DER WEG EINER FREIHEIT : Noktvrn

Noktvrn - DER WEG EINER FREIHEIT
DER WEG EINER FREIHEIT
Noktvrn
Black metal atmosphérique
Season of Mist

On pourrait commencer par une biographie classique en parlant d’un énième groupe de black métal scandinave, sauf que là, a contrario, ils sont allemands. Portée sur les fonts baptismaux de Frostgrim (déjà du black metal) et des cendres d’un autre groupe de deathcore, la formation Der Weg Einer Freiheit (= « La voix d’une liberté » dans la langue de Goethe) est née en 2009 sur la scène bavaroise de la ville de Wurtzbourg. Sur son cinquième et singulier opus baptisé Noktvrn, Nikita Kamprad, son leader vocaliste/guitariste originel, et ses sbires, semblent vouloir nuancer un propos toujours plus personnel, et aérer avec délicatesse un art froid et noir, grâce à des riffs longs et glacés comme le blizzard en forêt de Teutoburg…

Dorénavant, des influences discrètes plus orchestrales et classiques se glissent. On pense au vieil et obscur groupe de dark metal Nocte Obducta originaire d’outre-Rhin également. Des sentiments de nostalgie, de solitude, semblent vouloir être poussés ici plus loin, développés par son mentor Kamprad, à la faveur de la sombre mélodie de la nuit et de son spleen. Rien que le titre, Noktvrn, évoque en nous également les trois opus nocturnes lyriques et romantiques du pianiste Frédéric Chopin, même si musicalement, le lien n’est, certes, pas évident… La première écoute est à conseiller dans une petite forêt au milieu de la nuit pour en ressentir les émotions et humer les effluves immédiates dès le crépuscule, entourés d’arbres, l’automne étant en cela la saison idéale. Voilà, le décor est planté. « The Forest is my Throne » en quelque sorte, disait Satyr (Satyricon) en 1993. L’exercice est immersif, tout est harmonieux entre le cadre et la musique du quatuor allemand qui va nous bercer violemment vers les ténèbres. Lorsque le crépuscule arrive… tout est alors clair ! Le nom de chaque chanson dans le track-listing de l’album n’est pas étranger, et permettra aux âmes innocentes bilingues de mettre alors des mots sur tout cela : « Finisterre II » (intro instrumentale), « Monument », « Am Rande der Dunkelheit » (= »Au bord des Ténèbres »), « Immortal », « Morgen » (« Demain »), « Gegen das Licht » (= « Contre la lumière »), « Haven » (« havre de paix »).

Sur une simple mélodie de guitare acoustique dépouillée accompagnée de quelques nappes de claviers, l’intro « Finisterre II » fait le lien direct avec son prédécesseur du même nom paru en 2017, et rappelle d’emblée le même type de chef d’œuvre que le dernier Empyrium (chronique et interview de leurs compatriotes à retrouver ici). Un sentiment de solitude, d’isolement, envahit notre esprit… Un black sauvage et corrosif déboule alors sur un « Monument » d’agression, suivi du tout aussi méchant « Am Rande der Dunkelheit ». On est dans l’épaisseur glacée, le froid. Preuve que la scène black teutonne (au côté des Helrunar, Thulcandra, etc.) a véritablement su s’imposer parmi la scène européenne, tout comme celle française. Mais d’autres éléments arrivent avec des breaks plus lourds, ralentissant l’atmosphère rageuse. Des passages atmosphériques à la fois beaux et lourds s’imposent, créant encore des variations, des contrastes aux contours brumeux, où les percussions réveillent tous nos sens alors que l’on plonge dans la nuit totale… On revient à Chopin. Au micro, les screams de Kamprad, tantôt en anglais, parfois en allemand, accentuent ce sentiment d’insécurité. Ses cris black transpercent nos tympans et sont poignants ( » Am Rande der Dunkelheit  » et son outro à la guitare acoustique, histoire de finir en douceur après huit minutes d’agressivité quasi continue).

Mais l’heure est véritablement à l’expérimentation et à la singularité chez le groupe bavarois. Cela se confirme d’ailleurs sur le troublant « Morgen » à la mélodie jazzy trompeuse, jusqu’à l’arrivée d’un violent refrain. Puis sur « Gegen das Licht », on rencontre le shoegaze, l’atmosphérique, du « post black metal » clameront certains en fin de compte, le tout dans une certaine emphase et toujours avec classe (l’orgue en conclusion). Noktvrn s’apparente clairement à un voyage de noctambule solitaire où nous conduit Der Weg Einer Freiheit dans le noir… Mais les deux titres les plus audacieux encore sont certainement « Immortal », avec ses boucles électro côtoyant des guitares accordées graves (renforcées par des claviers), et enfin le chant clair de l’invité Dávid Makó (des groupes hongrois Haw, The Devil’s Trade, Stereochrist). Enfin, un havre de paix est atteint sur l’ultime « Haven », climax musical avec ses magnifiques chants éthérés. L’auditeur ressort comme libéré en apercevant la lumière à l’horizon après une nuit de songes agitée, entre paganisme et monacal… La forêt, animée en journée, comme dans un parc pour enfants, change ainsi de visage la nuit. Le bruit de la fête, au loin, vous laisse là avec votre introspection angoissante quand le soleil tombe à l’horizon. Vos démons intérieurs vous envahissent, et votre colère de loup, dans les sapins noirs, obscurs comme la demeure d’Hadès, surgit brusquement. C’est un peu tout ça Noktvrn, en fait.

Pour essayer de trouver des jalons, on a ici une essence voisine d’un Wolves in the Throne Room dans l’approche de leur art, sans tout le côté folk et avec des claviers totalement différents, avec d’autres ingrédients que les forces de Mère nature, celles grandioses qui dominent les Américains sur leur dernier album Primordial Arcana (interview et chronique à retrouver ici). Ici point de paganisme donc, nul shamanisme non plus. On a quelque chose de plus intimiste, mélancolique, personnel, tout aussi épique mais contemporain. C’est par moment new school, et ce, malgré une violence primale toujours sous-jacente propre au black metal européen. On peut y voir également des images de nos amis français de Regarde les Homme Tomber (en tournée d’ailleurs actuellement), mais encore une fois, Der Weg Einer Freiheit possède aussi sa propre vision du black metal, avec sa personnalité, son âme avec un concept inspiré par Chopin totalement revisité, en l’occurrence ici la nuit. Celle-ci est superbement mise en son et mise en lumière paradoxalement sur Noktvrn. A écouter donc au fin fond de la nuit dans le silence du monde, dans la mesure du possible. [Morbidou & Seigneur Fred]

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