Aujourd’hui plus que jamais l’histoire de la révolte et de la résistance a besoin d’un hymne. De Republica, titre évocateur, ne cache pas ses intentions, ni ses ambitions. Après un second album fort réussi, Ô Theos, Ô Basileus, axé sur la chute de Rome et l’émergence de la chrétienté (ce qui donnait comme titre en grec classique : ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς), c’est bien d’une nouvelle chute et d’une nouvelle naissance dont il est question à présent : celle de la République. Dans une actualité géopolitique agitée et une crise sociale brûlante, nos Français de Griffon, toujours forts d’une écriture intelligente, retracent sur ce leur troisième opus les moments fondateurs de notre belle République qui semble aujourd’hui avoir vécu et peut-être atteint ses limites. Ce retour aux origines, véritable voyage historique, débute avec un hommage à l’homme du Tarn : Jean Jaurès. De son nom emblématique, la formation parisienne a préféré mettre l’accent sur la simplicité d’un homme et de son grand combat pour la liberté jusqu’à l’inévitable Première Guerre Mondiale fin juillet 1914 et l’assassinat du député socialiste. À ce titre épuré issu d’un terroir bien français, Griffon nous abreuvent de riffs baroques. Les atmosphères variées s’entremêlent et se répondent tandis que les paroles clamées par Aharon tentent solennellement de réveiller les esprits endormis. Accompagné d’un riff très noir, ce discours du chanteur offre une dimension plus profonde. Ce premier titre jouit d’une grandiloquence musicale grâce aux nombreuses variations vocales (screams, paroles clamées et les chœurs à la fin du morceau). Un interlude acoustique amorce un rythme lancinant venant mettre un terme à sept minutes de puissance magistrale.
Changement de décor avec « The Ides of March » qui nous conte maintenant l’histoire de l’assassinat de Jules César en pleine république romaine, avant l’arrivée de l’Empire… Un retour dans l’Antique Rome (thématique déjà présente sur le précédent album) qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’intitulé de l’album De Republica. C’est en effet à la mort de César que débute la guerre entre Octave (futur empereur Auguste) et Marc Antoine et qui signe progressivement la chute de la République romaine… Ce bref rappel des cours d’histoire démontre avant tout la cohérence et l’intelligence d’un album soigneusement écrit et composé, même si cette chanson aurait peut-être eu plus de sens à être positionné en ouverture de l’album, en transition avec Ô Theos, Ô Basileus, plus qu’après « L’homme du Tarn », au lieu de faire ce flashback chronologique. Mais passons. Musicalement, « The Ides of March », au-delà de son fond historique, laisse place à une déferlante de blasts beats et à une ambiance sombre. Comme une vague réminiscence de ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς là encore. S’il s’agit d’un morceau mélodique, très impérial, il revêt ici une grande noirceur. S’en suit le violent et furtif « A l’insurrection », qui appelle le peuple français aux armes les 27, 28, et 29 juillet 1830 afin d’en terminer avec la monarchie du roi Charles X, avant-dernier roi de France, et dernier roi Bourbon de la branche aînée. Ce sera la seconde révolution française, et la fin de la seconde Restauration monarchique.
D’une violence magistrale, « La semaine sanglante » nous replonge encore dans l’Histoire de France avec un grand H. Cela fait référence à La Commune de Paris entre mars et mai 1871, et plus précisément ici à la semaine du 21 au 27 mai 1871 où les manifestations insurrectionnelles furent réprimées dans la violence et le sang sur le pavé parisien. Le rythme saccadé de la guitare et la lourdeur des patterns rythmiques à la batterie offrent à l’auditeur comme deux solos qui entrent en parallèle et simultanément, et qui finissent par se rencontrer, à l’instar de deux monologues déclamés en canon pour fusionner en dialogue. En 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État français est promulguée le 9 décembre. C’est l’objet du titre suivant plutôt calme au départ, avec sa basse en intro et ses guitares arpégées : « La Loi de la nation ». Mais très vite une haine envahit l’atmosphère sous fond de blasts beats, avant un break salvateur. Enfin, « De Republica », titre éponyme, se veut à la fois lourd et puissant, voire imposant. Une prestance dans les paroles et l’acte musical qui vient clore en apothéose un troisième opus sans gros défaut ! Seul le titre « À l’insurrection », en milieu d’album, entache ce tableau baroque par son classicisme. Mais en résumé, Griffon ne déroge pas à la règle en nous proposant une fois encore un voyage à travers l’Histoire. Le groupe met largement à l’honneur les temps passés de son pays et de sa capitale en rendant hommage au combat des grands hommes/Hommes et de ceux qui ont fait de la France une république. À la fois très différent de son prédécesseur ὸ θεὀς ὸ βασιλεὐς tout en étant connecté, mais tout aussi qualitatif et surprenant, De Republica bénéficie d’une production soignée, pas trop criarde avec des compositions épiques à couper le souffle. Parsemé de joutes verbales et musicales, cette nouvelle sortie de black metal à la française s’impose comme une véritable réussite en ce premier trimestre 2024. [Louise Guillon & Seigneur Fred]
Publicité