RUNEMAGICK : Open the cemetery gates

Les années passent, les modes aussi, mais le doom/death metal de Runemagick demeure inébranlable. Apparu sur la scène de Göteborg en 1990, le quatuor est resté constant, garant d’une certaine tradition scandinave car la famille Rudolfsson, à la ville comme à la scène, se moque bien des modes qui vont et viennent, puisant généralement son inspiration dans tout ce qui entoure la mort et la fin du monde. Pour autant, ils ne sont pas pressés d’aller rejoindre leurs aïeux au cimetière. [Entretien avec Emma Rudolfsson (basse) et Nicklas Rudolfsson (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]

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Les albums de Runemagick comme Requiem of the Apocalypse, Dawn Of The End ou Into Desolate Realms sont généralement basés sur des sujets comme la fin du monde, l’Apocalypse (dans la Bible), la désolation, etc. ce qui est typique du doom. Lors de la récente pandémie de covid-19 que nous avons tous vécue (mais avec un confinement plus léger cependant chez vous en Suède), avez-vous pensé que c’était alors la fin de notre monde et le début de la décadence humaine en quelque sorte ?
Nicklas : Peut-être était-ce ou n’est-ce qu’une petite partie d’un changement ou d’une chute en cours plus vaste à venir ? Qui sait ?… La fin sera ce qu’elle sera. Et ces sujets sont évidemment bons à écrire dans notre genre de metal. Certains sujets peuvent également être utilisés comme métaphores. Mais ce n’est pas parce que j’écris souvent des paroles liées au doom et propices à cela que j’y pense tout le temps. La plupart du temps, tu as autre chose à penser dans la vie quotidienne. (sourires)

Mais penses-tu que ces trois dernières années vous ont affecté psychologiquement lorsque vous avez commencé à composer et à écrire de nouveaux matériels pour Beyond The Cenotaph of Mankind, votre nouvel album ?
Nicklas : La vie elle-même et l’environnement affectent constamment notre humeur, et donc aussi les processus de création et la créativité. Les événements de ces dernières années dans notre monde nous affectent certainement dans une certaine mesure. Tout comme bien d’autres choses se sont passées dans la petite vie privée de chacun qui nous affecte aussi individuellement.

Sur le nouvel artwork très brut et primitif, on distingue quatre tombes dans un cimetière païen avec des inscriptions runiques… Ces quatre pierres tombales sont-elles les vôtres ? Car le votre line-up de Runemagick se compose de quatre personnes : vous deux Nicklas et Emma, Jonas Blom, et Daniel Moilanen… Peux-tu nous expliquer l’idée ici en lien avec le titre Beyond The Cenotaph of Mankind, s’il-te-plaît ?
Nicklas : Qui sait ? C’est au spectateur et à l’auditeur d’interpréter nos versions et nos voyages musicaux. Mais comme tu le dis, il y a quatre pierres sur lesquelles est gravé : « La fin de l’humanité ». Personnellement, je ne le vois pas comme nos propres pierres tombales. Mais disons que si le groupe devait stopper pour une raison quelconque, cette pochette conviendrait bien, en effet, mais ce n’est pas en projet. (rires) Le titre peut également être sujet à interprétation pour le lecteur. Mais pour moi, cela peut être plutôt une continuation de notre précédent album Into Desolate Realms, comme s’il s’agissait d’un voyage encore plus en avant ou en profondeur, enfin façon de dire. À mon avis, le titre correspond à la pochette, comme une visualisation d’une époque où notre civilisation actuelle a disparu.

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Cette fois, sur Beyond The Cenotaph of Mankind, il n’y a que six titres. Dans le passé, en général il y avait plus de chansons dans les albums de Runemagick, plus de douze titres en moyenne. Avez-vous voulu privilégier la qualité à la quantité sur ce nouvel album d’une certaine manière ? Ces six nouvelles longues chansons font-elles partie d’un concept album ?
Nicklas : Oui c’est ainsi. Comme dit précédemment, nous avons sélectionné le meilleur du matériel. Bon, je dois admettre qu’il y a peut-être une ou deux bonnes chansons sauvegardées à côté qui ne sont pas encore achevées avec les voix ou non mixées, mais il n’y a pas de projet pour ça ! On a également tenté d’adapter toutes les nouvelles chansons à la durée de lecture d’un disque vinyle. Malheureusement, nous avons un peu échoué car nous avons dû retirer la chanson « Revocation of Spectral Paths » de la version vinyle, mais elle figure sur le CD. Cependant, pour compenser, une pièce instrumentale plus courte a été écrite et enregistrée pour la fin de la face A du vinyle. En fait, l’album n’est ni prévu ni écrit pour être un concept. Mais certainement, à sa façon, cela relève d’un certain concept plus large, pourrait-on dire. Ce n’est pas une stratégie avec des morceaux qui doivent s’emboîter les uns aux autres, mais cela sonne comme du Runemagick, et c’est ça l’essentiel.

