La période des vacances est souvent propice au repos pour certain(e)s, au bricolage pour d’autres, mais aussi au voyage. Et sur son lieu de villégiature, quoi de mieux qu’une séance de farniente suivie d’échanges culturels en quête de quelques curiosités locales… C’est justement le voyage qui a inspiré la création du troisième album solo Islet de l’artiste norvégienne Lindy-Fay Hella, bien connue pour sa magnifique voix au sein de Wardruna… Après l’avoir croisée en 2023 lors du Motocultor à Carhaix où Wardruna se produisait alors en tête d’affiche, nous avons réussi cette fois à intercepter l’insaisissable chanteuse entre deux périples… [Entretien réalisé avec Lindy-Fay Hella (chant, paroles) par Seigneur Fred – Photos : DR]
LINDY-FAY HELLA & DEI FARNE
Bonjour Lindy, comment vas-tu ? Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, que ce soit avec Wardruna ou bien aujourd’hui sous ton propre nom et projet solo ? D’ailleurs, je me suis toujours demandé si tu possédais en fait un prénom composé norvégien ? C’est pas si courant par chez toi, non ?
Salut Fred, je suis Lindy-Fay, une musicienne de Radøy, une île sur la côte ouest de la Norvège. Lindy-Fay est mon vrai nom, bien qu’un prêtre ait en fait refusé de me baptiser car il trouvait mon nom trop bizarre. Et Hella est mon nom de famille. Beaucoup de norvégiens ont deux prénoms, comme par exemple le tatoueur, Tor Ola. (sourires)
On avait pu te voir en live en août 2023 au Motocultor Festival en France (lire notre live report ici). C’était vraiment magique pour ce concert en communion avec le public. Quelques heures avant ton concert, on s’était croisé l’espace d’un instant dans les coulisses de ce festival breton l’été dernier avant que j’interviewe Einar Selvik pour Wardruna. T’en souviens-tu de ce concert français honnêtement ?
Pour être totalement honnête, je dois dire que notre programme de tournée en 2023 était très chargé avec Wardruna, ce qui était absolument génial, mais ce qui se passe ensuite, du moins avec moi, c’est qu’il est difficile de séparer où et quand avaient lieu tous ces moments Je sais que j’adore être en France et j’ai hâte, et d’ailleurs espère, y donner à nouveau des concerts. Et aussi, merci d’avoir assisté à notre concert ce soir-là. Je suis heureux d’entendre que tu as aimé.
Tu as encore l’air très occupée à présent. Si je ne me trompe pas, tu voyages beaucoup ces derniers jours… Est-ce pour quelques concerts que tu joues en live avec Wardruna cette semaine, ou pour la promotion de ton projet solo Lindy-Fay Hella et Dei Farne, notamment à l’étranger ?
Je m’en sors très bien ces jours-ci, disons que je travaille avec Dei Farne et je voyage… J’adore voyager donc je le fais dès que j’en ai l’occasion et j’avoue que cela fait trop longtemps que je n’ai pas tourné en fait (les tournées sont addictives). Dans quelques jours, j’ai un atelier avec Inger Johanne Syverud, Seidr et Power Through Voice. Cette résidence d’artistes se déroule sur la côte est de la Norvège, et donc là je vais juste faire une visite rapide à Tallinn (Estonie) maintenant pour trouver de l’inspiration.
Qu’est-ce que « Dei Farne » associé à ton nom dans ce projet solo à l’origine exactement ? Et que signifie-t-il ? Quelque chose comme « Les dieux l’ont fait » en latin ?
Dei Farne signifie en fait « ceux qui sont partis/partis » dans notre dialecte ici en Norvège, la façon dont nous parlons sur les îles de la côte ouest norvégienne. En gros, Dei Farne comprend le joueur de synthé Roy Ole Førland avec qui j’écris la musique, mais nous incluons également nos musiciens invités/contributeurs sous ce nom. D’où mon nom et Dei Farne. (sourires)
En parallèle de Wardruna, tu mènes donc cette carrière solo depuis environ 2019 et as sorti un premier enregistrement sous ton nom en solitaire en 2019, l’album s’appelait Seafarer. Et plus tard, en 2021, tu as continué et évolué avec Lindy-Fay Hella et Dei Farne, publiant un second album Hlidring plus expérimental sur By Norse Music. Comment est née cette nouvelle collaboration en 2021 et pourquoi cette évolution de nom entre-temps ?
