DARKESTRAH : Nomades des temps modernes

Si vous connaissez peut-être déjà le phénomène des steppes mongoles de The Hu avec son heavy metal dont nous vous avions déjà parlé, il est moins probable que connaissez Darkestrah, formation de folk black metal shamanique née bien avant leurs voisins, dans les montagnes du Kirghizstan, sur la même ancienne route commerciale de la soie. Dorénavant établis en Allemagne pour diverses raisons, ses membres (dont le fondateur Asbath) choisirent étonnamment de signer en 2016 un contrat avec Osmose Productions, label français à la réputation légendaire dans le milieu (Immortal, Enslaved, Marduk, Impaled Nazarene, Tsatthoggua, Benighted, etc.). Après huit années marquées par plusieurs changements de line-up, la sortie d’un EP et d’un coffret, Darktestrah publie ce printemps un bien bel ouvrage renouant avec ses racines païennes d’antan qui pourra séduire au passage les fans de nos chouchous russes d’Arkona. Leur septième opus intitulé Nomad marque aussi l’arrivée d’une nouvelle chanteuse et percussionniste Charuk, tout aussi evil et habitée que son illustre précurseur(e) Kriegtalith, même si Merkith fit le boulot entre-temps sur Turan. [Entretien avec Asbath (batterie, membre co-fondateur) et Cerritus (basse, temir-komuz, parolier) par Seigneur Fred & Morbidou – Photos : DR]

Nous sommes heureux de voir Darkestrah revenir maintenant, en 2024, depuis votre dernier album Turan sorti tout de même en 2016 ! Cela fait longtemps… En attendant, vous nous avez quand même laissé des nouvelles car nous avions eu droit en 2019 à un coffret pour votre vingtième anniversaire : 20th Anniversary Chronicles of Nomadic Conquest (Beverina Productions), et aussi l’EP Chong Aryk (Shaytan Productions) proposé en 2021. Mais huit ans se sont donc écoulés depuis Turan, ce qui est long pour certains grands fans, n’est-ce pas ? C’est comme un nouveau disque Metallica ou de Slayer à attendre ! Imaginez pour les fans ! Alors pourquoi tout ce temps avant un album studio complet ? (sourires)
Cerritus : Ce fut si long ? (sourires) Ce n’est pas du tout le cas pour nous. Tout cela a semblé être pour nous une évolution très naturelle. On a enregistré un album, joué quelques concerts, eu quelques changements de line-up, puis la pandémie est arrivée en 2020, etc. On a fait valser les restrictions de confinement pour enregistrer l’EP Chong Aryk dont tu parlais, puis on a recommencé à composer sur de nouvelles compositions pour un album complet, et nous voilà avec Nomad. Ce ne fut donc pas si long que ça pour nous en termes d’activité et d’écriture.

Votre coffret (20th Anniversary Chronicles of Nomadic Conquest) ne semble pas avoir été bien distribué en France, à notre connaissance. Pourquoi ? Il n’est pas sorti en France et en Europe chez Osmose Productions, votre label actuel. Alors qui le distribue en fait parce qu’il est alors difficile de l’obtenir/de l’acheter ?
Asbath :
Notre premier contrat avec Osmose Productions a été rempli avec Turan, donc lorsque Juris, le responsable de Beverina Productions, nous a approchés avec l’idée d’un coffret, nous étions libres de toute obligation. On alors trouvé l’idée géniale et avons décidé de le faire. Je ne sais pas s’il y a une distribution en France, mais à ma connaissance, le coffret est de toute façon épuisé à présent.

Depuis plusieurs années déjà, vous avez quitté Bichkek (au Kirghizstan) pour Leipzig (en Allemagne). Pourquoi avez-vous déménagé ? Était-ce facile à vos débuts de jouer de la musique dark folk/black metal lorsque vous avez lancé le groupe en 1999 dans votre pays natal ? Avez-vous rencontré des difficultés au Kirghizstan (censure, lieux, scructures pour faire des concerts, etc.) ?
Asbath : Kriegtalith (Ndlr : leur ancienne chanteuse de 1999 à 2014) et moi avons tous deux déménagé en Allemagne avec nos familles parce que nous sommes tous deux d’ascendance allemande. Cette décision n’était en fait pas directement liée au groupe. Cependant nous avons décidé de continuer Darkestrah sur le sol allemand. À l’époque, Bichkek avait une scène metal dynamique et non, il n’y avait aucune restriction, mais aussi pas d’argent et pas de véritable avenir pour nous. Tous les groupes qui sont restés au Kygyzstan sont maintenant séparés et n’ont laissé aucun héritage substantiel sous forme de disques, car à l’époque même un ordinateur capable de produire une démo décente qui est devenue plus tard notre premier album Sary Oy était un du luxe, sans parler des studios professionnels…

Pensez-vous que le fait d’avoir déménagé pour l’Europe et l’Allemagne précisément vous a donné plus de liberté, plus de moyens, et vous a aidé à développer la musique et à trouver des réseaux professionnels dans le secteur de la musique pour faire ensuite des concerts, trouver un contrat d’enregistrement, etc. ? Est-ce que cela a ouvert des portes malgré le développement d’internet au même moment ?Cerritus : Oh oui ! L’Europe est un endroit où il faut être si vous jouez du metal. Tous les meilleurs événements et lieux sont ici et aucune restriction de voyage.