Je trouve vos nouvelles compositions plus atmosphériques que par le passé alors que vous jouiez un death/doom metal plus virulent à vos débuts dans les années 90. Votre objectif principal était-il de développer davantage les ambiances sur ce treizième album de Runemagick ?
Nicklas : Comme je le vois, nous avons commencé à tisser de plus en plus d’atmosphère déjà dans les albums précédents tels que Darkness Death Doom. Ensuite, il peut s’être développé davantage de temps au sein des morceaux, leur durée s’étant allongée. Du coup, il est possible qu’il y ait un peu plus d’ambiance et de feeling dans cet album par rapport à son prédécesseur, oui.
Emma : On n’avait pas vraiment de projet précis ou conscient pour ça, mais cela s’est simplement passé comme sur les précédents albums réalisés au fil des ans avec les influences du moment ou ce qui semblait juste à l’époque.

A la fin des années 90/début des années 2000, après l’album Resurrection In Blood, la mode n’était pas très orientée vers le style doom/death metal. Et je sais que vous ne vous souciez pas des modes… Mais il semble que les temps aient changé, tout étant cyclique. Et le mélange des genres doom et death metal old school revient à la mode. Par exemple : les side-projects Vallenfyre et Strigoi de Greg Mackintosh, vos voisines danoises de Konvent, Asphyx ou Memoriam (avec Karl Willetts, ancien chanteur de Bolt Thrower)… Que penses-tu de ce retour et de cet intérêt nouveau pour ce style musical quelque peu désuet à une époque, et partages-tu cet analyse ?
Emma : Rien qui m’importe vraiment, mais c’est super qu’il y ait de nouveaux groupes et projets comme ça. J’aime d’ailleurs beaucoup d’entre eux.
Nicklas : J’aime plusieurs des groupes que tu mentionnes et à mon avis ce n’est que bénéfique à mes oreilles de faire une telle musique. Pour autant, je pense que rien n’est négatif de quelque façon que ce soit, que ce soit plus ou moins dans l’air du temps ou pas. En fait, pour tout te dire, j’ai écouté le dernier album de Memoriam l’autre jour et c’est un très bon album, je le soutiens totalement ! (sourires)

Qui joue de la batterie, de la guitare, de la basse et chante sur Beyond The Cenotaph of Mankind ? Est-ce toi, Nicklas car autrefois tu jouais de la batterie aussi ? Ou votre second guitariste Jonas Blom. ? A force de je m’y perds comme vous êtes tous multi-instrumentistes ! (rires) Ou bien s’agit-il de Daniel Moilanen qui a enregistré les parties de batterie, en dehors de son groupe principal Katatonia ?
Emma : Daniel Moilanen joue de la batterie et est avec nous depuis plus de vingt ans, donc oui il a aussi joué de la batterie sur notre nouvel album. Jonas a de nouveau rejoint le groupe en 2018 et est depuis lors le guitariste principal du groupe.
Nicklas : Comme Emma l’a mentionné, Jonas a rejoint le groupe en 2018. Il a également fait partie du groupe pendant un certain temps dans les années 90 lors d’une tournée et de quelques concerts en tant que batteur.

Quel a été ton rôle Emma cette fois-ci ? As-tu été davantage impliquée dans le processus d’écriture et de composition de Beyond The Cenotaph… , mais aussi dans l’enregistrement de tes propres parties de basse car ton instrument est très important au côté des guitares distordues dans le puissant son de Runemagick ?
Nicklas : Emma peut mieux répondre que moi, je suppose. Mais je peux mentionner que j’ai écrit le matériel de base de tout l’album. Ensuite, nous avons eu un dialogue et des commentaires sur diverses choses entre nous, bien sûr.
Emma : Comme la plupart des derniers albums, Nicklas a composé le noyau principal de tout le matériel. J’ai bien sûr enregistré la basse et j’ai aussi écrit quelques lignes de basse. J’étais également plus impliquée dans le processus de mixage avec différentes contributions auprès de Nicklas que j’ai amenées cette fois.