Dei Farne a commencé quand je cherchais des musiciens live pour interpréter l’album Seafarer avec moi sur scène. Je me suis associé à mon cousin Ingolf Hella Torgersen (batterie), Jan Tore Ness (également batterie) et Roy Ole Førland (synthétiseurs/programmation.) Nous avons immédiatement commencé à jammer et comme on répétait dans le studio de Jan Tore (nommé Mors Kjeller), il l’a enregistré. On a rapidement découvert que nous consacrions plus de temps à créer spontanément de nouvelles musiques, puis en répétant sur Seafarer, alors je leur ai demandé s’ils voulaient faire un nouvel album avec moi et heureusement pour moi, ils ont dit oui. (rires) Cela a donné naissance à Hildring. J’ai découvert pendant ce temps que je préférais être dans un groupe plutôt qu’être une artiste réellement en solo. Roy Ole et moi avons les mêmes goûts musicaux, un faible pour les choses sombres et brutes avec des touches de lumière.
Derrière le groupe Dei Farne, on trouve ainsi plusieurs musiciens norvégiens : Roy Ole Førland, Jørgen Træen, Sondre Veland et Iver Sandoy. Penses-tu avoir déniché la bonne équipe pour ce projet solo devenu collectif et qui sonne différent de Wardruna, plus moderne et pop/ambient musicalement ?
Dei Farne est basé sur le synthé puisque Roy Ole et moi avons tous deux une formation en synthé. Je n’ai jamais pensé que Dei Farne était plus moderne que Wardruna. J’aime être à la fois dans Wardruna et Dei Farne et entrer dans la musique avec honnêteté et de vrais sentiments et je pense que les autres font la même chose. Bien sûr, nous utilisons d’autres instruments dans Dei Farne et avons une préférence pour le progressif et la musique électronique des années 70 et 80. Il y a cependant une chose que Wardruna et Dei Farne ont en commun : l’amour et le respect de la nature.
Au passage, Ingolf Hella Torgersen avait joué sur ton précédent album Hildring. Est-ce un membre de ta famille peut-être, et pourquoi ne joue-t-il pas sur le nouveau disque Islet ?
Oui, Ingolf est en fait mon cousin. Il n’aime pas trop les tournées et veut passer plus de temps chez lui, à construire son home studio et nous comprenons parfaitement cela et respectons sa décision. On a donc décidé qu’il était préférable d’avoir le même batteur que celui qui sera également en tournée avec nous. Il s’agit dorénavant de Sondre Veland pour la batterie et les percussions sur notre nouvel album.
Iver Sandoy est bien connu pour son travail de producteur en studio depuis plus de dix ans en Norvège, et aussi comme actuel batteur d’Enslaved. Bon, il a également joué dans un vieux groupe de thrash à ses débuts et fait du metal progressif il y a longtemps avant de déménager à Bergen pour rejoindre par la suite Enslaved (comme il nous l’avait expliqué lors de notre dernière interview avec Enslaved, mais ça c’est une autre histoire…). Pourquoi n’a-t’il pas joué de la batterie cette fois ?
Pour la même raison qu’avec Ingolf, nous souhaitions avoir le même batteur en studio qui partira également en tournée avec nous. (sourires) Iver est toujours comme un membre du groupe, étant notre producteur et contribuant avec des synthés supplémentaires sur Islet.
Raconte-nous comment est né ce nouveau disque Islet ? Est-il vrai que cela provient d’un voyage personnel au Portugal il y a quelques années qui t’aurait inspiré, car la première chanson intitulée « Sintra » commence avec des sons d’oiseaux, de nature et ta voix avec une légère touche orientale… Sintra est réputé comme endroit agréable au sud du Portugal. Ayant déjà visité la ville et ses alentours, je me souviens de son beau palais (avec ses deux immenses cheminées dans la cuisine), ses collines et sa nature, son vieux château maure du Moyen-Age avec ses défenses, mais aussi un château baroque du XIXème siècle… ?
Oui. J’étais à Sintra en février 2023. C’est là que j’ai commencé mon voyage de vacances d’un mois au Portugal pour trouver l’inspiration pour les paroles. À quelques exceptions près, j’écris toujours les paroles de la musique une fois que les mélodies sont déjà là. Toutes les chansons étaient prêtes, j’avais juste besoin de me promener et de regarder les choses dans cet endroit étranger, pour voir quels genres d’histoires surgiraient. Ce qui m’a frappé avec Sintra, c’est à quel point cette petite ville est mystérieuse et, comme tu le dis, avec une pointe d’orientalisme. En outre, il est traditionnellement connu pour son folklore avec ses sorcières. Je me souviens avoir appelé Roy Ole, lui racontant des expériences étranges que j’avais vécues en me promenant là-bas le soir. Une fois, j’ai perdu mon chemin et, sans m’en rendre compte, je me suis égaré en direction des collines et de la forêt. Roy Ole s’est inspiré de ça et m’a envoyé des choses numériques composées sur ordinateur et un synthétiseur en me disant : « je pensais à ce que tu as dit à propos de l’endroit où tu te trouves maintenant et des sorcières. Voilà ce que j’ai composé ». C’est la seule chanson de l’album qui n’a pas de paroles. Je viens encore de l’écouter, je me souviens de l’atmosphère de Sintra, et ce léger chant spontané.
