LEAVES’ EYES : Entre mythes et réalité

Si The Last Viking, publié en 2020, ne bénéficia pas de la meilleure exposition en raison de la pandémie, il est fort à parier que Myths Of Fate va permettre au combo allemand de revenir en pole position sur la scène metal symphonique après ces années de disette. Continuant à explorer le monde des Vikings à travers les mythes du Moyen Âge, son leader Alexander Krull (Atrocity) nous propose ici ce qu’il sait faire de mieux, à savoir un heavy metal musclé, épique et symphonique dans un écrin fantasmagorique. Alors, quoi de mieux pour célébrer les vingt-et-un ans d’existence de Leaves’ Eyes ? [Entretien avec Elina Siirala (chant) par Pascal Beaumont – Photos : DR]

Vous revenez de la croisière 70 000 Tons of Metal qui s’est déroulée du 29 janvier au 2 février 2024. Comment as-tu vécu ce moment particulier ?
C’est toujours fantastique de vivre ce type d’évènement. C’était une première pour nous. On a passé une semaine formidable, mais bon, on n’a pas beaucoup dormi… (rires) Mais c’était sympa de rencontrer plein de gens, donner des concerts en mer, et présenter des nouveaux morceaux.

Vous développez sur scène un monde épique à travers des décors particuliers comme un bateau viking, un monument norvégien, ou des combats orchestrés. Tout cela, c’est pour transporter le public dans votre univers ?
On veut proposer une expérience à part, celle de Leaves’ Eyes. La musique doit permettre au public de s’échapper de la réalité, on veut développer des histoires et propulser les gens dans un autre monde. Je trouve ça beau de les emmener loin d’ici, leur permettre d’oublier leur souci, la journée passée, proposer un show très visuel permet ça. On essaye toujours d’avoir une interaction avec nos fans et de leur proposer un trip différent à vivre.

Votre nouvel opus Myths of Fate sort quatre ans après The Last Viking que vous avez proposé en pleine pandémie. J’imagine que vous étiez dans un état d’esprit totalement différent cette fois pour les sessions de composition et d’enregistrement ?
Oui, c’était totalement différent cette fois-ci. Déjà parce que notre ami Thorsten Bauer (basse, guitare) ne faisait plus partie de la formation ce qui nous a conduit à trouver une autre approche de la conception de ce album. Alex Krull (claviers, voix) est bien sûr le producteur et est très impliqué à tous les niveaux de l’écriture jusqu’au mastering. On a de bonnes orchestrations, c’est quelque chose que nous voulions mettre en valeur sur ce disque, les morceaux ont été composés et arrangés autour de ces orchestrations. Il y a un titre cependant que j’ai composé seule : « In Eternity ». D’autres idées sont venues aussi de Micki Richter (guitare), d’Alex bien sûr, bref, c’est un travail de collaboration entre nous. Personnellement je me suis beaucoup plus investie cette fois, j’ai composé avec les guitaristes, j’étais présente lors du processus, on a joint nos efforts. C’était vraiment bien, le processus s’est déroulé de manière parfaite.

Tu évoquais justement « In Eternity » qui est aussi l’un de vos nouveaux singles, faisant l’objet d’un très beau clip. Il s’agit aussi d’une chanson un peu à part puisque c’est un hommage à Heidi Krull, la mère récemment décédée d’Alexander Krull… Comment as-tu abordé son écriture ?
Je l’ai composé comme une sorte de petite histoire pour la vidéo. C’était en 2022 lorsque je suis rentré des funérailles, je me suis assis derrière mon piano et c’est venu tout seul… J’ai écrit les parties de piano et les voix et j’en ai fait une démo que j’ai proposée aux autres qui ont arrangés la chanson, j’ai tout de suite adoré. C’est vrai que c’est un titre un peu différent des autres, il y a quelque chose d’indicible, je ne trouve pas les bons mots pour l’exprimer tout de suite. Cette chanson est très simple mais dans le bon sens du terme, et aussi très puissante, elle est comme je l’avais imaginée à l’origine. Je suis très heureuse que l’on ait pu faire cette vidéo qui est fantastique. On est parti en Islande pour le filmer et c’est l’endroit idéal pour accompagner le morceau. Lors de l’enregistrement, physiquement tout s’est bien passé mais je m’étais mis beaucoup de pression car je voulais qu’elle sonne d’une certaine manière. Lorsque je me suis mis devant le micro, je me suis dit : « ok, on y est c’est le jour, je dois le faire et que ce soit bien ». J’étais sous pression mais j’ai pu obtenir ce que je souhaitais.