À Metal Obs, nous sommes français, comme vous savez… Donc forcément, on doit vous demander pourquoi avoir choisi Osmose Productions et signé un contrat d’enregistrement avec Hervé et ce label français et pas un label allemand par exemple ? (sourires)
Cerritus :
Osmose est une légende pour nous. La moitié des albums que j’aimais quand j’étais adolescent et que j’aime toujours aujourd’hui y sont sortis, sinon plus.

À propos de la musique metal, quelles sont vos racines musicales au sein du groupe ? Avez-vous grandi avec la deuxième vague de black metal des années 90 venant principalement de Scandinavie (Norvège, Suède, Finlande) et ses ambassadeurs comme Darkthrone, Immortal, Emperor, Enslaved, Mayhem, Satyricon, etc. et plus tard Finntroll peut-être ? Ou plutôt les pionniers du black metal comme Bathory, Venom, Hellhammer/Celtic Frost… ?
Asbath :
Je suppose que je parlerais au nom de nous deux, Cerritus et moi, quand je dis que la deuxième vague de black metal et les premiers albums de doom/death metal qui ont émergé à peu près à la même époque sont de là d’où nous venons pour ainsi dire. Pour citer certaines des influences les plus importantes lors de la formation de Darkestrah, je nommerais les premiers Emperor, oui, les premiers My Dying Bride et surtout le premier album de Helheim : Jormungand.

Parlons maintenant de votre nouvel et septième album studio Nomad, car en réalité, nous sommes tous des nomades au départ… (sourires) Ce nouvel album vous voit revenir à des éléments plus sauvages et naturels, païens, (des chansons comme « Nomad », « Destroyer of Obstacles », etc.) et l’utilisation à des instruments traditionnels quelque peu en retrait depuis Turan. En composant cet album, avez-vous ressenti le besoin de revenir à cette atmosphère plus folklorique, plus shamanique, dans votre musique ? Comme un retour aux sources, en quelque sorte ?
Cerritus :
Disons que je préfère dire que c’est un nouveau chapitre pour nous. Nous avons du sang neuf dans le groupe et bien que Charuk (chant, percussion) et Magus (tambour, instruments folk) se soient joints lors de l’enregistrement du EP Chong Aryk, c’est la première fois que le processus d’écriture commence avec eux et leurs connaissances et compétences exceptionnelles dans l’utilisation d’instruments acoustiques traditionnels dans un contexte metal nous ont permis d’aller facilement de l’avant.

Loin de votre pays, même si votre culture est en vous, parvenez-vous à entretenir ce feu sacré du « folk » entre guillemets, car votre approche n’est bien sûr pas celle de groupes comme Korpiklaani ici, plus dansants et joyeux. ? Quelle est votre vision de la musique folk/pagan metal selon vous en 2024 ?
Asbath :
La musique traditionnelle d’Asie centrale est généralement moins joyeuse que la musique européenne. Mais elle partage également des similitudes frappantes avec le metal, par exemple le chant de gorge peut être considéré comme une forme de voix dure et le trémolo est une technique courante pour jouer du luth traditionnel.
Cerritus : Nous nous intéressons également davantage à l’aspect mystique de la tradition d’Asie centrale dans le chamanisme et la religion païenne ainsi qu’au côté militant et guerrier nomade plutôt qu’à l’ambiance « boisson et joie » dont tu parles. (sourires)

En comparaison à l’album Turan qui développait de longs riffs orageux, s’étirant comme les étroites vallées des montagnes, on se souvenait que vous aviez mis davantage en avant votre culture sur les albums Mahac et aussi The Great Silk Road (= « La Grande Route de la Soie ») plus tard. Musicalement, depuis vos débuts, vous semblez évoluer entre le pur black metal atmosphérique (Embrace of Memory de 2005) et l’approche folk païenne prononcée de Manas (2013). Nomad semble finalement être le mélange de tout cela aujourd’hui, vous ne trouvez pas ?
Cerritus :
Probablement, cependant, comme je l’ai dit, j’aimerais plutôt y penser comme un nouveau chapitre pour Darkestrah aujourd’hui. Cette fois, nous avons de nouvelles idées et, plus important encore, de nouvelles possibilités pour les concrétiser, que nous n’avions pas auparavant, grâce notamment à notre expérience et l’arrivée de nouveaux membres.

