Si Enforcer avait tenté il y a quatre ans avec l’album Zenith de se démarquer d’un heavy metal d’obédience eighties qu’ils pratiquaient naturellement depuis leurs débuts, force est de constater que Nostalgia, leur sixième opus, marque bel et bien un retour aux sources de la New Wave of Bristish Heavy Metal. Ce courant musical majeur dans l’histoire de notre musique demeure une référence indélébile pour eux. Souvent critiqué pour son mimétisme parfois dérangeant avec un style né il y a plus quarante ans, le quatuor suédois poursuit son bonhomme de chemin, s’avérant être toujours et encore un fervent défenseur d’un metal d’un autre temps. [Entretien avec Olof Wikstrand (chant, guitare) par Pascal Beaumont – Photos : DR]
Vous revenez d’une tournée sud-américaine en février dernier où vous avez eu l’opportunité de donner douze shows. Comment as-tu vécu ce périple ?
Ce fut une grande chance pour nous de pouvoir rejouer là-bas. En plus, on était en plein été alors qu’en Europe c’était l’hiver. On a donné de bons concerts et rencontré de nombreux fans, on a vraiment passé un bon moment en Amérique du Sud !
En avez-vous profité pour tester live de nouveaux morceaux ?
Oui. Chaque soir on a joué « Coming Alive » qui a été très bien accueilli, le public a adoré et c’était assez incroyable pour nous.
As-tu été surpris par quelque chose de particulier lors de ces concerts en Amérique du Sud ?
Ma plus grande surprise a été de voir autant de monde lors de nos concerts. Chaque soir on a eu la chance de pouvoir jouer devant 2000 personnes, pour un groupe comme le notre c’est complètement dingue de voir un public aussi important lors de nos shows. Il y a dix ans on y est allé une première fois, et on avait pu constater comment les choses avaient évolué notamment au niveau des salles de concerts qui sont devenues très confortables et accueillantes. Et puis les villes elles-mêmes avaient évolué aussi, elles sont devenues très modernes comme celles que nous connaissons en Europe.
Le 20 octobre 2022 vous avez aussi joué à Cléon aux côtés de nos légendes françaises Sortilège et Adx !
Oui, je m’en souviens très bien, c’était très agréable et le concert était bon. J’adore Sortilège, je les écoutais lorsque j’étais adolescent, c’est un de mes combos favoris, ils m’ont beaucoup inspiré. J’aime leur manière de composer, j’ai toujours pensé qu’ils avaient quelque chose d’unique, je les apprécie énormément.
Tout comme Christian Augustin, tu possèdes une voix très aigue qui te permet de monter très haut lorsque tu chantes. La travailles-tu d’une façon spéciale ?
J’espère chanter aussi bien que Christian, je ne sais pas. J’en prends soin. Lorsque je suis en tournée c’est mon principale souci de faire attention à ma voix, de faire en sorte que je sois capable de bien chanter tous les soirs. Cela signifie qu’il faut y penser en permanence. Je ne peux pas me rendre dans des fêtes ou des soirées et sortir toute la nuit, faire des choses qui seraient mauvaises pour moi et qui nuiraient à mes cordes vocales. Je ne veux pas me réveiller et ne plus avoir de voix un matin surtout lorsque je chante chaque soir. Je dois vraiment faire attention à moi quotidiennement, je n’ai pas le choix.
Zenith est sorti en 2019. Comment avez-vous abordé cette fois l’écriture de ce nouvel opus Nostalgia ?
Cette fois-ci, ça a été plus facile ! C’est venu très naturellement lors de la composition. Pour Zenith c’était un travail ambitieux, on voulait explorer de nouvelles choses que nous n’avions jamais tentées auparavant. C’était un travail énorme, on voulait présenter quelque chose de nouveau et différent. Cette fois-ci, on a eu envie de revenir à nos racines avec des titres plus simples au niveau des arrangements, plus rock’n’roll sans avoir des morceaux de sept à huit minutes. On l’a écrit durant la pandémie, on a travaillé via internet mais on a composé en collaboration étroite en comparaison à avant. On a beaucoup échangé au niveau des idées, on a tout fait ensemble, à distance, même si on était séparé physiquement.
Vous avez fait le choix d’enregistrer en mode analogique au studio Hvergelmer à Arvika (Värmland), votre fief d’origine. Quel son souhaitiez-vous développer cette fois-ci ?
On voulait essayer de retrouver avant tout un maximum de feeling. C’était important pour nous, on était auparavant trop focalisé sur notre son, on ne voulait pas que ce soit mécanique. On cherchait à obtenir un son naturel, idem pour la saturation, pas préfabriquée d’une manière électronique. On voulait que cet opus sonne plus pur, c’était cela que nous avions en tête.