Dirais-tu que pour toi, c’est le titre le plus fort émotionnellement du nouvel album ?
Oui bien sur en raison du thème que nous abordons, il y avait une ambiance différente pour moi et probablement pour Alexander aussi. C’est s’adapter au destin, il y ce mystère, s’est arrivé après un décès, c’est une sorte d’hommage à la douleur. Ça colle parfaitement avec le concept de ce disque.

Vous avez sorti plusieurs clips « Realm Of Dark Waves », « Forged By Fire », « Who Wants to Live Forever » qui ont été filmés en Islande, en Pologne et en Allemagne. Vous évoluez dans des décors naturels superbes. Comment as-tu vécu ces moments ?
Ces clips sont tous très différents, ils m’ont demandé un investissement important surtout en essayant de tenir un rôle, en jouant certains des personnages. Et puis je suis un peu plus moi-même, il y a des passages simples où nous sommes tous ensemble. Cela n’aurait eu aucun sens de proposer des vidéos complètement dingues, c’est beau, et rempli de moment calme. En Pologne, on a filmé ce rituel qui est inclus dans le clip « Forged By Fire » avec le feu et ces danses sur « In Eternity », c’est très prenant. Idem en Islande, le tournage a été incroyable, il faisait très froid. Il fallait garder son calme et sa sérénité et conserver cette ambiance que nous avons entre nous. Il y a eu des moments très chauds aussi où tout collait parfaitement avec les textes qui étaient mis en image. Pour le dernier refrain, mes cheveux volaient dans le vent sur « In Eternity », et c’était exactement ce qu’il fallait. J’en parle avec beaucoup d’émotions, nous avons vraiment vécu de moments très fort lors de ces captations en extérieur…

Toutes ces vidéos ont été filmées et réalisés par Alexander Krull, mais il a aussi produit entièrement Myths of Fate. Comment as-tu abordé cette fois-ci tes prises de voix en studio pour l’enregistrement ?
On a beaucoup de chance, on a ce studio, le Mastersound, qui nous donne beaucoup de liberté pour organiser nos sessions d’enregistrement puisqu’il appartient à Alexander. Pour cet opus, je suis tombé malade malheureusement et j’ai dû reporter certaines sessions d’enregistrement. On a cette possibilité de pouvoir prendre notre temps ce qui m’a permis de me reposer et de récupérer sans problème. On peut donc aussi reporter un enregistrement si le besoin s’en fait sentir. Il y a eu une phase de pré-production, on a fait des démos pour chaque chanson, j’ai fait toutes les voix afin de voir ce que cela pouvait donner en termes de son et autres. Lorsque je suis entrée dans la phase de production propre, je savais que j’étais capable de donner beaucoup plus sur ce disque. Ce fut un énorme défi pour moi de me surpasser et aussi pour Alexander quand il enregistrait. Il a étudié toutes les possibilités vocales envisageables. C’était réellement très dur lors de l’enregistrement mais j’y suis arrivée et tu peux entendre le résultat final aujourd’hui. J’en suis vraiment très satisfaite, je sais que ce sont, à ce jour, mes meilleures parties vocales.

Vous avez sorti quatre singles. Comment savez-vous quels morceaux vont être les plus efficaces ? Avec d’aide de votre label ?
Nous sommes assez chanceux car nous avons de nombreux titres très bons et très différents pour montrer plusieurs aspects de ce disque. Si on avait dû en choisir deux, cela aurait été plus difficile, il y a tant de facteurs auxquels tu dois penser pour choisir. Est-ce qu’il faut une chanson heavy, rapide, acoustique ou accrocheuse. On a cette chance de pouvoir en sortir plusieurs successivement. Il y a Alex et nous, et puis le label qui doit s’exprimer aussi, cela aurait été difficile si on n’avait pas eu beaucoup de possibilités, mais oui, ce n’est pas simple. Il y en certaines chansons qui sont évidentes pour tous, on sait qu’on la sortira et qu’on tournera une vidéo. C’est une bonne question, c’est un peu oui et non, parfois tout semble très clair et évident et parfois on se pose des questions, on hésite. Ce n’est jamais simple encore une fois parce que pour nous, tous les morceaux sont bons ! (rires)

Il y a cette pochette un peu effrayante, mystique et mystérieuse qui semble sortir d’un autre monde ! Explique-nous.
C’est une part importante de l’album. Alex s’occupe des textes et de tout un tas de chose. L’album s’appelle Myths of Fate. Alex s’est dit que ce serait génial d’avoir trois nonnes qui représentent à la fois le diable et la foi. C’est l’image parfaite à montrer, ça représente le passé et le futur, l’attente de la gloire des gens et ça représente bien le disque. J’ai le plaisir que mon visage soit l’un des personnages, c’est assez marrant. (sourires)