Ton premier single avec un vidéo clip est le morceau « Whisper ». Il est très orienté électro pop, après le morceau « Dark Water », orienté dark électro également. As-tu été inspirée par l’oeuvre de Björk ici par exemple, et pourquoi avoir choisi ce titre « Whisper » comme premier single de l’album Islet ? Ou est-ce le label (dirigé par Ivar Bjørnson et Einar Selvik…) qui a décidé cela avec ton accord, bien sûr ?
Même si j’adore Björk bien sûr, ce n’est pas de là que nous nous sommes inspirés. Roy Ole et moi avons tous les deux, depuis l’enfance, baigné dans la musique faite de synthés sombres et le progressif, comme Depeche mode, Einztürsende Neubauten et Yes par exemple. Lors de la présentation de l’album pour le label By Norse Music, la suggestion du single « Whisper » est venue et nous avons accepté. Il est difficile de choisir une chanson spécifique lorsque l’on travaille sur un album entier depuis un certain temps, on n’est plus vraiment objectif. Nous avons donc confié ce travail avec plaisir à la famille By Norse. Je pense que « Whisper » a été choisi parce que la patronne du label, Mélanie Duperrex, a un faible pour cette chanson en particulier et aussi pour « Don’t do right », qui sera le troisième single.
Il y a deux chansons en rapport à l’eau : « Dark Water », puis « Low Water ». A propos de « Dark Water », ce titre t’a-t’il été inspiré par le film d’horreur japonais ici Dark Water, ou bien peut-être avec Dark Waters, le livre (basé sur des événements réels aux USA) et le film avec l’acteur Mark Ruffalo (Hulk, Avengers…) ? Que cherches-tu à évoquer ici ?
Non, mais maintenant, j’ai vraiment envie de découvrir ce livre et ce film dont tu me parles… J’ai voyagé aux Açores, un groupe d’îles au milieu de l’Atlantique dont nous, en tant qu’insulaires norvégiens, avons toujours entendu parler. Cela a été pour moi un lieu de grand mystère et j’ai imaginé ce que cela devait être de voyager en bateau vers ces îles, soudain elles apparaissent là, à l’horizon du vaste océan. Pendant mon séjour là-bas, Inger Johanne Syverud (qui m’a rendu visite pendant quelques jours) et moi avons fait la connaissance de locaux qui nous ont emmenés sur l’Océan Atlantique avec un voilier. Même si je savais très bien que nous étions parfaitement en sécurité avec ces marins, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la profondeur de l’eau dans cette zone, aux énormes vagues et à ce qui pourrait se cacher sous la surface. J’aime rêver et fantasmer sur des choses et je me suis soudainement sentie effrayée. Alors oui, il s’agit d’eaux sombres, inconnues et peut-être effrayantes en dessous de nous, mais il y a aussi de l’espoir, des rêves et l’idée d’un nouveau départ.
Quoi qu’il en soit, à propos de l’eau ici, et la pollution des océans et des rivières et nos nappes phréatiques dans bien des endroits du monde sur notre planète, es-tu sensible à l’écologie ? Es-tu consciente de cela dans ta vie de tous les jours surtout que tu voyages beaucoup comme on l’évoquait au départ et les vols en avion ça pollue aussi (empreinte carbone) ?
Oui, j’en ai parlé avec des amis il y a quelques jours, que cela fait partie de mon travail de voler plus que d’habitude et bien sûr, je me sens parfois mal à l’aise à ce sujet. Avec Wardruna, nous voyageons la plupart du temps en bus, ce qui est mieux. Donc, cela représente peut-être deux vols en trois ou quatre semaines. J’essaie de compenser d’une manière ou d’une autre, en ramassant du plastique dans la nature et en prenant position contre ces horribles moulins à vent et les projets d’exploitation minière au fond de l’océan. L’être humain n’a rien à faire là-bas à mon avis, sinon observer et essayer de ne pas détruire totalement ce qui reste de la nature sur cette planète, surtout que l’on connait peu finalement les fonds marins.
En général, comment composez-vous et travaillez-vous ensemble pour ce projet solo avec Dei Farne : tu commences seul de ton côté au début ? C’est toi qui composes tout d’abord sur ordinateur, peut-être ? Ou les gars de Dei Farne ? Cela doit être totalement différent de Wardruna dirigé par Einar Selvik, j’imagine ?
C’est effectivement une façon différente de travailler. Roy Ole et moi nous échangeons des idées, par exemple je lui envoie des mélodies avec chœur ou bien il m’envoie des rythmes programmés avec des synthés. Nous aimons travailler vite et spontanément et après quelques mois d’échanges et de va-et-vient musical, nous partons en studio pour enregistrer les chansons finies que nous avons choisi d’inclure sur un album.