Sur Nomad, vous n’avez pas peur de perdre néanmoins quelques auditeurs parfois lorsque vous jouez des morceaux plutôt longs (environ neuf minutes) en y développant les ambiances précédemment évoquées ? Ce n’est pas systématique, bien sûr, et il y a parfois des titres plus courts (intro, outro instrumentaux)…
Asbath :
Eh bien ! Nous sommes un groupe connu pour son album d’une chanson de plus de trente minutes, donc je ne pense pas que neuf minutes soient quelque chose que nos fans ne seraient pas capables de gérer. (rires) Je préfère dire plutôt qu’une chanson plus courte du nouvel album, comme « The Dream of Kojojash » en fin d’album, est quelque chose que nous n’avons jamais fait auparavant. Non seulement en termes de durée, mais c’est une piste globalement aussi plus expérimentale.

Il y a donc un nouveau line-up dans le groupe Darkestrah : Magus est au tambour, joue aussi du divan, du cuatro, du tar d’Azerbaïdjan; et votre nouvelle chanteuse et percussionniste iranienne : Charuk. Pensez-vous qu’ils apportent du sang neuf et aident à créer ce nouvel album plus mature ? Étaient-ils impliqués dans le processus d’écriture et de composition ou seulement dans l’enregistrement de l’album en studio en Allemagne ?
Cerritus : J’ai l’impression de me répéter, mais cela vaut quand même la peine d’être mentionné à nouveau. Alors oui, à 100% ! Leur contribution sur un nouvel album a donc été cruciale !

Est-ce que Charuk joue de l’accordéon ici sur Nomad ? Personnellement, il ne nous a pas semblé en entendre. À défaut, pourriez-vous inclure à l’avenir des parties d’accordéon qu’elle jouerait comme le fait Korpiklaani dans sa musique par exemple, mais plus dans des passages sombres ou mélancoliques bien sûr, et pas pour faire la fête ? (rires)
Cerritus :
Non, elle ne le fait pas. Bien que son jeu d’accordéon soit tout à fait exceptionnel, nous n’avons pas trouvé de moyen de l’implémenter dans notre musique pour l’instant. De plus, lorsque nous voyageons, Charuk et Magus transportent avec eux déjà une tonne d’instruments, donc ajouter un accordéon serait un désastre logistique…

Merkith a quitté le groupe en 2020, et on a un peu la sensation d’écouter retrouver les cris agressifs et rauques du black metal de votre ancienne chanteuse Kriegtalith… Sur les chansons de Nomad, votre objectif avec la voix de Charuk était de revenir à ce style vocal des débuts de Darkestrah, style qu’avait créé Kriegtalith dans votre groupe entre 1999 et 2014 ?
Asbath : Non, en invitant Charuk, notre objectif n’était pas de trouver une Kriegtalith 2.0. En fait, Charuk est une chanteuse accomplie à part entière, avec son propre style de chant unique et une grande présence sur scène.

Vous sentez-vous proche de la scène metal païenne russe et d’un groupe comme Arkona dirigé par Masha Arkhipova alias la chanteuse « Maroushka » par exemple parce que les voix de Charuk sont assez similaires en fait, alternant screams et voix claire par moment ?
Asbath :
Je ne pense pas. Nous n’avons rien contre ce genre de musique et avons partagé la scène avec Arkona à plusieurs reprises, mais je ne pense pas que nous suivions le même chemin créatif.

Avant de conclure, j’ai découvert que l’album Nomad avait été enregistré avec Andy Schmidt de l’excellent groupe de metal progressif Disillusion dont nous sommes ici fans (notre dernière interview à retrouver ici). Où et comment s’est déroulé l’enregistrement en studio avec lui ? Et pourquoi ce choix car il n’est pas vraiment spécialisé dans les musiques black et pagan metal ? (sourires)
Asbath :
Andy est un génie, je le pense vraiment. Nous avons travaillé avec lui depuis Epos (EP incluant une seule plage de 33 mn) en 2007 et je ne vois personne qui conviendrait mieux à Darkestrah. Il comprend vraiment notre musique, le travail avec lui est toujours très productif.

Allez-vous tourner pour ce nouvel album à travers le monde cette année ? Uniquement en Europe peut-être ? Peut-on espérer voir Darkestrah en live prochainement en France ? Participerez-vous à certains festivals d’été cet été ou l’année prochaine ?
Cerritus : Pour le moment, plusieurs sujets sont en discussion mais il est trop tôt pour dire quoi que ce soit de spécifique. On espère sûrement revenir en France, les shows y ont toujours été géniaux !

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