TOMORROW’S RAIN : Mourir peut attendre…

Après avoir côtoyé la mort, c’est à cœur ouvert que Yishai Sweartz, la voix d’outre-tombe de Tomorrow’s Rain, à accepter de nous en dire davantage sur leur deuxième effort intitulé Ovdan, quatre ans après notre précédente interview pour leur album Hollow. Pris au cœur de la tourmente et des conflits sévissant au Moyen Orient, Israël n’en reste pas moins une terre sainte du metal extrême, dans la magnifique tradition de formations cultes comme Salem ou Orphaned Land dans le passé… [Entretien avec Yishai Sweartz (chant) par Louise Guillon – Photos : DR]

Ovdan est votre second album et il fait suite à ce moment dramatique au sein du groupe et dans votre vie personnelle. Ovdan est-il un pansement ou un moyen de guérison en quelque sorte, tant d’un point de vue personnel que collectif ?
Ovdan est le mot hébreu pour « perte » et cet album traite de ce sujet sous de multiples perspectives, car chacun d’entre nous, qu’il soit membre du groupe ou auditeur, a subi une sorte de perte proche dans sa vie et dans la nôtre, bref, le genre de choses qui vous affecte en tant que personne. Cet album (du moins, je l’espère) traite et aide à réaliser ces émotions et à vous en inonder. De mon point de vue personnel, une fois qu’on s’en occupe et qu’on ne s’enfuit pas, on commence réellement le processus de guérison.

Certains morceaux de l’album sont très évocateurs (« Sunrise », « Intensive C. U », « Convalescence »), Ovdan signifiant d’ailleurs « perte » en hébreu comme tu l’as dit. Au fait, de quelle(s) perte(s) parles-tu ici dans cet album ?
Tout le monde dans le groupe a perdu quelqu’un ou quelque chose de fondamental, quant à mon histoire, entre 2019 et 2021, j’ai perdu mes parents et mon chien. De plus, mon deuxième fils est né alors que je pleurais encore la mort de mon père. Cette période a été très très sombre dans ma vie alors que je luttais pour garder la tête hors de l’eau et ne pas sombrer dans le désespoir. Mon père a eu des problèmes de santé et cardiaques pendant près de trois décennies et il a subi un examen qui s’est soldé par une défaillance multi viscérale et cela s’est produit juste après que ma mère ait reçu un diagnostic de cancer de stade 4. Les deux années suivantes ont été alors des montagnes russes sauvages, sauvages et tristes dans lesquelles j’étais le gardien de ma mère tout en élevant un enfant, mon bébé. Je ne remercierai jamais assez ma femme pour avoir été le commandant en chef alors que j’étais à moitié un homme. La musique, une fois de plus, m’a aidée à me remettre sur pied et à écrire à nouveau de la musique. Notre premier album Hollow est sorti en 2020, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire les premiers riffs d’Ovdan. Comme tous les autres membres du groupe, Yaggel (notre bassiste) vient également d’être admis à l’hôpital avec une maladie cardiaque, Yoni (l’un de nos deux guitaristes) est aux prises avec les problèmes de santé de son père tout en élevant un bébé aussi… Donc tout le monde a sa propre merde à gérer.

D’un point de vue professionnel et artistique, l’actualité au Moyen-Orient et le conflit à Gaza et ses tensions quotidiennes sont-elles une gêne, un obstacle pour vous actuellement ?
C’est de loin la pire situation à laquelle nous n’ayons jamais été confrontés en tant que nation et aussi en tant que culture, sans nous lancer dans la politique. Tous les concerts internationaux ont été reportés, voire carrément annulés, et pas seulement sur la scène metal. Israël est déjà assez isolé par rapport aux pays voisins et le seul moyen de se rendre en Europe et d’en revenir est par avion. En ces temps, de nombreuses compagnies aériennes annulent leurs lignes et les gèlent jusqu’à nouvel ordre, ce qui rend encore moins possible d’exister. Quant à Tomorrow’s Rain, eh bien, cela nous retient définitivement car nous n’avons pas l’exposition que nous souhaitons ou dont nous avons besoin. Par conséquent, nous ne tournons pas pour le moment, ce qui est vraiment nul.

