Les étoiles semblent alignées cette année visiblement pour le génial quintet bordelais de death metal technique. Une énorme tournée américaine, un passage remarqué au Hellfest 2023, une tournée française en ouverture de Meshuggah (excusez du peu), et cerise sur le gâteau, une participation au festival Motocultor sur la grande scène (Dave Mustache) désormais établi à Carhaix. Malheureusement, nous manquâmes ce concert quelque peu matinal (à cause des fouilles de sécurité provoquant une file d’attente de près de 2h à l’ouverture !). Alors la moindre des choses que nous pouvions faire pour nous excuser auprès de Gorod enfin reconnu à sa juste valeur en France, c’était de faire le point sur ce début d’année fantastique auréolé de succès après la sortie de The Orb (autoproduction), dernier album en date, un an après notre dernière rencontre à Blois. Nos gaillards repartent très bientôt sur les routes et seront notamment avec Blood Red Throne et Carcass au Muscadeath le 30 septembre 2023. [Entretien réalisé dans le tour bus de l’Agence Tous Risques GOROD avec Mathieu Pascal (guitare) par Seigneur Fred – Photo backstage Motocultor : Seigneur Fred ; Autres photos : DR]
Vous avez joué ce midi en ouverture de cette seconde journée (vendredi 18/08/23) au festival Motocultor. Vous vous êtes également produits en juin au Hellfest à un créneau horaire différent (samedi après-midi), aujourd’hui c’était donc plus tôt. Alors à chaud, si tu avais à comparer les deux festivals, enfin surtout les deux concerts, quelles seraient les différences ? Qu’as-tu ressenti ?
Alors quoi comparer ? (sourires) Hum… Le Hellfest, on y a déjà joué et c’est tellement une énorme machine à présent, notamment logistique, que l’on a passé vachement de temps à se préparer, à régler, à transporter le matos, etc. C’était sur la scène Altar cette fois, où se trouvent deux scènes côte à côte, donc t’as pas le droit d’avoir du son extérieur en réel avec la réverb’ en façade tant que l’autre groupe joue à côté. Tu ne l’as donc en vrai que quand c’est à toi au début du show, à part avant dans nos retours aux oreillettes. Après, honnêtement, au niveau du kiff, effectivement, du coup, quand c’est à toi et que ça ouvre, là, ouf !! L’effet énorme que ça te fait, c’est quelque chose ! La claque. Et là c’est grandiose.
Tu joues avec des bouchons pour te protéger les oreilles sur scène tellement c’est fort en général le volume ?
Au Hellfest ouais. Sinon non. Là aujourd’hui au Motocultor, c’était la première fois par contre que l’on jouait avec les « ear monitors ». C’est pour ça que mon ressenti est aujourd’hui relativement différent, car c’est seulement la deuxième fois que l’on les utilise en concert. Je trouve ça bien musicalement. Cela nous permet d’être beaucoup plus précis en termes d’exécution de jeu, en fait. Les autres dans le groupe le disent aussi.
Du coup, tu entends peut-être moins les retours sonores des gens, même si tu peux le voir à leur tête ?
Eh bien, justement, l’inconvénient des « air monitors », je dirais, c’est que je n’entends pas les retours du public, tu es assez isolé dans tes oreillettes, comme un casque finalement sauf que c’est ouvert mais bon. J’en parlais d’ailleurs tout à l’heure avec Barby (Ndlr : Benoît Claus/basse)… Tu ne ressens pas la communion avec les gens. Alors pour un mec comme moi qui aies l’habitude en plus de jouer les yeux fermés à la guitare, et que ce sont les oreilles qui priment, c’est pas évident ni très pratique pour capter les gens…
Surtout que tu es myope il me semble, donc tu ne dois pas voir grand monde depuis la scène même dans les premiers rangs, ni reconnaître vos fans ? (rires)
Ouais, en plus ! (rires) Mais ça c’est pratique, ça peut être un avantage ! (rires) Mais en effet. Des fois je croise des personnes, et je ne reconnais même pas quand c’est un pote visuellement ! C’est après, quand ils viennent vers moi, là : « ah oui, c’est toi, bla bla bla… ! ». (rires) D’ailleurs, je suis désolé, mais il y a des fans qui sont venues à la séance de dédicaces et qui m’ont dit qu’ils étaient au premier rang au concert là, devant la scène où l’on jouait… Ah bon ? Ouais, ok, peut-être. Je ne les ai même pas reconnus, c’était vraiment pas volontaire… (rires)
Avez-vous interprété la même set-list aujourd’hui au Motocultor que celle jouée au Hellfest du coup ?
