oeuvre devrions-nous dire, pour laquelle nous avions eu l’occasion de nous entretenir avec l’incroyable batteur Frost, le fameux duo norvégien de black metal refait parler de lui pour un nouveau projet artistique singulier : Satyricon & Munch. A première vue à des années lumières du metal (mais pas tant que ça finalement), celui-ci constitue la bande-son accompagnant l’exposition nationale dédiée au célèbre artiste scandinave Edvard Munch (1863-1944) au Musée d’Oslo cet été. L’exposition débarquant à présent en septembre au Musée d’Orsay à Paris (à cette heure, personne n’a cependant pu nous dire, que ce soit au musée, l’artiste lui-même, ou le label Napalm Records, si l’album sera diffusé dans le musée français), nous avons donc profité de cette opportunité pour faire le point avec un Frost très enthousiaste sur l’actualité de Satyricon et ses autres projets plus foncièrement black metal. [Entretien avec Kjetil-Vidar Haraldstad alias « Frost » (batterie) réalisé par Zoom le 13/07/2022 par Seigneur Fred – Photos : DR]

Tout d’abord, comment vas-tu Frost, en tant qu’artiste mais aussi personnellement, depuis notre précédent entretien il l y a un peu plus d’un an lors de la promotion pour la réédition de vos deux premiers albums cultes Dark Medieval Times et The Shadowthrone ? On commençait alors à peine à voir le jour dans cette crise sanitaire de covid-19 sans précédent…
Ouais… Eh bien, je vais bien, je te remercie. Je me pose un peu là et m’assois maintenant dans mon espace de répétition qui est tout juste fin prêt. Satyricon revient avec un nouvel album, Satyricon & Munch. Il vient de paraître à présent (Ndlr : interview réalisée durant l’été 2022), et je n’en suis pas peu fier. En fait, je suis très content du résultat, de cet album par Satyricon, et de l‘exposition Munch pour laquelle il a été conçu spécialement pour le musée d’Oslo. C’est quelque chose de très spécial et unique pour nous ce projet.


Et qu’en est-il du live pour toi en tant que batteur et de la reprise des concerts car ça fait un bail que Satyricon ne s’est pas produit live, me semble-t-il ? Cela doit te manquer, non ?
Pour ce qui est de jouer live, cela fait un moment, en effet, que nous ne nous sommes pas produits sur scène avec Satyricon. Forcément, tu sais, entre la crise du covid, et ce projet musical avec l’exposition d’Edvard Munch qui nous a pris, à vrai dire, tout de même deux ans à réaliser ! Cela a donc pas mal occupé nos journées… (sourires) Maintenant que l’exposition a eu lieu à Oslo avec cet album pour l’accompagner (jusqu’à fin août 2022), je pense que l’on va pouvoir passer à autre chose et se focaliser notamment sur des concerts à venir. Mais avec ce nouvel album, cela nous remet déjà en selle, je dirai, avec les paramètres d’enregistrement en studio, etc. Pour ce qui est donc de reprendre la scène, comme c’est désormais faisable, je pense que l’on va travailler dans ce sens mais ce ne sera pas avant l’année prochaine, en 2023 donc.


Ok, car Satyricon & Munch est uniquement un projet studio en fin de compte, c’est bien ça ? Tu confirmes ?
Oui, il s’agit de la musique qui accompagne le public durant sa visite de l’exposition dédiée à Evard Munch. Mais nous ne sommes jamais sûrs de rien de ce que ça peut devenir, tu sais… (Ndlr : il n’y a en effet qu’à se souvenir de l’excellent DVD Live At The Opera où Satyricon a bien interprété live des anciens titres et ceux de son album éponyme avec des chœurs à l’opéra d’Oslo…) C’était vraiment un nouveau type de projet artistique complet pour Satyricon, et quand on l’a commencé, on savait dans tous les cas que ce ne serait pas commun et on était sûr que ça serait d’une œuvre musicale différente qui s’inscrit donc en lien avec l’exposition de Munch. Cela devait et doit se combiner avec la visite de cette exposition. Voilà le cahier des charges initial, après… On ne sait pas encore ce qui va suivre pour Satyricon. Maintenant que Satyricon & Munch est fait, cela aboutit, d’après nous, à un disque totalement fantastique et différent. On ne sait pas encore ce que sera exactement le prochain album mais on y travaille déjà et tout cela peut servir de fondation à la suite… Mais on ne peut vraiment interpréter ce nouvel album de manière classique en live comme un groupe de metal peut le faire de manière ordinaire. Disons qu’il faut le prendre comme un voyage de Satyricon dans l’univers de Munch que l’on écoute et voit. Chaque chose, chaque élément en fait partie, et on peut y retrouver cependant des éléments, des marques de signature typiques de Satyricon par endroit. Cela peut influencer partiellement ou en profondeur notre prochain album studio. On essaie de s’en imprégner et d’avancer, mais on peut difficilement l’interpréter en live exactement. Tout cela marque une évolution encore une fois de Satyricon avec forcément des changements, et c’est ça qui est intéressant.

