AURORA BOREALIS : entre mythe et histoire

Plus que jamais en 2022, les nombreuses formations de métal extrême doivent innover pour tenter de se démarquer et sortir du lot sur l’immense toile qu’est internet, que ce soit à travers des vidéoclips toujours plus provocateurs, ou bien leur technicité sans oublier l’intérêt premier : la musicalité. Existant depuis 1994, Aurora Borealis fait déjà presque figure de vétéran sur la scène black/death metal US. A l’occasion de la sortie de son dernier brûlot dont le concept nous a interpellé, nous avons interrogé son leader, principal compositeur et producteur, afin de mettre en lumière les atouts de ce trio américain pas forcément des plus connus sur le Vieux Continent, la faute essentiellement à l’absence de concerts par chez nous. [Entretien avec Ron Vento (guitare/chant, paroles) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Aurora Borealis existe en fait depuis 1994 à Walforf (état du Maryland) aux États-Unis. Comment expliques-tu une telle longévité de ton groupe, et qu’est-ce qui te pousse à continuer à jouer ce black/death metal si heavy et evil encore aujourd’hui en 2022 ?
Eh bien, pour moi, arrêter n’est vraiment pas une option. La musique est comme une drogue pour moi. C’est ma façon de m’exprimer et aussi d’avoir un exutoire créatif. Une ou deux fois, je me suis dit que j’arrêterai de faire des albums en studio, mais au bout d’un an, j’ai dû recommencer à écrire en fin de compte. (sourires)

Quand on vous écoute, la musique d’Aurora Borealis sonne très puissante, comme si vous étiez plus que trois musiciens. On a l’impression d’entendre plus d’instruments et personnes alors que vous êtes simplement constitué en trio. Combien d’heures hebdomadaires passez-vous à pratiquer vos instruments et travailler ton chant pour atteindre à la fois un tel niveau de technicité et aussi de férocité, notamment vocalement te concernant ?
Nous pratiquons forcément tous un peu depuis longtemps, depuis que je suis enfant en fait. D’ailleurs j’ai gardé des cahiers d’entraînement sur mon instrument et le chant, et je me suis obligé à pratiquer un certain nombre d’heures par semaine. Je l’ai toujours fait comme un travail et je savais que c’était le seul moyen de m’améliorer. Quand j’écris de la musique, j’essaie de la rendre assez technique mais trop non plus, sans exagérer à outrance, pour que ce soit écoutable. (rires) Je passe aussi de nombreuses heures dans le processus d’enregistrement et de mixage en studio. Il y a plusieurs couches d’instruments dans tout ce que tu entends, bien entendu, sur l’album. Parfois, sur certains passages de chansons, il y a plus de soixante à soixante-dix pistes. Nous prenons tous ce que nous faisons très au sérieux.

Pendant la pandémie du Covid-19 en 2020 et 2021, comment as-tu vécu cette période en tant qu’artiste ? En as-tu profité pour pratiquer encore plus ta technique à la guitare et composer ce nouvel album afin d’être plus affuté sur ton instrument et devenir meilleur musicien ?
Non, pour être honnête, je n’ai pas du tout changé ma routine. J’ai gardé mon emploi et mon entreprise ouverts parce que je ne pense pas que le gouvernement avait le droit de me dire que je ne pouvais pas travailler. J’ai donc fait savoir publiquement que je ne ferais pas ce qu’ils me demandaient. J’ai même annoncé que j’étais ouvert et, ce faisant, mon entreprise a presque doublé de chiffre d’affaires parce que les gens ne voulaient pas rester assis à la maison. De plus, comme tant de musiciens ont été contraints de rester à la maison, ils ont tous écrit beaucoup et avaient besoin d’un endroit pour enregistrer. Comme j’étais le seul studio d’enregistrement ouvert dans ma région, j’ai été inondé de nouvelles affaires et projets. Mon studio était réservé plusieurs mois à l’avance. Je n’ai donc pas vraiment eu l’occasion de m’entraîner beaucoup de mon côté ou d’écrire du nouveau matériel pendant cette période. J’ai écrit des riffs ici et là qui sont ensuite allés sur un album mais j’ai passé la plupart de mon temps à enregistrer d’autres personnes.