Alors, tu prépares différemment ta voix ici aussi, je présume, par rapport au chant de Wardruna ? Parce que même si l’on reconnaît facilement ta voix, elle est ici plus moderne et intimiste, plus feutrée aussi parfois…
Pas vraiment, je chante juste comme je le sens, mais la raison pour laquelle cela semble plus intime avec Lindy-Fay Hell & Dei Farne est probablement parce que j’expérimente davantage en utilisant une voix plus petite, presque imperceptible par moment, en contraste avec le chant à pleine voix, même si j’assure également les chœurs dans Wardrnua. De plus, le producteur Iver Sandøy possède un microphone des années 1950 que nous aimons utiliser. Si on chante fort, le son se déforme naturellement (comme on peut l’entendre vers la fin de la chanson « Furnas » par exemple. Alors oui, nous utilisons des micros différents avec Dei Farne, puis avec Wardruna. Tout cela sonne différemment au final.
Votre album précédent s’appelait Hildring, c’est-à-dire la période précédant l’adolescence. Alors avez-vous grandi avec Depeche Mode et Kraftwerk par exemple (et bien d’autres) durant votre jeunesse ? Et l’album Islet est-il finalement un album plus pop/new wave dans lequel vous exprimez vos propres sentiments et émotions d’adulte pour l’instant mais avec vos racines musicales lorsque vous étiez adolescent d’une certaine manière ?
J’ai absolument grandi avec Depeche Mode et Kraftwerk, en fait j’écoutais surtout l’album Black Celebration pendant des années. Dans notre dialecte, Hildring signifie en fait « Mirage » et pour la chanson du même nom, je m’imaginais être dans les dunes de sable du désert de Nairob ou du Sahara, la nuit… Je sais que les mirages n’arrive que pendant la journée, mais ça c’est dans la vraie vie. Dans les rêves, tout est possible. Notre nouvel album, Islet, possède définitivement des préférences musicales de l’enfance, mais aussi le monde onirique et les expériences de vie d’un adulte.
Question difficile et voilà pourquoi je te la pose (sourires) : quelles sont tes chansons préférées d’Islet et pourquoi ?
Oh oui, c’est assez difficile de répondre, mais je sais déjà que l’un des titres favoris absolus d’Iver, Roy Ole et moi est « Furnas ». Et cela pour la même raison : c’est plein de sentiments et assez fragile. Notre batteur, Sondre, aime particulièrement les chansons plus calmes de l’album, « Furnas » inclus. (sourires)
Vas-tu tourner et jouer live avec Dei Farne afin de jouer tes propres chansons issues de ce nouvel album en concert et rencontrer tes fans un peu partout dans le monde ?
C’est absolument le plan, oui, et j’en peux plus d’attendre !! (sourires)
Avant de se quitter, as-tu encore d’autres side-projects que Lindy-Fay Hella & Dei Farne, en dehors de Wardruna, qui sont peut-être nés pendant l’épidémie de covid-19 ? Ou peut-être d’autres collaborations (juste en tant qu’invitée) comme tu l’as fait dans le passé par exemple avec Audrey Horne (2018), Leaves Eyes (2015), ou avec My Dying Bride sur la magnifique chanson « The Solace » en 2020 (on en parlait avec Aaron Stainthorpe dans notre avant-dernier entretien à l’époque) ?
Oui, il y a un projet sur lequel j’ai travaillé avec Kristian Eivind Espedal, Iver Sandøy et Ronny Stavestrand. De plus, j’étais invité il y a quelques mois avec Mortemia. Nous avons créé notre propre version de la chanson folklorique traditionnelle scandinave « Kråkevisa », une chanson que nous avons tous apprise à l’école durant notre jeunesse dès la maternelle.
Pour conclure : l’été dernier au Motocultor Festival, Einar Selvik (Wardruna) m’a dit qu’il travaillait sur des nouveautés pour Wardruna, avec un nouvel enregistremen en perspective. Alors, quels sont tes projets avec Wardruna maintenant pour 2024 et les années à venir ? Des concerts, et un tout nouvel album studio pour bientôt, après Kvitravn et First Flight of the White Raven (faux album studio live) sortis en 2021 et 2022 ?
Je ne peux pas encore dévoiler les projets, mais effectivement un nouvel album de Wadruna arrivera prochainement, oui, restez connectés ! (sourires) Et des nouveaux concerts ici et là. Merci beaucoup Fred, très heureux de savoir que tu as apprécié notre nouvel album et que j’arrive encore à te donner la chair de poule, que ce soit avec cet album avec Dei Farne ou Wardruna. (sourires) Prenez soin de vous !
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