À l’instar de Womb of Lilithu sorti il y a onze ans déjà, In the Twilight Grey affirme d’emblée tout ce qui l’oppose à la discographie (riche, et ô combien qualitative) de Necrophobic. Si l’album précédent, Dawn Of The Damned, bénéficiait d’une intro (« Aphelion ») inspirée, caractéristique d’une atmosphère quasi sacrée, le premier morceau ici baptisé « Grace of the Past » délaisse, quant à lui, toute fioriture. Aussi aimable qu’une porte de goulag en Sibérie, ce titre envoie néanmoins du lourd. La puissance du jeu, au-delà de la simple brutalité, demeure un savoureux mélange de black et de death metal d’obédience scandinave, toujours mélodique. Le son signature des Suédois est pourtant bien présent, et ce, pour le plus grand bonheur des fans du genre, comme sur le très bon Mark Of The Necrogram pour lequel nous nous étions alors entretenus avec l’un de ses guitaristes, Sebastien Ramstedt, en 2018. Plus froid et incisif, In the Twilight Grey déroge à l’ambiance horrifique typique du groupe de Stockholm. Toutefois, nos cinq Scandinaves, tels les cinq branches d’un pentacle en feu et forts de leur réputation sur la scène musicale extrême, saupoudrent avec parcimonie un peu de leur savoir-faire légendaire, ce sur quoi, les appels démoniaques de « Clavis Inferni » ne sont pas sans rappeler la patte artistique d’antan, made in Necrophobic.
Ce nouvel opus emprunte donc de nombreux chemins de traverse alternant sans cesse avec douceur et brutalité extrême. Malgré un rythme toujours aussi effréné, le quintet démoniaque sait être rapide et efficace tout en prenant son temps, et c’est en cela que réside sa force. Preuve d’un réel travail de composition, le petit interlude délicat sur « Stormcrow » vient rompre le rythme tendu du morceau en laissant place à une seconde partie beaucoup plus mélodieuse. Au service du malin et de ses plus noirs desseins, le burinage dantesque classique des musiciens ne fait pas faux bon ici à ce nouvel album. Les guitares mélodiques sur un fond de blasts beat macabres octroient une ambiance lugubre particulière et continuent de forger le son caractéristique du black/death suédois.
« Shadows of the Brightest Night » est le parfait exemple de cette effusion de sons entre rires démoniaques, une batterie assénant des coups de marteau signée du seul membre du line-up originel Joakim Sterner, et un riff de guitare enivrant de Sebastian Ramstedt, revenu dans le giron en 2016. Difficile de résister donc aux charmes de l’occulte et de ses plus grands gourous. Le voyage initiatique vers l’obscure lumière de l’occultisme atteint son apothéose à l’appel quasi tribal du grand sorcier Anders Strokirk sur « Nordanvind ». Toutes les bonnes choses possèdent cependant une fin, et c’est sur une conclusion instrumentale des plus étranges que Necrophobic nous abandonne. « Ascension » nous laisse face à un champ de bataille désert et encore fumant. Cette fin, si bonne et si douce, comme un goût qui nous donne l’eau à la bouche, nous met face à l’indicible, le profond, la torpeur, le désarroi, la douceur de la mort. Preuve de leur confiance en leur musique, les membres de la horde scandinave semblent s’élever par leur jeu musical et s’offrent à eux-mêmes autant qu’ils donnent à leur public. Froid, glacial mais aussi limpide que du cristal, ce dixième album audacieux est à l’image d’un monochrome de Malevitch, enneigé mais d’une couleur intense. [Louise Guillon]
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