Emma, c’était la journée des droits des femmes le 8 mars dernier dans le monde (NDLR : entretien réalisé le 12/03/2023). Avec le temps, depuis ton arrivée au sein de Runemagick en tant que bassiste aux côtés de ton mari Nicklas en 2000 sur l’album Resurrection In Blood, as-tu observé des changements dans l’attitude des hommes à ton égard dans le milieu de la musique et du metal, et peut-être en tournée même si vous vous produisez rarement en concert ?
Emma : Honnêtement, je n’ai pas beaucoup d’expérience à offrir. Pendant mon temps dans le groupe depuis 2000, nous n’avons jamais fait de tournées et peu de spectacles en live durant toutes les années où nous avons été actifs. Je n’ai pas remarqué de différence d’attitude envers moi personnellement. Mais des choses se sont passées justement au sein de la scène au cours de ces années, il y a une évolution étant donné qu’il y a plus de groupes composés de femmes et plus de femmes dans le public ce que je trouve génial et certainement plus intéressant. Donc plus généralement, c’est super de voir que la scène underground metal s’améliore dans ce sens.

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L’une des spécificités du groupe Runemagick est qu’auparavant, toi, Nicklas, membre fondateur, tu jouais à la fois de la batterie et chantais. Alors, comment fais-tu tout ça en live et pour être concentré sur toutes tes parties ? Je suis vraiment impressionné. Tu es un peu comme le Phil Collins du doom/death metal suédois !!! (rires)
Nicklas : Je n’ai pas joué de batterie avec Runemagick depuis les années 90 ou peut-être le début des années 2000, sauf sur certains enregistrements de démonstration. Depuis 2000, nous avons un batteur permanent. C’est Daniel Moilanen, comme évoqué précédemment par Emma, qui joue également avec Katatonia. J’ai seulement joué de la batterie live avec Runemagick pendant les années 91-93. Mais bien sûr, oui, je suis un multi-instrumentiste, un autodidacte. Dans un de mes autres projets nommé Unformulas, j’ai enregistré moi-même tous les instruments pour le premier album Post Mortem Visionary sorti en 2022 et le prochain EP aussi, en plus de quelques invités présents sur quelques solos de guitare.

Je sais que Runemagick n’a pas l’habitude de jouer live et de donner des concerts, mais avant votre séparation en 2007, je pense que cela a un peu changé après que le groupe se soit produit pour la première fois depuis 2005 au Kill-Town Deathfest à Copenhague (Danemark). Pourquoi ce choix de ne jouer que de la musique en studio et pourquoi cette opportunité tardive à ce festival ?
Emma : Nous devons blâmer Daniel au Kill-Town Deathfest pour la principale raison pour laquelle nous nous sommes réveillés à nouveau. Blâmer dans le bon sens bien sûr ! (rires) Il nous a demandés pendant plusieurs années de nous réunir sur scène et finalement les étoiles se sont alignées en 2005. Après on s’est arrêté mais on est revenu avec la démo Curse of the Dark Rune en 2015, puis l’album Evoked from Abysmal Sleep en 2018. En fait, sauf exception à ce festival danois, nous avons arrêté de jouer en live après la sortie d’On Funeral Wings et avant la sortie de l’album Envenom. Principalement par manque de temps, d’autres groupes et projets et d’une vie bien remplie à la maison.
Nicklas : Notre dernière performance live était en Allemagne en 2019, si je me souviens bien. Ensuite, nous avons travaillé avec d’autres projets tels que The Funeral Orchestra. Daniel était aussi très occupé avec Katatonia. Puis vint la fameuse pandémie. Mais pour le moment, ce sont mes problèmes d’audition qui sont la principale raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas jouer en live. L’avenir semble sombre, mais j’espère un miracle, un remède ou une aide pour le régler. Je vais tester des protections auditives spécialement adaptées que j’ai essayées, mais il n’est pas certain que ce soit suffisant pour pouvoir répéter ou jouer avec de la vraie batterie en live. C’est généralement la batterie qui me rend sensible à ces problèmes d’audition. En partie parce qu’elle sonne fort, mais aussi parce que ces problèmes affectent le fait que nous devons avoir un volume plus élevé sur les amplis et les haut-parleurs d’écoute.