Du coup, vous n’allez pas tourner à travers le monde pour défendre cet album en s’inscrivant dans un cycle album/concerts comme pour vos albums studio traditionnellement après leur sortie ?
Non, absolument. Mais c’est une bonne chose dans tous les cas de revenir quand même avec un nouvel album, certes que studio, et sans concert pour l’interpréter, mais cela fait du bien, nous fait du bien, de proposer  quelque chose de frais à notre public. Mais même si c’est différent et difficile de trouver un angle d’interprétation live pour nous l’interpréter en concert, mais c’est fait et c’est là à présent.


Bon, je t’avoue que j’ai été quelque surpris par ce nouvel album car il s’agit là d’un projet très  spécial et je n’ai pas pu voir l’exposition. Même si je connais très bien votre œuvre, on sait aussi que vous aimez surprendre les gens à chaque nouvel album : je pense à l’album Rebel Extravaganza avec ses sonorités industrielles, et son interlude qui précéda avec l’EP Intermezzo II ; les albums orientés black’n roll avec Volcano, Now, Diabolical (mixé par Mike Fraser), et The Age Of Nero ; mais également l’album live Live At The Opera en 2015…  Alors quel a été ton rôle et ta part de travail sur Satyricon & Munch précisément car on ne t’entend pas beaucoup en fin de compte si on prête bien l’oreille à cette musique très spéciale, quasi-instrumentale car il n’y a même pas de chant la plupart du temps… ?
De loin, au niveau de l’instrumentation, ce n’était pas vu ni établi comme un disque conventionnel, et ce, dès le départ. Pas du tout. Voilà pourquoi il a fallu attendre pour ma part dans ce projet, chose que j’ai faite. Satyr a dû travailler sur cette nouvelle œuvre musicale, ses thèmes et sa direction, les compositions, avec un état d’esprit différent et très ouvert, sinon cela n’aurait pas pu être possible si on avait raisonné comme un album traditionnel de metal. A la base, c’est totalement différent. Ce qu’il a essayé de faire, et il a réussi, c’est de concevoir une seule et unique longue plage sonore pour accompagner toute l’exposition de Munch. C’était sa tâche, mais ce n’était pas évident, il fallait qu’il soit un élément de l’exposition tout en laissant libre court à son instinct et ce que lui inspire lui-même les peintures de Munch, sans trop influencer l’auditeur dans sa visite. En cela, créer cette musique avec des orchestrations, avec des ambiances fluides et des sons mis ensemble, tout cela doit constituer une seule et solide musique, qui doit aller avec l’exposition, ne pas la dépasser. Il ne fallait donc pas ici appréhender ça avec une configuration d’instruments rock/metal classique. C’est donc une expérience unique. Et Satyr ne chante pas du tout, et la guitare sert juste en point de départ pour la composition. On l’entend peu. Et voilà pourquoi aussi la batterie est plus discrète et ce n’est pas une batterie acoustique mais une programmation de boite à rythmes bien souvent.


En tant que batteur, t’es-tu senti à l’aise à ton poste même s’il n’y a donc pas beaucoup de batterie sur Satyricon & Munch ?
Je n’ai pas à me plaindre, c’est un disque fantastique de Satyricon, et il n’y a rien à redire à cela. Je pense que cela convient bien ici la programmation de la batterie qui est utilisée avec parcimonie. C’est une chose tout à fait légitime et spéciale, il a fallu s’adapter, et la batterie de toute façon sera toujours là à l’avenir chez Satyricon, ne t’inquiète pas. Il y aura toujours une vraie batterie.