Euh, non. En fait, on a joué la même set list que sur la tournée avec Meshuggah car on avait le même temps. Quarante minutes. On s’était d’ailleurs posé la question avant de jouer… Donc on s’est dit : « jouons la même chose que sur la tournée française avec Meshuggah car on est prêt ». Dedans, il y avait donc quasiment la moitié des morceaux consacrés au dernier album.
Les titres de The Orb justement ne sont-ils pas un peu plus courts et formatés qu’à l’accoutumée ?
Non, pas vraiment. Ils durent en moyenne quatre à cinq minutes. Par contre, c’était davantage le cas peut-être sur le précédent album, Æthra (Overpowered Records/2018).
Bon alors, ça fait quoi de tourner avec Meshuggah et jouer avant eux chaque soir ? Vous avez ouverts pour eux partout en Europe ou juste en France ?
Non, uniquement les trois dates françaises fin juin 2023. Il y avait comme villes : Bordeaux (Rocher de Palmer), chez nous donc, puis Toulouse (Bikini), et Lyon (Le Transbordeur). Et honnêtement, c’était terrible de jouer avec eux. En plus, c’était que dans des méga salles pleines, c’était sold out à chacune des trois dates. Franchement, on n’avait pas joué devant autant de monde en aussi peu de temps cette année, entre ces trois concerts avec Meshuggah et le Hellfest… En dix ans de temps, on n’avait peut-être pas joué devant autant de monde en cumulant, bon j’exagère un peu, peut-être ces quatre ou cinq dernières années, mais sincèrement, c’est un peu ça…
D’ailleurs, on en avait déjà parlé par le passé, mais Gorod, à un moment donné et il n’y a donc pas si longtemps encore, la preuve avec ce que tu dis, vous étiez bien plus connus et reconnus en dehors de la France, et jouiez plus facilement à l’étranger, notamment en Amérique du Nord où vous tournez et avez un joli succès. Enfin les choses changent et semblent s’équilibrer pour Gorod en termes de notoriété, non ?
Je pense, on verra. Depuis la période précédent dont on parlait, on l’a toujours pas vu cet équilibre. À présent, aujourd’hui, on va peut-être le voir… Ça semble changé, en effet. Il serait temps ! (rires) Par contre, aux États-Unis, encore là en y allant où l’on a effectué une grande tournée en février cette année, des fans, des ados, nous disaient qu’ils nous écoutaient depuis une dizaine d’années ! Ils sont fans de Gorod et nous suivent depuis le premier album, Neurotripsicks, sorti en 2005 ! C’est fou, c’est même hallucinant. C’est même pas possible d’imaginer ça, alors qu’en France, personne ne connaissait notre premier album à sa sortie.