Comment se sont déroulées vos nouvelles et encore multiples collaborations sur cet album ? Quelles ont été les raisons qui vous ont poussées à choisir ces personnalités artistiques particulières ?
Ce n’était pas une sorte de plan, c’est venu naturellement, je suis vraiment fier par exemple d’avoir Michael Denner (Mercyful Fate/King Diamond) et Anja Huwe (Xmal Deutschland) sur l’album Ovdan, mais je suis fier d’avoir chacun des invités. Le dernier enregistrement musical d’Anja remonte aux environs de 1990 et le fait qu’après tant d’années hors du monde de la musique, elle ait accepté de chanter dans notre album, un groupe de Tel Aviv dans un genre musical différent, cela signifie beaucoup pour moi, comme pour Michael Denner… Pour moi en tant que fan de metal, Mercyful Fate et King Diamond sont presque au même niveau que Judas Priest. Je suis un grand fan des deux depuis que je suis enfant et du fait que le guitariste du célèbre « Abigail » et « Don’t Break The Oath » joue sur deux titres d’Ovdan, c’est quand même un choc pour moi… ! (sourires) Pareil pour Attila (Mayhem) car on fait du chemin avec eux, Euronymous était en correspondance avec nous en 1990-93. Tout vient de se développer, mais je dois vous dire que nous avons décidé de faire le troisième album complet sans aucun invité, cette fois. Donc à présent, nous avons déjç fait quelque chose à l’avance, c’est-à-dire décidé d’écrire le prochain album et de l’enregistrer sans aucun tiers en musicien ou chanteur. Ce sera notre album le plus important, très personnel donc, et il y aura aussi un changement musical car je ne peux plus grogner pour des raisons médicales après mon opération afin de maintenir les battements cardiaques sur les sinus et sans perturbation des intonations, donc ça va être un chant différent et un concept et un son très personnels. Donc comme je l’ai dit : pas d’invités la prochaine fois ! (sourires)

La culture jazz et la scène jazz israélienne (Avishai Cohen pour ne citer que les plus célèbres) ont-elles été particulièrement des sources d’inspiration pour Ovdan, j’ai l’impression. Je pense notamment au premier morceau de l’album « Roads ». En tout cas, il me semble que la scène jazz émerge de plus en plus en Israël…
Lorsque nous avons commencé à écrire ce titre « Roads », il était clair pour moi que cette ambiance que nous essayions de créer nécessitait un peu d’exploration, un outil différent avec lequel travailler. Comme choisir un meilleur pinceau pour une partie spécifique de la peinture, disons… Ainsi, tout en utilisant des guitares acoustiques pour la majeure partie de la chanson, j’ai essayé différents changements subtils dans la progression des accords, conduisant ainsi à ces accords majeurs en 7ème et Mi et Ré mineur 7ème jazzy. Cela a conduit aux incroyables lignes de saxophone interprétées par un invité nommé Yoram Hazan d’un groupe de rock bien connu ici en Israël. C’était si authentique et réel que nous avons dû le conserver en versions hébraïque et anglaise.

La chanson « Rainbow » apparaît comme un rayon de lumière puis est directement suivie du titre « Intensive C. U. » dont les paroles semblent être en hébreu. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces deux titres en particulier ? Pourquoi interviennent-ils à ce moment précis de l’album ?
« Rainbow » est une mélodie que j’ai écrite à ma mère, pour que ce rayon de lumière précisément brille sur moi quand il fait le plus sombre autour de moi. C’est très contrasté avec le reste de l’album, Comme un phare dans une tempête, comme une bougie dans un coin profond d’une grotte, il faut endurer un voyage pour profiter de sa lumière. Puis, « Intensive C.U » constitue alors une gifle réaliste que je raconte, alors que mon père était soigné après son pontage…

Avez-vous déjà prévu des dates de tournée pour cette année ou un futur proche ?
Malheureusement, non, pas encore. Maintenant que l’album est publié, notre bassiste Yaggel a également des problèmes cardiaques, donc pour le moment, nous sommes cloués au sol dans tous les sens du terme. J’espère vraiment pouvoir participer à une tournée ou à un petit festival une fois que tout le monde se sentira mieux.

Gardons le meilleur pour la fin afin de conclure cette interview, sur le dernier morceau « Turn around », au-delà de votre magnifique collaboration, vous optez pour un rythme plus groovy mais à saveur très folklorique musicalement. Quelles ont été vos inspirations musicales pour le dernier morceau, est-ce la culture israélienne ?
Je ne pense pas que ce soit folklorique du tout, c’était un riff que Ben des Sisters Of Mercy avait écrit pour nous, plutôt du goth rock des années 80. (rires)

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