Depuis quand toi et Satyr connaissez-vous l’œuvre d’Evard Munch et vous intéressez-vous à son travail car il est très connu dans le monde entier et forcément particulièrement en Norvège ? Lors de l’utilisation de la photo représentant la peinture du « Baiser de la Mort » d’Evard Munch sur votre précédent album studio Deep Calleth Upon Deep en 2017 peut-être ?
Je pense que la plupart des gens en Norvège ont une relation spéciale avec les œuvres de Munch. Après c’est un artiste si spécial et international, son travail est connu de par le monde entier. Ce n’est pas un héros mais presque, personne ne peut le battre ici… (sourires) On le connait de notre côté depuis notre enfance. A l’école, on étudiait ses peintures. Son œuvre fait partie de notre culture et de notre histoire en Norvège. Satyricon, oui, avait utilisé l’une d’elles : « The Kiss of Death » sur la pochette de Deep Calleth Upon Deep comme tu le disais. Sinon, je me souviens qu’en tant qu’enfant, j’aimais déjà beaucoup certaines de ses peintures quand j’étais plus jeune. Mais j’ai eu ma propre expérience, disons, autour de Munch et son univers à l’âge d’environ vingt ans. J’étais allé au musée Munch que j’avais alors visité, et certaines de ses peintures me parlaient vraiment. Je me sentais assez proche des thèmes évoqués chez lui à l’époque. C’était donc une expérience physique que j’avais alors vécue et ressenti personnellement. Beaucoup de choses me parlaient chez lui : ce côté sombre, quelque chose de perturbé, perturbant même… Il y a de la mélancolie avec un certain sentiment d’anxiété, tout cela avec un côté dramatique. Son œuvre visuelle est à la fois très physique et émotionnelle. En moi, ça résonnait et prit déjà sens. Par la suite, cela a pris encore plus de sens chez moi, mais aussi Satyr.

Mais comment et quand a germé chez Satyr cette idée de réaliser une musique pour une exposition consacré aux oeucres d’Evard Munch ? C’est le musée d’Oslo qui vous a contacté et proposé ce projet ?
Oui, en fait, le musée d’Oslo nous a contactés quelques temps après la sortie de notre album Deep Calleth Upon Deep. Le fait d’avoir utilisé l’une de ses œuvres comme artwork d’album nous a rapprochés et a fait naître une collaboration plus étroite avec le musée. L’œuvre de Munch a toujours occupé une très grande place dans le cœur de Satyr. On a alors davantage creusé cela, exploré son œuvre, etc. afin d’en concevoir avec adéquation une musique correspondant aux émotions que nous procure ses peintures.


Sur le prochain album de Satyricon, allez-vous de nouveau avoir recours à une peinture d’Evard Munch pour servir d’artwork ?
Euh, non, je ne crois pas… (rires) Mon sentiment, dans tous les cas, est que ce sera quelque chose de totalement différent.


Mais quand précisément pouvons-nous espérer avoir un nouvel album studio de Satyricon de pur black metal ?! (sourires)
C’est encore trop tôt pour dire, mais comme déjà évoqué, à présent on va se concentrer dessus, bien sûr, et entre-temps, refaire des concerts. Mais il faut laisser déjà cette sortie importante de Satyricon se développer, reçue, écoutée, et les choses arriveront quand ce sera prêt. Il faut du temps généralement…


Où en est sinon votre projet de reprises de chansons de répertoire metal et non non metal mais à la sauce Satyricon dont m’avait parlé Satyr lors de la sortie du précédent album Deep Calleth Upon Deep en 2017 ? Cela a-t’il avancé durant ces deux dernières années de pandémie ? Je suis impatient d’écouter ça…
On va d’abord se remettre à donner des concerts bientôt, en 2023, comme je le disais, et ensuite, ou plutôt  entre-temps, on va se reconcentrer sur un autre album studio de Satyricon. On verra cela où ça nous mènera déjà, mais ce projet de reprises est toujours dans les tuyaux. C’est toujours d’actualité, on ne l’oublie pas, ne t’en fais pas, mais ce n’est pas comme un besoin urgent d’album à publier. Rien ne presse à ce niveau-là, et on y travaille depuis quelques années déjà avec Satyr, petit à petit, un peu comme un fil rouge, à côté. Cela sortira quand tout sera finalisé et prêt, mais avant, je pense, il y aura un album plus classique.


Enfin, quels sont tes autres projets à venir te concernant, en dehors de Satyricon, je pense notamment à 1349, car parfois tu as tendance à multiplier les side-projects et autres groupes black metal à la batterie ce qui est un régal pour nous les fans, à défaut d’un nouveau disque ou concert de Satyricon dans l’immédiat ? (rires)
Ouais, on est en train de travailler sur un nouvel album de 1349 avec Ravn (chant). Il a déjà pas mal d’idées de son côté. On a prévu de se revoir cet automne pour probablement enregistrer les nouveaux morceaux, au début de l’automne. Puis ça devrait sortir encore chez Season of Mist… Sinon rien d’autre.


Tu n’es pas impatient tout de même à présent de retrouver la scène et te défouler afin de déverser ta furie black metal derrière tes fûts ? (sourires)
Oui, mais tu sais, j’ai quand même rejoué l’an dernier avec 1349 pour quelques shows l’an dernier, ici, en Norvège, à Bergen et divers festivals. Mais bon, attendez-vous à nous revoir bientôt sur scène avec Satyricon, en 2023. Ça va être tout aussi excitant pour les fans que pour nous.

Satyr & Frost

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