Pourtant vous étiez bien distribués aux États-Unis et en Amérique du Nord plus globalement, et ce notamment durant l’ère Listenable Records, non ? Et puis il y avait déjà internet…
Ouais, enfin là-bas, c’était Unique Leader Records qui nous distribuaient. Mais avec les Américains, c’est un autre niveau la promotion, tu sais, là-bas. C’est pas comparable, car c’est tellement plus grand…
Mais grâce à tout ça, vous avez joué au Hellfest déjà, et encore cette année, et au Motocultor. Certes, vous jouiez tôt ici aujourd’hui, mais bon il faut bien un premier, et un dernier… (rires)
Ouais, tu vois, d’ailleurs, Nico (Ndlr : deuxième guitare) l’avait un peu mauvaise aussi de jouer si tôt, en commençant cette journée directement par du death metal progressif technique. Après, moi, je m’en fous et bon, faut bien qu’il y ait des premiers groupes qui commencent. Je ne sais pas qui a fait la programmation mais bon ce n’est jamais évident ce genre de choses à faire. Ce doit être un vrai casse-tête… (rires)
Je pense tout de même que vous avez passé un cap. Comme Crisix qui maintenant tourne en tête d’affiche, et comme vous a déjà participé au Hellfest et jouait juste après vous aujourd’hui sur la même scène du Motocultor. Eux aussi étaient signés il y a peu encore chez Listenable, et rencontrent le succès…
On a tourné en tête d’affiche cette année aux États-Unis, et c’était d’ailleurs notre première tournée où l’on jouait en tête d’affiche, peu importe dans le monde. D’ailleurs, c’est aussi la première tournée rentable. On a peut-être fait, ici ou là, des concerts ponctuels en tête d’affiche, mais jamais de tournée en tête d’affiche jusqu’à présent, même en France comme je te disais. Encore une fois, aux Etats-Unis, c’était hallucinant. Tu vois, un dimanche soir, il n’y avait que trente personnes dans la salle, et on a vendu ce soir-là pour 2000 dollars de merchandising ! C’était fou.
Alors votre dernier album The Orb est sorti en indépendant (autoproduction). Il est sorti qu’en digital en début d’année ?
Non, il y a eu aussi une sortie physique en CD, distribué par Season of Mist. On a aussi lancé une fabrication vinyle mais comme tu le sais probablement, les délais de pressage sont très longs actuellement…
Petit bilan sur The Orb sorti en février 2023 et qui fait suite à la sortie successive de plusieurs singles dont on avait parlé l’an dernier, alors que l’album était loin d’être achevé, car tu composais au fur et à mesure et n’avais rien pu/su faire durant la crise sanitaire…
Je me souviens, oui. On venait de sortir « Victory », notre premier single après la crise du covid-19. En fait, nous, on aurait bien continuer comme ça, à sortir des nouveaux titres progressivement, et faire ça plus longtemps, mais au bout d’un moment, notre producteur et tourneur, Base Productions, nous a dit : « il faut sortir un album. Le système marche ainsi, sinon vous ne pouvez pas bénéficié de subventions ». En fait, on ne peut partir en tournée avec juste des nouveaux singles. Il faut faire un album. Donc on a continué et j’ai écrit des nouveaux titres que l’on enregistrait au fur et à mesure chez moi dans mon studio, on faisait un clip ou lyric vidéo nous-mêmes, et on publiait ça en ligne sur les réseaux sociaux, YouTube, Bandcamp, etc. On s’est occupé de tout. C’est vrai que ça marche comme ça maintenant pour avoir une actu régulière sur internet et faire parler de soi. Mais après, tu dois faire un album pour avoir des subventions, partir jouer en concert et tourner.
Donc vous avez tout fait do it yourself pour l’album de A à Z, sinon vous n’auriez pas pu avoir d’aides pour partir en tournée sans album. Et comment se sont avérées les premières réactions et statistiques ?
Bah, en fait, on a jamais gagné autant d’argent qu’en faisant tout par nous-mêmes. On a halluciné quand on a vu les premiers chiffres, les visites et écoutes. On s’est fait arnaqué durant toutes ces années ! (rires) Même s’il fallait faire tout ça par nous-mêmes et c’est du boulot, maintenant à l’heure du numérique, tu n’as pas le choix de passer par ces canaux-là car les cd’s et les vinyles, ça ne représente plus rien, même si on le fait encore un peu par principe, mais là on s’est dit qu’on nous avait volé de l’argent jusqu’à présent en fin de compte ! On n’a jamais touché autant d’argent qu’aujourd’hui sans label C’est fou. (rires)
Ces nouvelles chansons, pour les mettre sur l’album et achever l’ensemble, tu avais déjà des pistes et idées, ou à chaque fois tu partais de zéro et proposais tout aux autres membres du groupe ?
