A l’heure de Jul et autres rappeurs français, on pourrait s’interroger sur l’existence de la scène punk/rock/metal à Marseille… Et pourtant les initiatives ne manquent pas ! Comme Kill The Thrill, un vieux groupe d’initiés qui gravite depuis un bail dans la sphère post rock indus de la Canebière. Depuis 1989 exactement !! La sortie d’Autophagie, leur cinquième album, nous a offert l’opportunité d’échanger avec le duo fondateur. [Entretien avec Nicolas Dick (chant/guitare/électroniques) et Marylin Tognolli (basse) par Marie Gazal – Photos : DR]
La question peut paraître incongrue pour un groupe formé en 1989, mais Kill The Thrill est resté une formation intimiste, peu connue du grand public. Comment présenter Kill The Thrill pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore aujourd’hui ?
Nicolas : Pour présenter le groupe, on a commencé en 1989 avec une boîte à rythme, puis petit à petit le groupe s’est développé en gardant la boîte à rythme et en utilisant du sampler très tôt. Ça s’est de plus en plus orchestré par rapport au premier album.
Marylin : On est parti d’une base assez punk. On écoutait beaucoup toute la scène américaine… Des groupes qui ont été majeurs dans ce type de musique. On les qualifierait peut-être aujourd’hui de post-punk, ce sont des groupes qui amenaient un souffle nouveau, avec une veine hardcore. On a mis une boîte à rythme pour commencer parce que c’était plus simple pour nous pour travailler. On a démarré à deux, puis on a été trois pour toujours garder la forme du trio jusqu’à Autophagie puisque maintenant on est quatre : il y a un batteur, et un deuxième guitariste en plus… Mais la base, les fondateurs, c’est Nicolas et moi.
Pourriez-vous présenter la carrière de Kill The Thrill à travers vos cinq albums si on avait à les résumer chacun. Qu’est-ce que vos disques disent de votre musique, de votre histoire, selon vous ?
Nicolas : On a commencé de manière assez brute, on faisait avec le minimum, de mini-samples. On ajoutait une matière sonore aux rythmes. On avait acheté un clavier à l’époque qui faisait plusieurs sons qu’on pouvait synchroniser avec la machine pour avoir des orchestrations, mais on n’a pas su le faire marcher à l’époque donc on a continué de façon brute. Sur le premier album, c’est donc rauque, plus brut.
Marylin : Il n’y avait pas encore toutes ces textures sonores que l’on a ajoutées petit à petit. C’était brut de décoffrage. Plus écorché ! Le second album pour Low, on s’est retrouvé en duo. On a continué dans une version plus mélodique de Kill The Thrill. On a commencé à intégrer des loops, des boucles. C’est là qu’on a démarré un vrai travail de samples, on va dire. Dans la continuité, on s’est à nouveau retrouvés en trio à partir de 203 Barriers, le premier disque signé chez Season of Mist, qui est la version la plus aboutie de Kill The Thrill. C’était le début de la scène des Young Gods. C’est un groupe suisse qui a influencé la vague indus’ cold wave…
Nicolas : Tout ça pour dire que 203 Barriers est un album plus abouti que les précédents, fruit de dix années de travail. Le premier est sorti en 1993, le deuxième en 1997 et le troisième en 2001. C’est un témoignage de l’évolution de notre musique, ce qui fait que 203 Barriers est devenu à la fois plus massif et en même temps plus pauvre sur certains morceaux. Et puis il y a eu Tellurique qui est sorti aussi chez Season of Mist en 2005.
Tellurique en 2005 donc, et maintenant Autophagie début 2024. Presque vingt ans se sont écoulés, pourquoi une si longue interruption ?? Qu’avez-vous fait pendant ces vingt ans alors ?
Marylin : (rires) Clairement ! Tout d’abord, on a beaucoup tourné avec ce disque. On n’avait pas immédiatement attaqué de processus de recomposition d’album après Tellurique. Il y a eu des changements dans le groupe, un remaniement de line-up. Le guitariste avec lequel on a joué le plus longtemps est parti pour des raisons professionnelles. Avec Nicolas, on s’est retrouvé en questionnement de savoir comment on allait reformer le groupe. Le temps passe, on se cherche un peu.
Nicolas : Et la vie à côté suit son cours. Moi j’ai eu un enfant en 2006. Il y a le travail, c’est un autre rythme.
Marylin : Mais peu de temps après Nicolas avait déjà l’idée qu’on n’allait pas s’arrêter. Mais on a vraiment pris le temps. On s’est dit : « On verra », mais on n’a jamais dit qu’on arrêterait Kill The Thrill. Ça prendrait le temps que ça prendrait et ce n’est pas grave. Il y a beaucoup de groupes qui connaissent une interruption, on n’est pas les seuls.
Et comment faites-vous pour créer de la musique alors que vous êtes aussi pris dans votre boulot, dans votre famille… ?