Votre précédent album studio intitulé Apokalupsis est sorti en 2018 et l’artwork me rappelle le dernier Hypocrisy Worship sorti plus tard en 2021 (retrouvez notre interview en français de Peter Tägtgren et la chronique de son dernier album ici). Penses-tu que Peter Tägtrgren ait été inspiré par votre album Apokalupsis et les paroles d’Aurora Borealis sur son dernier disque, ou bien est-ce un sujet commun ici récurrent dans le métal (apocalypse, science-fiction, relation avec d’anciennes mythologies et extraterrestres, etc.) ou est-ce tout simplement juste une coïncidence peut-être ? (sourires)
C’est drôle, l’un de mes amis m’a envoyé cette couverture d’album aussi et m’a dit que Hypocrisy nous avait copié. Je dois dire que ça ressemblait beaucoup mais ça va. Je ne sais pas s’ils ont vu le mien en premier ou non en revanche. Mais nous avons définitivement publié notre album bien avant eux (Ndlr : en 2018). (sourires) Tant de gens pensent que cet album parle d’extraterrestres, mais en fait, il n’a rien à voir avec les extraterrestres. Les êtres extraterrestres se tiennent devant un serpent sur un pommier. Dans le ciel, des anges tombent à travers un portail. Les extraterrestres sont en fait des démons ou des anges déchus qui prennent la forme d’entités extraterrestres dans le but de tromper la race humaine en lui faisant croire qu’ils sont réels. Il s’agit là de la manipulation de l’humanité par Satan avec ses forces démoniaques. L’histoire va très loin en fait. Je crois que les extraterrestres existent dans l’univers, mais je ne crois pas qu’ils soient ici sur terre et je pense qu’il est théoriquement impossible pour eux d’être ici, ce que j’explique également sur cet album particulier.

Apokalupsis est donc paru en 2018 sur Casus Belli Musica comme dit précédemment, et maintenant vous êtes de retour avec un huitième album, Prophecy Is the Mold in Which History Is Poured, chez Hammerheart Records. Pourquoi ce choix de deal car ce célèbre label néerlandais avait disparu entre 2006 et 2010 après son changement de nom en Karmaggedon Records ? Êtes-vous confiant pour cette nouvelle sortie et pour l’avenir d’Aurora Borealis (promotion, distribution, etc.) en général ?
Eh bien, nous sommes allés avec eux parce qu’ils avaient une très bonne distribution et un grand nom reconnu et qu’ils existent depuis très longtemps. Ils ont aussi des partenariats avec Napalm Records et Nuclear Blast, ce qui est génial. Jusqu’à présent, ils ont fait du bon travail en matière de promotion et d’interviews, etc., je suppose que nous verrons dans un mois ou deux s’ils continuent à pousser l’album ou s’ils poussent d’autres sorties et artistes, en nous laissant tomber aux oubliettes en quelque sorte. Le temps nous dira si nous avons pris une bonne décision ou non. Quoi qu’il en soit, ils ont été formidables jusqu’à présent.

AURORA BOREALIS Apokalupsis
HYPOCRISY Worship

Depuis tes débuts, tu as probablement vu l’évolution du business de la musique, et aussi la communication avec les fans désormais sur internet. Comment se passent les premières réactions à propos du nouvel album aujourd’hui sur le web et les réseaux sociaux car c’est tout chaud, la sortie était le 18 novembre 2022 ? (sourires)
Oui, mais en Amérique, il est sorti le 4 novembre 2022, donc c’est plutôt cool d’avoir les deux sorties échelonnées ainsi. Nous avons été pas mal tagués par les fans et 99% de la réaction est excellente. Jusqu’à présent, seuls deux critiques ont exprimé une aversion pour cela et les raisons qu’ils ont énumérées étaient parce que c’était trop rapide tout le temps et l’autre a dit que la musique était partout et manquait de structure en plus d’être trop technique, et pour être honnête, ces deux choses ne me dérangent pas du tout, elles se complètent en quelque sorte tout en essayant de dire qu’elles n’aiment pas ça. Je respecte l’opinion de quiconque à ce sujet et on ne peut pas plaire à tout le monde tout le temps… Mais dans l’ensemble, oui, jusqu’à présent, les réponses des magazines et des fans sont extrêmement bonnes.