En écoutant Nostalgia j’ai eu l’impression de me trouver projeté au cœur des années 80 !
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire un saut dans les eighties. Nous ne faisons pas un tribute aux années 80. Mais c’est notre inspiration même si je n’aime pas sonner comme à une certaine époque, proposer un son qui viendrait du passé. On essaye musicalement de se développer par nous-mêmes, on essaye d’être les meilleurs qu’on puisse être mais pas enfermés dans les eighties.
Il y a treize morceaux sur cet album. Qu’as-tu essayé de proposer cette fois-ci au niveau du chant ou des guitares ?
J’ai tenté de progresser un maximum sur mon jeu de guitare. Les parties que j’ai développées sur cet album, je n’aurais pas pu les jouer il y a quelques années. Il y a beaucoup de solos, je suis impressionné par moi-même ! (rires) J’ai pu développer ces parties de lead ça m’a pris du temps, c’est difficile mais l’enregistrement a été très cool au niveau des voix. Le précédent avait été bien plus compliqué à réaliser en studio, il était très ambitieux notamment au niveau des idées que nous voulions développer. On a beaucoup innové et tenter de nouvelles choses musicalement. Cette fois-ci on s’est senti plus en confiance en pratiquant ce que nous savions faire le mieux. Cette fois, c’était bien plus facile !
Vous êtes revenus à un heavy metal classique doté de refrains accrocheurs et mélodiques. C’était important à vos yeux de revenir à votre style de prédilection ?
Je ne pense pas que ce soit important. À un moment donné tu réalises comment est le marché avec tous ces albums qui sortent et tu te demandes comment réussir à enregistrer ton meilleur opus. J’avais envie de chanter comme j’ai toujours su le faire et offrir à notre public ce qu’ils apprécient chez nous, ne pas leur donner quelque chose dans lequel il ne se retrouve pas. C’est bien mieux de jouer ce qu’ils ont apprécié au début et ne pas les déstabiliser.
Tu as déclaré que tu n’avais pas envie de travailler avec un producteur, c’est par déception ?
J’ai essayé de nombreuses fois de travailler avec quelqu’un d’extérieur au groupe, que ce soit au niveau de la production ou du mixage mais cela m’a toujours déçu. J’ai réalisé que si je voulais obtenir ce que je souhaitais le meilleur moyen était de le faire par moi-même. C’est d’ailleurs ce qui me fait vivre, je suis ingénieur du son et aussi producteur. Mais ce n’est jamais facile parce qu’il faut obtenir quelque chose que ton public apprécie. Il faut réfléchir à chaque décision que tu prends pour obtenir le son que tu souhaites. C’est tellement facile de créer des morceaux où tout le monde va te dire que ça sonne bien. Mais c’est ma propre musique et il faut garder un regard critique et te dire là cette partie n’est pas bien, il faut retravailler. Tu sais, il y a beaucoup d’insécurité lorsque je produis mes propres titres. Il faut beaucoup travailler et reconsidérer ce que tu fais à chaque fois. Ce n’est pas si simple.
L’opus s’appelle donc Nostalgia. La nostalgie fait appel à de nombreuses idées et pensées. De quelle nostalgie parles-tu ?
C’est vrai que de prime abord on pourrait penser que l’on parle du passé mais ça peut être celui que tu veux. Pour moi c’est la nostalgie d’un point de vue général, la musique, l’enfance. Dans le morceau j’aborde le fait de ce qui disparait autour de toi, on a tous la même destinée, le metal peut être aussi une forme de nostalgie.
Tu es nostalgique de ton enfance et de tes premiers émois musicaux ?
Pas moi, mais tous à un moment donné on prend conscience que la vie à une fin même si elle n’est pas terminée. Lorsque tu es adolescent, tu es jeune et tu crois que tu vivras pour toujours. Après tu réalises que ce n’est pas le cas. On vit tous avec ça, c’est ainsi. Peut-être que je suis au milieu de ma vie, je ne peux rien faire je sais qu’un jour tout va s’arrêter.
Vous avez débuté en 2004, penses-tu alors avoir réalisé tous tes rêves d’adolescent ?
J’espère en avoir réalisé beaucoup. Mais finalement je répondrai non, mais je crois toujours que cela va arriver ! (rires)
« Comin’ Alive » a été votre premier single extrait de Nostalgia. Est-ce une façon de dire qu’Enforcer est toujours vivant et en pleine forme !
Je pense qu’on voulait sortir une chanson très efficace, très rentre-dedans que l’on pourrait jouer sur scène et qui pourrait rivaliser avec les morceaux des autres formations. Le heavy metal est toujours vivant, c’est le thème que l’on aborde à travers le texte de ce titre.