Nicolas : Il n’y a pas de régularité de travail. Ça vient quand quelque chose nous intéresse. En l’occurrence, ce disque a été composé à partir de chutes. Je joue solo aussi avec un lap steel, c’est une guitare à plat. Et je fais un travail sonore sur des trames, des paysages sonores assez denses. J’ai commencé en 1995 et j’ai accumulé plein de chutes, de répétitions, de concerts de toutes ces années. On a récupéré des échantillons de ce travail en sous-bois. C’est du recyclage de notre propre matière.
Marylin : Nicolas et moi, on n’a jamais vraiment arrêté la musique, parce que Nicolas a son projet solo, il a fait des albums, il a joué avec. On a un studio d’enregistrement où l’on enregistre des groupes. On est intermittents du spectacle, tu sais, donc on est dans la musique tout le temps. C’est donc moins compliqué : on n’est pas ingénieur en agronomie à côté, et on fait de la musique en rentrant. On a toujours été dans le milieu. A l’époque, on avait une salle de concerts, donc on organisait des concerts… On a toujours eu une histoire commune avec la musique.
Nicolas : Quelques personnes sont intervenues pour faire des prises de batterie, de cordes… ça s’est construit progressivement. Les morceaux représentaient un gros travail, ça a pris un temps conséquent et le covid a aidé à aller plus vite.
Marylin : L’idée, c’était de ne pas se mettre la pression même si on avait envie de se la mettre pour que ça sorte parce que c’est dur de rester longtemps sans jouer, sans faire de concerts… Mais c’était une étape nécessaire et on est contents du résultat. Une chose est sûre : on n’est pas des carriéristes ! (rires)
Forts du recul que vous avez sur la création et l’industrie de la musique, qu’est-ce qui vous a marqué le plus dans l’évolution de la musique depuis vingt ou trente ans ?
Nicolas : On parle beaucoup de post-punk, de post rock, etc. en ce moment. Sauf que le post-punk en 1980, c’était déjà le post-punk. On refait le tour et on revient. J’ai commencé à écouter de la musique à l’âge de onze ans et les premiers trucs rock que j’ai entendu, c’était Alice Cooper, AC/DC… Et puis j’écoutais une radio locale d’Aix-en-Provence qui s’appelait Radio Mistral qui passait de la musique anglaise/américaine comme Killing Joke par exemple. D’un coup, il y a eu un déclic par rapport au punk. On écoutait du post-punk et du punk et deux ans après il y avait Sonic Youth, les Swans, des choses aussi radicales que Killing Joke qui arrivaient. Le metal s’est rapproché du post-punk pour mélanger tous les styles.
Marylin : Je ne vois pas une grosse évolution. C’est une loupe un peu, comme tu dis Nicolas. On revient aux sources, on transforme un peu mais il n’y a plus de grosses transformations. Avant, quand tu faisais de la musique, tu entrais dans un genre général : du rock, de la pop, du reggae, du metal… Des grands genres. Aujourd’hui, pour parler d’un groupe, il faut mettre cinquante étiquettes ! (rires) Ce qui change, ce sont les façons d’enregistrer, le son… Mais je trouve que peu de groupes parviennent à apporter quelque chose de véritablement neuf, un son que tu n’as jamais entendu. Le son est plus gros, la technicité en plus,…
Nicolas : Il y a des musiciens plus techniques, si tu prends des groupes comme Meshuggah, par exemple, qui sont arrivés dans le courant des années 90. Ça a surpris tout le monde, personne n’avait jamais joué comme ça. Maintenant, c’est assez répandu.
Marylin : Le marketing est différent. Nous, on est partis du « Do It Yourself » avec des cassettes. (sourires) Aujourd’hui, les groupes sont plus armés pour travailler et se faire connaître par internet. Et je ne parle pas seulement des réseaux sociaux. Il y a plus de moyens pour accéder directement à du bon matos, des salles des fêtes, des structures, des accompagnements artistiques… Dans les années 90, c’était plus underground. Fallait se débrouiller. Système B. Aujourd’hui, c’est plus facile tout de même de démarrer un groupe mais il y a du coup plus de monde. Après, la musique en elle-même reste de la musique !
Enfin, que vous apporte votre label Season of Mist (Ndlr : label marseillais pour rappel) ?
Marylin : C’est l’opportunité d’être à l’international déjà, ce qui n’est pas rien. De la presse aussi plus rapidement que si on avait été seuls.
Nicolas : Au niveau de la distribution aussi, 203 Barriers, on pouvait même le trouver en Sibérie, au Mexique… On a été surpris de passer à l’international parce qu’on ne tournait qu’en Europe, vu nos moyens. On est partis dans un créneau metal. On a joué avec Arcturus, groupe du bassiste/chanteur de Dimmu Borgir (Ndlr : ICS Vortex, également membre de Borknagar dont le nouvel album vient de paraître : lire notre chronique ici), on est partis en tournée avec lui.
Marylin : A l’époque, Season of Mist distribuait de tout : du shoegaze, de la pop, des trucs celtiques, folkloriques… Un catalogue très grand ! Pas que du metal. Mais il y a une dizaine d’années, il était très metal. Nous on était un peu un ovni là-dedans. (rires)
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