Tu es soprano, c’est la voix la plus aiguë, avec la plus grande amplitude vocale et donc la plus grande tessiture. As-tu une préparation particulière avant de rentrer en studio ou de partir en tournée ?
Oui, mais c’est juste du bon sens. Tu dois te préparer en répétant pour voir ce que cela va donner, ne pas trop prendre de risque non plus avant de monter sur scène en poussant trop ta voix ou avant de rentrer en studio car ça peut prendre des heures, il faut aussi bien échauffer sa voix avant un concert pour être au mieux vocalement chaque soir lors d’une tournée. En studio, il faut du temps, c’est différent, tu dois faire de nombreuses prises ! Parfois ça fonctionne, d’autres fois non, il faut recommencer un autre jour dans le cas où ça ne passe pas. Si je ne suis pas satisfaite, je recommence. Lorsque ta voix est ton instrument, c’est ton corps entier qui travaille, et beaucoup de choses peuvent affecter tes cordes vocales, tu peux être un peu malade, les hormones aussi ont un rôle à jouer pour une femme.

Luc Gebhardt, votre nouveau guitariste, est arrivé en 2022 dans Leaves’ Eyes et dans  Atrocity, comme tu me le disais. Cela a eu un impact important sur cet album, selon toi ?
Oui, c’est avant tout un travail de coopération, on était tous impliqué. Il était présent, moi aussi, on a travaillé ensemble sur de nombreux détails, les voix bien sûr, tout le monde était donc investi. C’est un grand musicien, il a joué son rôle.

Cet opus Myths of Fate est à la fois un concept dans le sens où il y a un fil rouge qui lie les textes mais n’en ai pas véritablement un ?! Je ne sais pas si tu me comprends…
Oui, c’est bien cela, il y a un thème général sur ce disque qui aborde tout ce qui est mystique, un peu magique. Les personnages sont dans cet état d’esprit.

Cette année, vous allez fêter les vingt ans de la formation, dans quel état d’esprit abordes tu cet anniversaire toi, qui a intégré Leaves’ Eyes seulement en 2016 ?
C’est bien sûr un évènement important au regard de tout ce qui a été fait, les albums, les tournées… C’est une inspiration pour moi ça a été un voyage incroyable. Je leur en suis très reconnaissante de m’avoir fait vivre ces grands moments, d’avoir pu chanter dans le monde entier, d’enregistrer de bonnes chansons et aussi ces rencontres avec plein de gens, de chanter devant tant de monde. Malheureusement il y a eu cette pandémie et je me suis retrouvé loin de tout. Je suis très impatiente et excité par cette nouvelle sortie et cette année 2024.

Selon toi qu’apporte Myths of Fate de plus, comparé au précédent The Last Viking ?
Je pense qu’il est différent par rapport à la manière dont les chansons ont été écrites, c’est toujours du très haut niveau, on retrouve bien tous les éléments qui ont fait ce groupe. Il est un peu plus symphonique, pas sur tous les titres mais au niveau de la tendance générale. Vocalement, pour moi, c’est mon meilleur album, il y a toujours ce mélange de heavy metal et de fragilité, chaque chanson est différente, il y a ce contraste au niveau de ma voix. Il y a aussi une approche plus facile à l’écoute, on rentre plus facilement dedans, il y a des refrains catchy, de grands morceaux, je ne sais pas vraiment, ce n’est pas simple de le dire à chaud quand tu es dedans depuis tellement de temps, et que tu t’es autant investi.

Tu as commencé à t’intéresser à la musique et au chant très jeune, je crois ?
Je viens d’une famille de musiciens, j’ai toujours baigné dans un univers musical, et ce, chaque jour. Lorsque j’étais enfant je chantais en permanence et je me suis mis à composer très jeune. Adolescente, je me suis mis à écrire des chansons très pop. Par la suite la suite, vers dix-sept ans, j’ai pris des leçons de chant pour m’améliorer et pour voir chanter. J’ai ainsi progressé et suis partie à Londres ou j’ai créé mon propre groupe EnkElination qui est devenu Angel Nation, et des années après j’ai intégré Leaves’ Eyes. Ce n’était pas planifié, c’est juste arrivé. La musique a toujours été une passion et je suis heureuse de pouvoir faire ce que je fais aujourd’hui.

