A/ORATOS : Elévation spirituelle

En ce début d’année de l’an de grâce 2024 après J.-C., voici déjà une première merveille de black metal à la française sortant sur le label indépendant spécialisé dans le genre, et qu’on ne présente plus : Les Acteurs de L’Ombre Productions. Une nouvelle fois, ces derniers ont eu le nez fin en dénichant A/Oratos, jeune formation parisienne de « black metal gnostique ». Derrière cette mystérieuse appellation et ce nom de grec, notre curiosité nous a poussés à vouloir en savoir plus sur leur musique et le fascinant concept lyrique qui se cache derrière leur premier album, Ecclesia Gnostica, un disque plus que réussi. Celui-ci fait d’ailleurs suite à leur premier EP Epignosis publié en indépendant en 2019. Très clairement, A/Oratos s’avère déjà un acteur prestigieux sur la prolifique scène black metal francophone et il faudra le surveiller de très près tant leur style classieux et progressif nous a emballés. [Entretien avec Wilhelm (guitares, compositions, paroles) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Qui se cache derrière ce nom énigmatique A/Oratos, et pourquoi ce choix de nom grec pour le groupe ?
J’ai créé ce groupe à l’origine pour incarner ma propre vision au niveau musical et thématique. Je suis donc en quelque sorte la tête pensante de ce projet, accompagné par mon chanteur lui aussi très investi et par de nouveaux musiciens recrutés à l’occasion de l’enregistrement de l’album. Le nom du groupe vient du mot grec « aoratos » qui veut dire invisible. Littéralement, on pourrait traduire « A/Oratos » par « In/Visible ». Ainsi, le slash entre le A et O sert à appuyer le concept de notre musique autour des mondes visible et invisible. Il y’a bien sûr aussi une référence à l’Alpha et l’Omega, mais de façon plus secondaire. Nous sommes un groupe qui aime bien les concepts, les mystères et les symboles.

Comme moi, avez-vous été marqué par vos cours de latin ou de grec à l’école ou à l’université pour utiliser ce nom d’A/Oratos aujourd’hui dans le groupe ? (rires)
Pas du tout pour ma part, peut-être plus pour mon chanteur puisqu’il maîtrise le latin et le grec ancien…

Plus sérieusement, A/Oratos est-il uniquement un projet musical de studio comme parfois c’est le cas dans le black metal, ou bien y’a-t’il déjà des projets de concerts live et une volonté de performances scéniques afin de rencontrer le public français et étranger ?
Nous avons effectivement une ambition live et sommes en train de commencer à nous y préparer. Cela nécessite une certaine logistique, outre le travail de mise en place du live, étant donné que nous voulons offrir une  expérience scénique qui soit le prolongement de l’expérience auditive de notre disque. Je veux dire par là que nous essayons d’élaborer une musique assez conceptuel, avec une approche ésotérique et mystique, et que nous voulons rendre le plus fidèlement possible cet univers lors de nos concerts à venir.

Vous avez déjà publié un premier EP autoproduit intitulé Epignosis en 2019. Le premier album Ecclesia Gnostica en constitue-t’il la suite lyrique directe avec un concept ici sous forme d’album ?
Il y a effectivement un lien et une continuité entre notre EP et notre album, nous n’avons pas changé d’orientation au niveau thématique. La différence étant que notre album est beaucoup plus abouti, à tous les niveaux (musical, thématique et visuel). C’est certainement pour cela que j’ai mis autant de temps à composer cet album, car je voulais absolument écrire une œuvre originale et saisissante.

Visuellement, on constate qu’un grand soin a été apporté sur vos photos promotionnelles et la pochette (artwork) de ce premier album, comme bien souvent dans les sorties du label Les Acteurs de l’Ombre Productions. Sur la photo prise par Inès Dieleman, s’agit-il du guitariste Wilhelm, fondateur du groupe A/Oratos, que l’on voit dessus représentant une sorte de prêtre avec de l’encens et son instrument doré ? Qu’avez-vous voulu représenter au juste ici sur cette photo ? De même, que représente l’artwork de ce premier album Ecclesia Gnostica ? Les symboles de la flèche, du soleil en bas, d’un os, et des dorures, m’ont fait pensé beaucoup à Apollon dans la mythologie grecque, à la fois dieu des arts, de la beauté masculine, de la guérison, de la lumière, du soleil, mais aussi porteur de malheur comme la peste par la flèche (représentée ici) de son arc…
Il s’agit bien de moi. (sourires) Cette tenue s’inspire librement des tuniques portées pendant l’antiquité, pour rappeler l’origine ancienne des traditions ésotériques qui composent les thématiques de notre musique, à savoir la Gnose des premiers siècles après J.C., l’Hermétisme et la Kabbale. Cette tenue nous permet également d’incarner une fonction presque sacerdotale dans l’intention que nous donnons à notre musique. Notre artwork a été réalisé par Vincent Fouquet du studio graphique Above Chaos, avec qui nous collaborons étroitement depuis notre EP. L’œuvre a été imaginée par Vincent à partir des thématiques et des concepts abordés dans l’album. Elle saisit toute l’essence de notre album, sa profondeur mystique, la certaine flamboyance de notre musique ainsi que certains symboles et concepts clés. L’interprétation que tu en fais est intéressante, mais en réalité la pointe de lance au-dessus de l’ossement humain symbolise surtout un concept important pour nous, que l’on retrouve dans la Gnose, à savoir le rejet de la chair humaine, de la matérialité terrestre, au profit de la connaissance du Divin et du monde spirituel. De même, la lune et le soleil représentés de part et d’autre des mains jointes, réfèrent à la connaissance et à la pratique des deux serpents d’énergie masculine et féminine formant le caducée d’Hermès, c’est-à-dire une représentation cryptée de l’éveil spirituel. Il y’aurait bien sûr d’autres choses à dire mais finalement là n’est pas le plus important, chacun étant aussi libre de créer son interprétation.

