Avant le Christ, il y avait les dieux, les panthéons mythiques, l’Égypte, Babylone, la philosophie, Athènes et Rome. C’est à tout ce joyeux héritage antique auquel s’attaque Rotting Christ sur ce quatorzième opus justement intitulé dans leur langue natale Pro Xristou (littéralement « avant le Christ »). Pourrissant toujours sur sa croix, le Christ se voit encore descendu ici de son piédestal, mais délicatement, tout en mélodie, mais de sombres mélodies bien sûr chez nos vieux amis grecs, même si l’on est loin des sommets atteints sur A Dead Poem (1997) ou Sleep Of The Angels (1999), une petite lassitude s’étant installée à nos oreilles avec les années dans les schémas répétitifs façonnés à travers le temps par les frères Tolis.
Défait de toutes reliques, le messie est ainsi condamné d’entrée de jeu. « Pro Xristou », titre éponyme, s’offre à nous comme un serment d’allégeance aux dieux des temps anciens tandis que « The Apostate » (surnom de Flavius Claudius Julianus) rend hommage au dernier empereur romain païen. Ce second morceau, imposant d’envergure, est d’un gigantisme à la hauteur de la réputation du culte qu’est devenu Rotting Christ. Les chœurs solennels et épiques donnent une teinte de religiosité pourtant bannie par le duo athénien dans ses paroles. Plus basique et sans descendre de tonalité, « Like Father, Like Son » est d’un tout autre tempo. Bien plus lent que le titre précédent, il n’en est pas moins lourd et pesant. Les sons de cloche sur « La Lettera Del Diavolo » sonnent ensuite le glas. Le ciel s’assombrit sur l’Attique, la tempête fait rage et l’orage éclate en mer Égée sous les coups d’une batterie effrénée. Les voix retentissantes de « The Farewell » nous accompagnent avec une certaine mélancolie dans notre méditation, puis les voix s’éclaircissent progressivement jusqu’à la conclusion de cette belle chanson très dark metal mélodique.
Si vous avez tendu l’oreille jusqu’ici, il ne vous aura pas échappé que « Pix Lax Dax » reprend le refrain de « The Apostate » (qui est de loin le plus efficace et le mieux composé de l’album). Quittant la région méditerranéenne et son histoire mouvementée, les Grecs de Rotting Christ se (re)tournent du côté de la mythologie nordique avec l’épique et le lumineux « Yggdrasil ». Rappelons que les frères Tolis ont toujours entretenus des relations fortes avec la scène metal extrême scandinave, et notamment norvégienne au début des années 90, proche de l’Inner Circle. Puis quelques voix féminines bienvenues se glissent sur « Pretty World, Pretty Dies » et « Pix Lax Dax ». « Saoirse » conclut l’album en apothéose, et ainsi s’achève le nouvel opus de Rotting Christ, Pro Xristou. Au-delà de ces quelques louanges, il faut admettre que la formule reste inchangée depuis plusieurs disques. Il n’y a donc plus aucune prise de risque, mais comme chez de grands artistes, on reconnaît d’emblée la patte, le style, et c’est ce que les fans attendent, même si la formation athénienne a davantage expérimenté par le passé (duos avec Diamanda Galas sur Aealo ou Nick Holmes (Paradise Lost, Bloodbath) et Vorph (Samael) sur Rituals, percussions, chants féminins, samples et claviers de Khronos et Genesis, et a délaissé son black metal de jeunesse depuis des lustres…).
En toute logique, on retrouve donc notamment ces patterns très répétitifs, presque hypnotiques, que l’on a l’habitude de croiser si l’on est coutumier de la musique des frères Tolis. Loin du fan service, la musique de Rotting Christ n’a de cesse de se réinventer malgré une structure qui s’éloigne de l’originalité. À tous les férus de récits épiques et mythologiques, cet album de « dark metal mélodique », comme aime à le qualifier lui-même son frontman Sakis, est fait pour vous ! Droit dans ses bottes, la formation culte hellénique continue sur son chemin, à presque quarante ans de carrière, une longévité devenue rare sur la scène metal qui s’explique peut-être par le le fameux régime méditerranéen. [Louise Guillon]
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