Tu enseignes aussi le chant à de nombreux élèves. Qu’essayes-tu de leur transmettre à travers ton expérience ?
Ce n’est pas quelque chose auquel je peux répondre rapidement. Je dirais que chanter c’est avant tout une réaction à de nombreux facteurs que tu dois prendre en considération. Il y a tant de voix différentes. Tu dois trouver ce qui fonctionne pour quelqu’un, quel challenge tu peux fixer. C’est très spécifique. Il me faudrait beaucoup de temps pour développer le sujet car c’est très complexe. C’est une combinaison de toutes les choses qui se passent à l’intérieur de toi, c’est très physique, quel est le défi qui se présente à toi ? C’est la question. Il y a aussi la technique, maitriser ses cordes vocales, se concentrer sur la tonalité. Il faut expérimenter pour progresser, c’est fascinant car chaque être est différent. J’ai tout appris moi-même et beaucoup sur moi-même, en enseignant. Il faut toujours trouver une manière d’être créative. Tu apprends sans cesse en tant que chanteur et professeur, que ce soit devant un public ou un étudiant, j’adore ce métier.

Je suppose que tu te souviens de tes premiers héros, ceux qui t’ont marqués et influencés ?
Je ne dirais pas que j’en ai dans la façon dont j’essaye de sonner, je pense que chacun doit sonner de sa propre façon et ne pas être influencé par quelqu’un. Mais bien sûr, en ce qui concerne l’inspiration, c’est l’opéra. Lorsque j’étais plus jeune, je regardais des opéras, j’adore Plácido Domingo qui est un ténor très célèbre. C’est une de mes idoles, ce n’est pas que je voulais être une chanteuse comme lui l’était mais j’adorais sa voix. Plus tard, il y a eu Freddy Mercury qui a été une de mes très grandes influences, sa voix mais aussi sa personnalité. Lorsqu’il était sur scène, il était unique, il avait cette façon incroyable d’être lui-même, d’y aller et de tout exprimer à travers sa voix.

Ton autre groupe (d’origine), Angel Nation, est loin d’être en stand-by en fait. Bien au contraire, vous avez sorti en 2022 Antares. Est-ce à dire que vous pensez au prochain même si actuellement ta priorité est Myths of Fate ?
C’est incroyable que deux ans se soient écoulés depuis cet opus, le temps passe vite. Ce fut une période démentielle pour arriver à le finaliser. On a eu un énorme soutien de la part des gens qui nous ont supportés par l’intermédiaire de notre appel de fonds (crowdfunding). On est tellement reconnaissant envers tous ceux qui nous ont aidés à le faire. On a tenté de donner des concerts en Angleterre, en Europe. Désormais je ne vis plus en à Londres. Il y a eu le Brexit qui est arrivé et qui a rendu tout très compliqué notamment au niveau des tournées, tout est très cher à tous les niveaux. Je dois aussi me concentrer sur mes priorités comme ce nouveau disque, je ne peux pas me partager en deux. C’est une longue histoire, c’est aussi mon projet de cœur et ce serait vraiment bien de pouvoir retravailler ensemble, partir sur les routes. On verra bien ce qui arrivera. Pour l’instant, j’attends de voir mais c’est certain que nous allons continuer ensemble à produire de la musique.

Au mois de mars 2024, vous allez partir en tournée pour un mois (Ndlr : sans passer en France malheureusement). Comment allez-vous l’aborder ?
On va faire comme d’habitude, répéter les morceaux, mettre en place le set, nous réunir pour travailler. Il y a tellement de logistiques à mettre en place lors d’une tournée, jouer représente juste la plus petite partie, il y a toute l’organisation autour de ça qui représente beaucoup de travail.

Tu as participé également au dernier opus d’Atrocity Okkult III. Comment as-tu vécu cette expérience dans un registre très différent du tien ?
J’ai chanté sur deux morceaux (Ndlr : en fait un seul « Malicious Sukkubus » avec Elina Siirala & Zoë Marie Federoff n’a été publié), c’était très amusant. Il y avait une forme de folie sur laquelle je devais m’exprimer. Tout ce qui ne sonnait pas humain était fait pour moi. (rires) Je suis devenu totalement dingue lors des prises vocales. Alex me poussait, c’était marrant, tourner les vidéos aussi étaient sympathiques, c’est tellement différent de Leaves’ Eyes. Ça a été vraiment une belle expérience.

Enfin, comment aimerais-tu présenter Myths of Fate à quelqu’un qui ne vous connais pas encore ?
Oh, mon dieu ! C’est difficile mais je vais essayer de répondre. Je lui dirai que c’est une combinaison assez dingue entre les textes des personnages doté d’un côté cinématique, alliés à une musique qui t’emporte vers une autre dimension épique. C’est une sorte d’expérience alliée à la voix d’Alex et la mienne. Il y a aussi un coté symphonique auquel s’ajoute des éléments rock. On aborde différents types de musique, c’est très varié, mais le mieux c’est d’écouter. (rires)

Publicité

Publicité