Si vous avez des projets de concerts, allez-vous arborer une tenue particulière sur scène afin de vous distinguer de la concurrence ? Afin de ne pas être grimmé sur scène avec corpse paints, pics, cartouchières, ni succombé à la mode des masques comme vos camarades de label Pénitence Onirique que j’ai rencontré au dernier festival Motocultor et que l’on s’apprête à revoir sur scène à Orléans le 27/01/24 (live report à venir sur notre site web (sourires)
La tenue que nous porterons sur scène sera sensiblement similaire à celle que je porte pour nos photos promos. Notre corpse paint est réalisé à partir maquillage noir et doré, là aussi hautement symbolique pour représenter encore une fois la dualité entre le monde visible et invisible. Nous sortons effectivement des traditionnelles cartouchières et bracelets à pics, qui ne seraient pas très à propos concernant nos thématiques.

Musicalement, A/Oratos propose un black metal raffiné et assez technique, mélodique et quelque peu progressif. Ne craignez-vous pas de paraître un peu « intello » ou trop cérébral auprès du public black metal (et metal en général), voire même difficile d’accès tant musicalement que lyriquement avec le(s) concept(s) évoqués dans les premières questions de cette interview ?
Je n’aurai personnellement pas la prétention de penser que le public metal n’aurait pas les moyens, l’envie ou la capacité d’accueillir un album concept comme le nôtre. Bien au contraire. D’ailleurs, certaines des personnes les plus brillantes et cultivées que je connaisse viennent précisément du black metal et du metal extrême. Mais je dirai surtout que notre album s’adresse à tout le monde, puisqu’il comporte plusieurs niveaux d’écoute, et que musicalement tout le monde peut être touché à un degré divers. Je ne m’adresse ainsi surtout pas qu’à un petit cercle d’initiés (dans tous les sens du terme), d’exégètes ou de spécialistes de la bibliothèque de Nag Hammadi, et bien heureusement, car c’est que j’aurai raté ma vocation d’universitaire que je ne suis absolument pas !! (rires) Mon ambition est surtout d’apporter ma vision musicale sur de sujets métaphysiques que je trouve essentiels, à une époque où la course technologique prend une courbe exponentielle de plus en plus folle nous éloignant encore plus de toute dimension spirituelle, et finalement existentielle.

Selon toi, quelles sont les principales influences musicales chez les membres d’A/Oratos ? Les Français d’Orakle, Seth, ou Glaciation, les classiques scandinaves (Emperor…), des groupes de black metal québécois peut-être comme Gris ou Sorciers de Glace ?
Je porte aux cimes effectivement Emperor et Dissection qui restent des influences majeures pour moi. Je suis également un grand fan des premiers albums d’Opeth, Morningrise tout particulièrement, qui est le disque qui m’a fait rentrer par la suite dans le metal extrême. J’aime aussi la scène Québécoise en effet. Quant à Orakle, cela ne s’invente pas, il s’agit justement du projet de Frédéric Gervais (Studio Henosis) qui a réalisé le mixage et mastering de notre album ainsi qu’un guest vocal sur le titre « Deuteros ».

Mais qu’est-ce donc que le « black metal gnostique » dont vous vous réclamez exactement ? C’est basé sur la connaissance, le savoir, c’est ça ?
Tout à fait, c’est une étiquette que j’ai voulu mettre pour caractériser le propos musical et thématique de notre groupe autour du concept de la Gnose dans son sens le plus large.