Justement, quels thèmes aviez-vous envie de développer à travers vos textes cette fois-ci ?
Il y en a deux principalement. L’un aborde notre façon de vivre, la vie rock mais la plupart sont des thèmes classiques qui sont traités à travers le heavy metal. Beaucoup de nos paroles parlent du heavy metal lui-même et de son style de vie, les concerts, les fêtes… Nostalgia touche aussi des sujets plus existentiels sur la vie, c’est un peu des deux. J’apprécie beaucoup le titre en lui-même qui apporte cet aspect existentiel. Et « Heartbeats » est aussi dans cet esprit-là. Ils sont plus profonds que des morceaux comme « Comin’ Alive », « No Tomorrow », « Demon » qui sont plus dans le registre heavy metal en tant qu’inspiration. Pour moi, « Nostalgia » est importante, bien sûr, mais les autres chansons aussi. Après je ne sais pas, il faut écouter et à chacun de se faire sa propre opinion.
Tobias Lindqvist qui a été votre bassiste de 2008 à 2021 est parti récemment. As-tu été surpris par sa décision ?
Non, ce n’était pas une énorme surprise mais une surprise tout de même. Ces deux dernières années il ne voulait plus s’investir, partir en tournée, préparer les albums mais c’est vrai que l’on ne s’y attendait pas trop. On est resté en bon termes, il voulait vivre une autre vie et c’est bien pour lui.
Par conséquent, Garth Condit est votre nouveau bassiste. Quel impact a eu son arrivée au sein de la formation ?
Il nous a donné principalement plus d’énergie ce qui n’était plus le cas avec Tobias ces dernières années. Il est très investi et a envie de jouer. Et puis c’est un très bon bassiste, on a eu de la chance de le rencontrer à ce moment-là.
Vous avez choisi de réenregistrer lors d’un soundcheck à Varsovie la chanson « Running In Menace » qui est l’un de vos classiques paru initialement en 2010 sur l’album Diamonds. Pourquoi ? Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
On a eu l’opportunité de réaliser cette vidéo et on n’avait pas envie de sonner comme un combo d’il y a treize ans. On voulait offrir quelque chose de plus moderne, c’est pourquoi nous l’avons réenregistré. On adore ce titre mais il est sorti en 2010 sur notre second album et on n’était pas satisfait de la production à l’époque lorsqu’il est sorti. Il ne faut pas prendre trop au sérieux tout ça. On avait juste envie de le remettre au goût du jour car on apprécie beaucoup cette chanson. On souhaitait lui donner une seconde vie en quelque sorte.
D’après toi, d’où vient cette fascination que tu as pour la New Wave of Bristish Heavy Metal car ce n’était pas ta génération ?
Je ne sais pas. J’ai grandi à une époque où le heavy metal était très coté, j’ai trente-sept ans aujourd’hui, et quand j’avais cinq ans, on entendait ce type de musique partout. J’ai grandi avec Iron Maiden et j’ai été fasciné par leurs morceaux et toute cette vague issue des années 80 : Motörhead, Diamond Head, Saxon. Ils étaient tous accessibles et je me suis dit voilà c’est ce que j’aime. Ce n’était pas difficile à trouver car ils étaient tous très connus.
La plupart de ces formations sont toujours d’actualités et dominent les festivals comme Iron Maiden. Es-tu surpris de leur longévité et le fait qu’ils soient encore si populaires de nos jours ?
Oui, très surpris que tous ces combos soient toujours présents. Je suis très heureux de pouvoir toujours les voir sur scène car je n’aime pas les formations modernes d’aujourd’hui.
Cela fait presque vingt ans qu’Enforcer existe, vous avez débuté en 2004. Quel regard portes-tu sur ton parcours ?
C’est une grande question. Je suis fier de tout ce que j’ai accompli au cours de ces années musicalement. J’aime à penser que nous avons enregistré de très bons albums de metal. Je suis heureux de tout ce que nous avons fait. On a eu des hauts et des bas comme beaucoup de groupes mais on a toujours de l’inspiration comme pour Nostalgia. La question est plutôt : « Mais pourquoi tu le fais » ? Ou « Pourquoi tu n’as pas plus de succès ? ». On est toujours dans l’euphorie et on espère avoir plus de succès mais on a de nombreux fans. Ce sont un peu les montagnes russes : parfois ça fonctionne, d’autres pas. Je suis un peu le Quentin Tarantino du metal, on est inspiré par tous ces combos culte mais on le fait très professionnellement et d’une façon moderne. Ceux qui ne nous ont jamais écoutés doivent comprendre que ce que nous faisons, nous n’essayons pas de copier. On est moderne et inspiré par le heavy metal culte et on essaye de proposer un mix de tout ça.
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