Maintenant, peux-tu m’en dire plus sur ce titre du nouvel album, Prophecy Is the Mold in Which History Is Poured, s’il-te-plaît ? Quel est le concept si c’est un album conceptuel justement comme c’est parfois le cas dans le métal ?
Il s’agit d’un album concept qui suit Nimrod (ou Nemrod), le héros chasseur dans sa guerre contre Dieu et les anges. (Ndlr : dans la Bible, Nemrod ou Nimrod est le premier héros après le Déluge) L’histoire couvre la construction de sa tour de Babel et sa chute, ainsi que sa disparition. Les nombreux autres noms de dieux par lesquels il est connu varient à travers les siècles au fur et à mesure que sa légende grandit. Après l’écroulement de la célèbre tour, a lieu la division de l’humanité par le langage. Nous apprenons plus tard qu’il est en fait l’antéchrist qui ressuscitera et maintenant même dans les temps modernes, des gens comme les francs-maçons de Washington D.C. se préparent à son retour depuis l’origine de la ville, à travers la construction de la ville et c’est beaucoup fait de symboles païens. Tout ça et la façon dont la vieille ville est même aménagée joueront un rôle dans la résurrection. Plus tard, ils déterrent ses restes sous le sphinx en Égypte, où il se trouve depuis des milliers d’années. Et le ramènent à Washington D.C. où ils utilisent une anomalie dans l’univers dans laquelle les planètes s’alignent, un nuage d’orage cosmique et une éjection de masse cornéenne se produisent simultanément pour produire le pouvoir nécessaire pour le ramener  à la vie dans un nouveau corps qu’ils ont utilisé à créer grâce au séquençage de l’ADN. À son retour à l’insu du peuple, pendant son règne, il amène le monde à une paix totale et les gens le suivent en tant que nouveau leader mondial qui aboutit à la révélation et à la grande bataille d’Armageddon. Voilà, j’ai essayé d’être aussi bref que possible. C’est plus approfondi. J’essaie de l’imaginer comme un film, en fait. Chaque chanson est une partie différente de l’histoire.

Veux-tu donc dire ici que les prophéties, les mythologies, les textes religieux ou les prières orales peuvent influencer nos actes quotidiens et façonner l’histoire des êtres humains finalement à cause de leur énorme influence sur nos croyances et actes inconsciemment, même encore de nos jours ?
Et oui, bien sûr, toutes ces choses que tu as mentionnées peuvent influencer l’histoire. Surtout si les dirigeants suivent aveuglement certaines sectes religieuses avec leurs prières ou prophéties. Dans mon titre, l’histoire n’a pas le choix. Si les prophètes le disent, cela doit s’accomplir. L’histoire suit simplement la prophétie.

Musicalement, ce nouvel album est très intense, complexe, brutal, mais aussi mélodique tout de même, avec un gros travail sur les leads de guitares. On pourrait résumer le genre à du black/death comme style de métal extrême. Mais toi, comment définirais-tu ta propre musique pour les oreilles d’un public qui ne vous connaît pas encore ?
J’aime décrire notre musique comme un mélange de la plupart des genres extrêmes comme tu dis toi-même, le black metal et le death metal, mais aussi le thrash. C’est définitivement assez technique comme je le disais plus tôt, mais pas exagéré. Je m’inspire de tous les genres, il m’est donc difficile de ne pas écrire de cette façon en fin de compte. J’ai aussi un side project de pur black metal sur lequel je retravaille actuellement pour un tout nouvel album : Imperial Crystaline Entomment. En fait, j’aime toutes les formes de métal extrême. (sourires)

