Si la date du 14 juillet 2024 a été savamment choisie pour la publication de La France des Maudits, c’est bien dans un certain hasard des circonstances avec ce contexte socio-politique agité dans notre beau pays, que fait étrangement écho le septième péché capital de Seth. Véritable pionnier et légende vivante du black metal à la française qui a influencé plus d’une formation francophone du genre, Seth perpétue son propre héritage dans la langue de Molière, ou plutôt Robespierre, tout en continuant d’évoluer artistiquement et restant fidèle à ses racines. Après un album solide en 2021 marquant le retour en très grande forme des Bordelais, il y a , et aura, bien un avant et un après La Morsure du Christ, comme nous l’ont confié ses deux maîtres à penser lors d’un entretien passionnant que nous vous proposons en deux chapitres. [Interview avec Saint Vincent (chant, paroles) et Heimoth (guitares) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Votre album La Morsure du Christ a reçu de très belles critiques en 2021, que ce soit côté public, ou bien côté presse/médias. Quelle satisfaction en tirez-vous et sur quels points avez-vous d’éventuels regrets à son sujet ? (sourires)
Heimoth : Pas vraiment de regrets ni de points négatifs, j’imagine que c’est un album qui a eu un écho assez important car il a su faire un tour de force qui était de revenir aux sources du groupe, du black metal des années 90, sans ringardise et bien au contraire : il remet au goût du jour ce qui a su façonner l’identité du groupe.
Saint Vincent : C’est une grande satisfaction, et je ne pense pas en effet qu’il y ait des regrets à avoir. Quand nous avons fini l’album, nous étions tous très contents du résultat, du travail fourni et de la cohérence de l’œuvre finale. A partir de là nous ne pouvions avoir de regrets, même si l’album n’avait pas marché. Nous avons travaillé dur, et nous sommes arrivés à nos fins.
A l’image de ce que vous décriviez dans notre précédent entretien en 2021 en comparant un peu l’évènement de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, survenu le 15/04/2019, à la tragédie du 11/09/2001 aux États-Unis (et plus précisément à New York), peut-on dire qu’il y a et aura un avant et un après La Morsure du Christ pour Seth d’une certaine façon ? Tant d’un point de vue artistique, discographique, mais aussi spirituel et médiatique ?
H : Sur le plan discographique, il marque une rupture en tant que retour à ce qui avait pu être fait à nos débuts, une rupture qui en réalité a jalonné toute l’histoire du groupe puisque jusque-là on n’a jamais sorti d’albums qui consécutivement pouvaient se ressembler. Quant à savoir si Seth a pris un réel tournant, j’imagine que oui, car la reprise du chant en français reste tout de même un point saillant qui, comme le montre notre nouvel album, nous embarque sur un point de non-retour.
SV : La Morsure du Christ était le premier album studio sur lequel j’intervenais, et j’aurais à titre personnel été fort attristé si nous n’avions pu ensemble porter le groupe vers une force, une essence, et un niveau artistique nouveaux et plus puissants.
Quand on y réfléchit, l’Homme est capable d’accomplir des choses extraordinaires à une échelle bien plus grande et en peu de temps, comme récolter des fonds en quelques mois pour reconstruire un monument du patrimoine historique et religieux qu’est Notre-Dame (le démontage du chantier est en cours), d’aller marcher sur la Lune (à moins que vous ne soyez proches des théories complotistes (sourires)), et prépare même à y retourner pour aller ensuite sur Mars, d’inventer Internet, le scanner, ou l’IA, d’organiser en quatre ans des Jeux Olympiques pharaoniques mais quand il s’agit d’aider son prochain, de venir en aide aux miséreux dans la rue, ou combattre les inégalités ou le racisme, ou trouver un vaccin contre le Sida ou avancer sur la lutte contre certaines maladies rares, les choses traînent pour des raisons politico-financières et de volonté, tout bonnement. Partagez-vous cet avis quand vous voyez la fin des travaux gigantesques de rénovation de la cathédrale Notre-Dame de Paris dont l’incendie inspira La Morsure du Christ ?
H : Je crois que ton avis est déjà posé dans ta question… De mon côté, je serais un peu plus nuancé toutefois : les civilisations n’ont jamais réalisé grand-chose en l’absence de symboles. Car qu’on le veuille ou non, si l’émoi de cet événement a acquis une telle résonance, c’est bien par la force transcendantale du symbole que la cathédrale renaît de ses cendres. L’Homme fait ses choix, à tort ou à raison, mais ils se tournent souvent vers ce qui lui donne l’impression de s’élever.
Depuis 2018, le line-up de Seth semble s’être stabilisé, Drakhian (ex-Loudblast, ex-Black Dementia…) étant par exemple arrivé en second guitariste à tes côtés, Heimoth. Et toi donc aussi, Saint Vincent, tu es arrivé au chant. Ce contexte de stabilité et de renouveau de plus de la moitié des membres du groupe a-t’il été propice à la créativité aboutissant successivement à La Morsure du Christ donc, puis à présent La France des Maudits ?