Aujourd’hui, le sacré a tendance à revenir au goût du jour car les gens ont besoin de nouveau de se rattacher à des notions ou choses sacrées en ces temps de crise (sanitaire, inflation, guerre, intempéries…), et pas forcément à travers que la religion. Les médias en parlent, et cela peut se manifester sous différentes formes. La journaliste Sonia Mabrouk a d’ailleurs récemment publié un ouvrage intéressant « Reconquérir le Sacré » (éd. L’Observatoire) à ce sujet bien qu’avec un certain parti pris de son côté. Qu’en pensez-vous ? Le sacré occupe-t’il une grande part d’inspiration et des sujets chez A/Oratos en fin de compte ?
Je suis d’accord personnellement avec ce constat, et je pense que ce retour vers le sacré suit une dynamique logique et naturelle, Nietzsche ayant déjà constaté il y a longtemps la mort de Dieu et du monde suprasensible dans notre société contemporaine. S’agissant d’A/Oratos, le sacré tient bien sûr une place prépondérante puisqu’il s’agit quelque part de l’essence même de notre musique…

Pourquoi avoir choisi la langue de Molière au niveau du chant dans A/Oratos ? Vous ne visez pas les pays étrangers avec ce premier album même si le black metal français y est de plus en plus apprécié ? L’anglais faciliterait l’export surtout à l’ère d’internet de nos jours ?
Nous visons aussi bien le public français qu’étranger. Bien sûr, il aurait été plus facile de s’exporter avec la langue de Shakespeare mais je crois qu’aujourd’hui la scène française a la légitimité suffisante pour pouvoir défendre notre belle langue, qui contrairement à ce que beaucoup disent, se prête très bien aussi à la musique. C’était un choix assumé pour cet album, mais je ne m’interdis rien non plus à l’avenir.

De quoi parle la chanson et premier single « Daath » qui est un mot hébreu ? Peux-tu nous en dire davantage, tant sur le plan lyrique que musical ?
Ce morceau a un sens assez profond et une symbolique importante puisqu’il évoque Daath, une sphère cachée dans l’arbre séfirotique. Dans le chemin de l’éveil spirituel, cette sphère de conscience représente le point de non-retour, la dernière porte à franchir avant la connaissance divine. Ce mot signifie d’ailleurs « connaissance » en hébreu, et donc finalement la Gnose… Pour accéder à Daath, à cette sphère de conscience à atteindre dans le chemin initiatique, il faut accepter et dépasser sa propre peur de mourir. Ce morceau évoque également la « merkabah », le véhicule céleste auquel est rattaché notre corps physique, concept que l’on retrouve par ailleurs dans de nombreuses voies spirituelles à travers le monde, notamment en extrême orient. Les correspondances mystiques étant très nombreuses entre la Kabbale juive, les cultes de l’ancienne Égypte, le soufisme de l’Islam, la Gnose et l’alchimie du Moyen-Âge et les religions asiatiques.

Une version « playthrough » à la guitare du single « Daath » est parue également sur internet où l’on voit, me semble-t’il, toi Wilhelm jouer de la guitare en toge sous plusieurs angles de caméra. Ça ne doit pas être si évident de jouer ainsi assis… (lol !) Plus sérieusement, quel était le but ici et quels sont les premiers retours que vous avez car on constate là que c’est relativement hypnotique et assez technique à la guitare ? Cela requiert beaucoup de précision et doigté ? Les débutants à la guitare vont pleurer… (rires)
J’ai tourné cette vidéo « guitar playthrough » de notre premier single dans le but de proposer un contenu supplémentaire pour la promotion du single et cette fois-ci plus directement ciblé pour les musiciens, étant moi-même amateur de vidéos de ce type chez d’autres artistes. Pour être tout à fait honnête, j’ai eu assez peu de retours (Ndlr : interview réalisée très peu de temps après la publication en ligne de cette version), cette vidéo n’ayant certainement pas eu autant de visibilité qu’attendue en comparaison au travail qu’elle m’a demandé pour sa réalisation !

Plus globalement, comment s’est passé l’enregistrement en studio avec Frédéric Gervais au Studio Henosis ?
En fait, nous n’avons rien enregistré au studio Henosis. Frédéric était chargé uniquement du mixage et du mastering de l’album.

Et qui a interprété les parties de batterie sur ce premier album Ecclesia Gnostica ? Car personne ne semble être crédité à ce poste ? Pourtant il s’agit bien d’une batterie acoustique que l’on entend. L’enregistrement en studio ne se limite qu’à deux personnes : Aharon et Wilhelm ? Pourtant il me semble que vous étiez cinq dans le line-up d’A/Oratos ?
La batterie a été brillamment enregistrée par Kampen Turbokot, engagé et donc crédité pour cela, chez notre ami Johan de Mannaz Records, et l’enregistrement du chant chez Andrew de Hybreed Studios. J’ai enregistré toutes les guitares de l’album dans mon home studio, de même pour notre bassiste. Nous avons donc été quatre au total à enregistrer l’album. On vient en revanche de recruter un deuxième guitariste pour compléter notre line-up afin de faire de la scène.

Pour conclure, quels sont les projets d’A/Oratos pour cette année 2024 qui commence ? D’autres projets de vidéo clips ? Des concerts en France et ailleurs dans le monde peut-être en fonction des réponses à l’album et selon vos ambitions précédemment évoquées et possibilités ? (sourires)
Un peu de tout ça ! Nous avons l’envie de mieux traduire en image l’identité de notre groupe. Nous avons donc le projet de tourner un nouveau clip (Ndlr : « Le Hiérophante ») et de défendre sur scène notre album avec des concerts dans les mois à venir. Merci pour cette interview !

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