Chez Aurora Borealis, je retrouve deux influences musicales majeures, après tu me diras si tu es d’accord ou pas (sourires) : Absu (pour la rapidité de la batterie, le chant black metal, les guitares lead et l’intensité occulte et païenne) ; et aussi Angelcorpse (pour cette férocité et la puissance de certains riffs plus typiquement death metal). Bien sûr, Aurora Borealis est un groupe contemporain de ces deux formations cultes, et américaines qui plus est. Et Aurora Borealis a développé son propre style depuis de nombreuses années. Qu’en dis-tu ?
C’est drôle, je n’ai jamais vraiment aimé Absu !! (sourires) Je ne les ai jamais vraiment écoutés donc je ne peux pas dire qu’ils m’aient influencé à vrai dire. Je peux toutefois dire que je respecte ce qu’ils ont fait et la musique qu’ils ont créée. Mais concernant Angelcorpse, ça je peux dire que j’aime. Je les ai toujours trouvés très intenses et brutaux, ce que j’apprécie beaucoup. Beaucoup de gens disent que nous leur ressemblons un peu. Mais j’aime à penser que nous en sommes une version technique plus raffinée. Pour ce qui est de mes influences black metal, elles proviennent plutôt de groupes comme Dark Funeral ou Setherial, et plus généralement les groupes de black metal rapide les plus agressifs.

Pourriez-vous être physiquement partants et prêts pour interpréter entièrement votre nouvel album de Prophecy Is the Mold in Which History Is Versed en live sur scène pour vos nouveaux concerts à venir ou techniquement c’est trop difficile avec toutes ces nouvelles chansons aux structures complexes ? A défaut, est-ce que l’idée t’intéresserait au moins ?
Bien sûr, cela ne nécessiterait que quelques semaines de pratique, mais cela pourrait être fait. On ne répète pas régulièrement ensemble, donc ce serait juste un processus de révision des choses et de mise en place, mais mes gars connaissent toutes leurs parties par cœur à l’intérieur et à l’extérieur quand ils entrent studio. J’ai écrit tellement de chansons que je n’aurais qu’à me concentrer sur l’album, mais tout ce que j’écris, je peux bien entendu l’interpréter. Mais actuellement, je ne me vois pas sortir et reprendre la route des tournées de sitôt cependant.

Je sais que c’est toujours difficile mais, selon toi, quelles sont tes quatre chansons préférées du nouvel album ?
Mes quatre chansons préférées sont « The House of Nimrod », « Founding Fathers of Deception », « Ephemeral Rise », et peut-être « God Hunter ».

Allez-vous tourner des vidéos de nouvelles chansons car « The House of Nimrod » n’offrait qu’une vidéo avec la pochette de l’album au départ avant le lancement du nouvel album, et penses-tu qu’il est important de promouvoir et d’exporter sa musique sur internet et tous ses canaux de nos jours, ou bien tu vois Aurora Borealis plutôt comme un groupe old school et tu préfères jouer live à travers le monde afin de présenter ta musique face au public ?
Nous avons tourné des vidéos pour les titres « Founding Fathers Of Deception » et « The House of Nimrod », qui sont toutes deux maintenant disponibles. Nous avons loué un super endroit appelé « l’asile de Pennhurst » et avons embauché un super vidéaste pour ça. Ces vidéos sont toutes les deux tournées à un très haut niveau. J’encourage tous vos lecteurs à les consulter sur YouTube d’ailleurs. En vieillissant, je veux jouer moins et me concentrer uniquement sur la musique, donc je dirais que je suis davantage intéressé par la nouvelle méthode de communication actuelle. Après, si une bonne opportunité se présentait à nous, j’envisagerais de refaire une tournée avec Aurora Borealis.

Peut-on espérer vous voir en concert en Europe et notamment en France tout de même ? Peut-être que les prochains festivals d’été européens peuvent vous inviter… (Festival Motocultor, festival Hellfest, etc.)
On envisage en effet de jouer un festival. Mais le plus dur n’est pas seulement d’atteindre le seuil de rentabilité sur les vols internationaux, c’est de ne pas perdre d’argent tout court à tous les niveaux à défaut d’en gagner. Il a toujours été difficile d’essayer de gagner de l’argent en tournée quand tu n’es pas un grand groupe, tu sais. Ces festivals dont tu parles seraient incroyables pour nous.


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