H : Stabilité ou non, je ne sais pas, mais le caractère homogène et fédérateur du groupe qui a souhaité s’orienter vers la musique de Seth effectuée depuis ces cinq dernières années, très certainement…
Côté concerts, comment s’est passée votre tournée pour défendre La Morsure du Christ après la pandémie ? Avez-vous pu tourner ailleurs qu’en France, comme au Canada (Québec) où vous aviez enregistré votre album live Les Blessures de L’âme : XX ans de Blasphème, mais aussi ailleurs dans des pays non francophones en Europe, Amérique, ou Asie peut-être ? Quelles ont été les réactions du public en live ? Les années passant, une grande fidélité et respect des fans demeurent…
H : Disons qu’on en a sûrement rattrapé certains, et accueilli de nouveaux. Le groupe n’a quasiment jamais tourné à ses débuts et il aura fallu attendre 2014 pour commencer une vraie tournée européenne. Au départ, sortir des skeuds nous suffisait, mais avec le temps le souhait de monter sur scène est venu et de là les changements de line-up pour plein de raisons faisant que certains n’étaient pas d’accord. L’idée de devenir un deuxième Darkthrone à rester tranquille chez soi et ne faire que du studio est en effet tentante mais pas pour tout le monde. Donc au final, pour La Morsure du Christ, on a tourné comme jamais auparavant, beaucoup de dates en Europe et aussi ailleurs, ce qui forge aussi un esprit de groupe. Les réactions aux lives sont excellentes, elles me sidèrent beaucoup en réalité quand on voit à quel point certaines personnes sont littéralement transportées en passant du sourire aux larmes de joie. C’est très fort. Pas trop quand même, je l’espère ! (sourires)
Le 30/04/24, Les Polonais de Behemoth et les Français de Regarde Les Hommes Tomber se sont produits live à la grande salle de La Philharmonie de Paris. Cela a été diffusé sur Arte.tv. Ce show est associé à cette exposition intitulée « Diabolus In Musica ». J’avoue avoir été surpris de votre absence en tant que pionnier du black metal français. Qu’avez-vous pensé de ce show et de l’exposition (payante, il me semble) qui a lieu actuellement à la capitale ? Personnellement, nous sommes mitigés. C’est à la fois bien pour faire découvrir cela au plus grand nombre, mais d’un autre côté, ne faudrait-il pas que le metal extrême reste underground sans être totalement non plus élitiste, et il est bien tard pour qu’on en parle enfin et que ça fasse l’objet d’une expo finalement ciblée pour les « bobos » ? (rires)
H : Pas vu l’expo même si j’étais au concert que j’ai beaucoup aimé. Je ne suis pas contre ce type de manifestations qui visent à mieux faire connaître le metal en général car ceux qui y voient une dérive, vers démarginalisation, du milieu se trompent. Je ne pense pas que la France soit prête à aimer le metal comme les pays scandinaves (Finlande, etc.) car chez nous, l’implantation de musiques types variétés y est toujours trop prégnante. Il n’y a pas de racine rock ou punk comme en Angleterre, ni même alternative comme en Allemagne, on est très, voire trop, loin de tout ça et ça n’est pas prêt de changer. Concernant l’organisation de cette double manifestation, elle a été faite en partenariat avec le Hellfest qui a donc en toute logique fait appel à son premier cercle d’influences.
Pourquoi avoir choisi la date symbolique de notre fête nationale du 14/07/2024 pour sortir votre septième opus studio La France des Maudits alors qu’il s’agit d’un jour férié ? Les disquaires seront fermés en plus ce jour-là, et ça tombe un dimanche cette année… ? Bien sûr, la plupart des gens écoutent sur internet à présent, gratuitement ou en payant, et n’achètent guère de disques (CD, vinyle) mais je présume qu’il y a là volontairement un côté symbolique…, non ?
SV : La date est naturellement symbolique, oui, et la démarche à la fois conceptuelle et artistique prime sur les considérations pratiques.
À qui s’adresse ce titre d’album précisément ici : La France des Maudits ? A la France d’en bas, ceux qui se lèvent tôt, comme disait un certain ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin… ? Peut-on y voir là un message politique ou sociétal sur notre société française bien à mal aujourd’hui ?
SV : La France des Maudits est celle de tous ceux qui ont proclamé un « non serviam » qui les a condamnés à la marge, à la souffrance, à l’obscurité, en contrariant leurs desseins et espérances, mais pas forcément au désespoir. Je trouve dommage de réduire cette frange à une catégorie sociale ou politique. C’est avant tout une expérience personnelle, intime et profonde face à un destin impitoyable, un combat permanent face à la fatalité, la rage d’avoir le monde contre soi.
La chanson et nouveau single nommé « Insurrection » avec une Marianne au visage squelettique de la Mort fait étrangement écho aujourd’hui en France en ce mois de juin 2024… Que vous inspire le contexte politique actuel avec ce chaos et fiasco total que nous sommes en train de vivre (Ndlr : entretien réalisé courant juin 2024 entre les résultats des élections européennes et législatives, et la dissolution de l’Assemblée nationale française par notre Président de la République) avec ces nouvelles élections législatives imprévues qui arrivent à la hâte ?
SV : La providence malicieuse a semble-t-il fait en sorte que l’actualité résonne avec notre direction artistique. J’avoue que c’est assez stupéfiant… Je ferais plus attention quand j’écrirai les paroles du prochain album, c’est promis. (sourires)
=> La suite de notre interview avec Heimoth et Saint Vincent est à découvrir très bientôt lors d’une 2ème partie sur www.metalobs.com !
Publicité