Disons que quand le producteur nous a dit ça pour partir en tournée, il faut un nouvel album et pas simplement quelques nouveaux singles, on a dit : « Ok, alors on se remet au boulot et on finit ça ». Du coup, on s’est remis à la tâche. Disons que j’avais déjà les idées, c’était quasiment en stock déjà. Il y a toujours des choses à la sortie d’un album que l’on n’avait pas terminé et mis de côté, des choses faites à l’arrache au stade de brouillon, etc. Donc j’ai retravaillé ça, puis proposé au groupe, et on a enregistré les autres morceaux au fur et à mesure, et l’album a été fini comme ça. En fait, j’ai arrêté de me poser des questions sur ce que je devais faire, comment le faire et à partir de là, j’ai pu achever le nouvel album dans le courant de l’année dernière, en composant ce que je savais faire, comme les gars m’ont dit, au lieu de me poster trop de questions et ne plus savoir comment composer. Je devais faire ce que je savais faire, avec notre style et nos différentes influences qui font Gorod, tout simplement.
The Orb est-il un concept album ? Cela parle d’astronomie, ou d’orbite ? C’est quoi « The Orb » au juste ?
Alors, The Orb fait référence au soleil, en fait. Comme l’album d’avant, Æthra, était lié à la Lune, alors Julien (chanteur) alias « Nutz » qui aime bien se lancer dans des idées et se mettre des objectifs pour écrire, s’est dit : « tiens, après la lune, je vais aborder le soleil cette fois ». Donc c’est assez similaire, ce sont des contes qui abordent le thème du soleil, dans le cosmos, mais des choses réelles, liées à la cosmologie. Julien aime bien partir de choses réelles, scientifiques, tu sais, il a étudié l’histoire de l’art.
Ce n’est donc pas comme chez The Great Old Ones dans lequel joue Barby, ou tiens, Alkaloid, qui sort son troisième album Numen dans lequel les Allemands mélangent cosmologie et littérature fantastique inspirée par l’auteur américain H.P. Lovecraft ?
Non, même si ce sont des histoires tirés de contes et du folklore, c’est toujours finalement lié à des histoires qui existent, un folklore qui existe. Il y a toujours un côté rationnel au départ chez Julien quand il écrit ses paroles en fait.
Les nouvelles chansons de The Orb sont bien rodées alors maintenant en live ?
Aux États-Unis, on a fait un mois de tournée en février comme je te disais, puis la tournée avec Meshuggah de trois dates en France, donc oui, la plupart, on les maîtrise parfaitement. C’est une autoroute là. (sourires) On ne joue pas encore tous les nouveaux morceaux sur scène d’un seul bloc. On aimerait bien, après pas forcément sur un set pour le moment, mais pourquoi pas ? (sourires)
Ah ! À quand donc The Orb interprété intégralement par Gorod dans son concept sur scène ?
On aimerait bien. Karol (batterie) et Barby (basse) aimeraient bien, c’est sûr, tous les essayer. Cela demande cependant énormément de travail. Déjà être capable de jouer chaque nouvelle chanson mais pas sur un seul set en concert, comme je te disais, ça c’est faisable à présent. Ensuite sur un seul show, jouer tout The Orb, pourquoi pas ? Mais ça se travaille. Il faut tout apprendre et ça demande du temps. Par exemple, il me faut un mois pour apprendre une chanson par cœur à la perfection, les notes, le rythme exact. On n’a pas droit à l’erreur. Et on n’improvise pas non plus, comme on en avait parlé à notre précédente interview l’autre fois…
Oui, je me souviens que tu m’avais dit que tu étais incapable d’improviser en concert. Tu devais apprendre tout par cœur. Pour revenir à l’interprétation du nouvel album dans son intégralité, dernièrement, j’ai posé la même question aux musiciens d’Alkaloid, notamment à son batteur Hannes Grossmann, et pareil, il m’a dit que pour l’heure, non, mais ça demande beaucoup de travail de répétition en amont. Mais l’idée lui plaisait… Mais toi, tu dois apprendre, mais les autres dans le groupe ? Tout ne repose pas sur le talent d’un seul musicien, il faudrait qu’ils bossent aussi leurs parties respectives, non ?
Alors, ça ne leur pose pas de problème, ça dépend. Pour Barby, comme à la base, il joue n’importe quoi n’importe comment, ça ne le dérange pas. Quant à notre batteur, Karol (Ndlr : il arrive à ce moment-là en ouvrant le van), comme il est bourré de talent, ça ne lui pose aucun problème non plus… (rires)
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