Alors peut-on espérer vous voir bientôt en concert en Europe et en France lors de certains festivals d’été ou lors d’une tournée en tant que première partie ou tête d’affiche peut-être cette année avant l’Apocalypse sur Terre ? (sourires)
Emma : Malheureusement, nous faisons une pause pour les concerts en ce moment. Principalement parce que Nicklas souffre de graves problèmes d’audition et d’acouphènes. Il essaye de nouvelles protections auditives coûteuses mais on ne sait pas s’il sera possible de rejouer en live à fort volume sur scène ou en salle de répétition, mais on l’espère bien sûr ! Donc en somme, nous ne nous produirons pas en concert cette année.

Nicklas, j’en profite pour te demander ce qu’il en est au sujet de tes autres anciens groupes car autrefois, tu porté le pseudonyme de « Nicky Terror » quand tu jouais de la batterie avec Swordmaster, Sacramentum et Deathwitch. Dernièrement, Sacramentum s’est reformé avec un nouveau line-up, sans toi à la batterie, mais avec Jonas Blom, votre guitariste par contre : pourquoi n’as-tu pas participé à cette reformation culte de ce groupe culte suédois de black/death metal ?
Nicklas : « Nicky Terror » était un nom idiot que certains des autres membres de Swordmaster m’avaient inventé. (rires) Je ne me souviens même pas de l’avoir approuvé avant qu’il ne figure dans les informations sur le line-up ou un album, ha ha ! (rires) Mais j’ai eu aussi le surnom « Terror » dans quelques projets, ça vient en fait de l’école quand j’avais environ treize/quatorze ans quand moi et un ami avons commencé à collectionner des films d’horreur et à écouter beaucoup de metal bien sûr… Concernant Sacramentum, j’étais en fait dans le groupe pendant environ un an lors de la dernière réunion. Nous avons fait un concert live privé en mars 2020 où j’ai joué de la batterie. Nous avions plusieurs festivals réservés, mais la pandémie s’est intensifiée et tout a été suspendu. J’ai participé et répété activement pendant un certain temps, mais malheureusement, j’ai des problèmes d’audition et d’acouphènes qui se sont aggravés lorsque je jouais de la batterie. C’est pourquoi j’ai quitté Sacramentum et laissé la place de la batterie à Tobias Kellgren (ex-Dissection, Decameron).

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Continuons à parler encore un peu du passé, si tu veux bien… Es-tu toujours en contact avec les gars de Swordmaster (Thunderbolt, Whiplasher et Nightmare (maintenant tous les deux dans Death Stars)) ? J’étais fan et vous avais vu en concert en France sur The World Domination Tour avec Dark Tranquility et Enslaved à Paris en décembre 1997 !!! Alors, peut-on espérer une reformation là aussi de Swordmaster avec toi à la batterie comme par le passé ? Ce sera génial de revenir à votre style thrash/black en 2023 !
Nicklas : C’était une tournée géniale, je me souviens, avec beaucoup de chaos et de fête ! Je m’en souviens comme si c’était hier ! J’ai des contacts sporadiques avec certains d’entre eux, de temps à autre, via Internet ou s’il m’arrive de tomber sur l’un des gars lors d’un concert. Si ma mémoire est bonne, il faisait une chaleur folle à ce club (NDLR : Club Dunois) à Paris. Hervé d’Osmose Productions était là et m’a offert beaucoup de bière et de vin que j’ai bu en jouant de la batterie. Je me souviens d’avoir été très malade avec une forte fièvre le lendemain… Il y a eu des discussions intermittentes au fil des ans sur le fait de rejouer avec Swordmaster, mais cela ne s’est jamais produit. Et malheureusement, je ne pense pas que cela arrivera non plus…

En conclusion, je voulais vous faire remarquer que Beyond The Cenotaph Of Mankind est le treizième album studio de Runemagick. Alors, êtes-vous plutôt superstitieux au sein du groupe et pessimiste pour cette nouvelle sortie, ou bien au contraire optimiste ? (rires)
Emma : Je n’y avais pas du tout pensé, pour être honnête. Nous verrons bien ce qui se passera alors, mais je suis optimiste à ce sujet. Merci pour l’entretien !
Nicklas : C’est le discours habituel de musicien qui te répond peut-être à présent, mais sincèrement je pense en fait que cet album est l’un de nos meilleurs. Cela sonne très Runemagick à mon sens, et j’en suis fier, et que s’il devait être le dernier album à sortir, ce serait une grande finale pour ainsi dire. Merci pour cette interview et ton intérêt pour Runemagick !

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