Attention, voici la nouvelle grosse sensation death metal américaine qui risque fort de faire un malheur ! En provenance tout droit de Portland (Oregon), Vitriol avait déjà frappé en 2019 avec To Bathe from the Throat of Cowardice, puis un EP 3 titres, mais là, son nouvel assaut, baptisé Suffer & Become, va tout bonnement ravager sur son passage, quitte à secouer au passage les leaders du genre en déclin outre-Atlantique (Morbid Angel, Nile…), en plus de nous secouer l’échine. Totalement voué à la cause death metal et doté d’une technicité à couper le souffle sans non plus tomber dans les travers de la démonstration à outrance au détriment de l’émotion, ce quatuor yankee affiche un potentiel énorme. Et Vitriol semble bien déterminer à l’exploiter pour s’imposer sur la scène internationale pourtant saturée avec son second assaut méchamment bon. Metal Obs a fait connaissance avec l’une de ses deux têtes pensantes, l’autre étant le bassiste/chanteur moustachu Adam Roethlisberger. [Entretien avec Kyle Rasmussen (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
D’où vient le nom de votre groupe Vitriol ? La première fois que j’ai entendu parler de vous, sans écouter votre musique, j’ai tout de suite pensé en premier lieu en référence à l’album Barathrum : V.I.T.R.I.O.L. sorti en 1993 (ça ne nous rajeunit pas ça !) du groupe de black metal américain Absu, groupe qui s’est malheureusement séparé en 2020… Ai-je raison ou tort, et Absu fait-il partie de vos influences musicales, peut-être parmi les membres de Vitriol donc ? (sourires)
C’est une belle prise ! (rires) Je suis absolument un grand fan d’Absu, oui, je me dois de te l’avouer. Le style d’écriture résolument idiosyncratique de Proscriptor Mc Gover (batteur, chanteur et principal compositeur d’Absu), ainsi que son approche dévotionnelle des philosophies qui animent ce groupe ont eu un grand impact sur moi et sur ma propre approche de la musique avec Vitriol. Quant au nom du groupe lui-même, il n’est en fait pas inspiré de cet album, mais je suis sûr que cet album a joué un rôle dans ma découverte de la signification alchimique de V.I.T.R.I.O.L. (Vista Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem) qui se traduit approximativement par « Visitez les parties intérieures de la Terre ; par la purification, tu trouveras la pierre cachée ». C’est finalement de cela qu’il s’agit chez Vitriol, un raffinement violent, on va dire. Purification par une exploration personnelle douloureuse et l’acceptation des conditions de votre réalité. Ce qui reste, c’est ce qui mérite de rester, et la destruction de ce qui brûle devrait être célébrée.
En 2021, vous avez sorti un EP 3 titres uniquement sur support cassette, il s’appelait Antichrist. Était-ce une sorte d’avant-goût, et aussi un test de ce format pendant la pandémie, avant de travailler sur des nouveautés et d’enregistrer ce deuxième LP qui sort à présent, Suffer And Become, en fin de compte ?
La sortie physique de l’EP Antichrist a eu lieu parce qu’un bon ami à moi qui dirige le label Total Dissonance Worship était fan de l’EP original. Il m’a approché sur la possibilité de lui donner une version physique appropriée et j’étais tout à fait d’accord. Cela n’aurait pas non plus pu arriver à un meilleur moment compte tenu du temps qu’il a fallait terminer le nouvel album Suffer & Become. Adam (basse/chant) et moi avons également enregistré du coup toutes les nouvelles voix pour la sortie physique de cet EP !
Je vais aller droit au but avec toi, tout comme votre musique j’ai envie de dire : votre nouvel album Suffer & Become m’a soufflé en ce début d’année, il est juste génial !! (sourires) Les chansons, le son, les parties d’instruments, le chant, tout est à son maximum ! C’est très violent et direct, in your face, mais aussi très technique. Comment avez-vous abordé le processus de composition et d’écriture de ce nouvel homicide sonore par rapport à votre premier album studio To Bathe from the Throat of Cowardice sorti déjà sur Century Media en 2019 car il y a une nette évolution ?
Merci beaucoup ! Ces commentaires comptent beaucoup, tu sais, dans les premières réactions que l’on avant la sortie. L’un de mes principaux objectifs avec Suffer & Become était de créer un album plus dynamique. Comme il traite beaucoup du concept de dualisme, je voulais que l’album ait une forte dualité dans la musique pour refléter cela. C’est à ce moment-là que j’ai introduit la pédale de pitch shifter dans le mix, me permettant d’alterner entre notre accordage habituel en drop B (Si) et drop G# (Sol dièse). Nous aimons toujours néanmoins notre premier disque, To Bathe…, parce qu’il s’agit d’une tuerie absolue, mais nous voulions que cette nouvelle version 2024 soit plus cinématographique, disons.
Voulais-tu essayer ici sur Suffer & Become de corriger quelques erreurs et d’améliorer des éléments du premier album pour aller plus loin ?
Oui, enfin seulement dans le sens où nous essayons toujours de nous améliorer en tant qu’auteurs-compositeurs et musiciens. Je suis très content de To Bathe…, et je ne pense toujours pas que j’y changerais quoi que ce soit. Suffer & Become visait à créer quelque chose de différent, pas nécessairement meilleur. Mais je suis devenu un meilleur auteur-compositeur et guitariste entre-temps aussi depuis le premier album, c’est sûr.
Sur le premier album, vous avez travaillé avec Talyor Young pour le mixage. Alors, avec l’expérience et l’évolution, comment s’est passé celui du nouveau disque avec Dave Otero (Archspire, Allegaeon, Cattle Decapitation, Cephalic Carnage…) en studio ? Que lui as-tu dit après l’enregistrement et le mastering ? Quelles étaient vos exigences et conditions ? Souhaitiez-vous sonner quelque part entre Morbid Angel, Aborted, Nile et Cattle Decapitation par exemple ? (sourires)
Je suis très content de la production des deux albums. Je suis content que Taylor ait géré To Bathe… car il était à l’aise avec une approche « esthétique » plus agressive du mix que beaucoup de gars de metal strictement moderne ne peuvent pas réaliser. Je savais que je voulais que le premier disque ait une tonne de pression, qu’il ressemble à une avalanche sonore. Je pense qu’il a réussi. En entrant dans la phase de composition puis d’arrangement sur Suffer & Become, je savais qu’il y aurait plus de couches et que cela nécessiterait un enregistrement d’une plus grande fidélité, encore un à un niveau supérieur dans sa minutie. Avec Otero, d’une manière ou d’une autre, je serais capable d’obtenir le meilleur des deux mondes et je ne laisserai pas mon ego interférer avec la représentation du groupe de la manière qui convient le mieux au groupe. Il n’est pas pris dans le lourd armement des tonalités « signature » du genre là-dedans. Il sait tout faire. Le fait qu’il puisse gérer des groupes comme Akhlys et Primitive Man tout en gérant également des groupes comme Cattle Decapitation et Archspire est assez ahurissant. Ce mélange de précision et d’atmosphère est exactement ce dont ce second album avait besoin.
Que veux-tu exprimer précisément à travers ce titre : « Suffer & Become » (= « Souffrir et devenir ») ? Quel est le message de Vitriol ici ? La pandémie de covid-19 qui vous a peut-être inspiré en 2020-2022 est-elle la destinée de l’être humain ? Et la propre bêtise de l’Homme qui n’arrange rien, provoquant sa propre décadence sur Terre au final aussi ? Il semble que tu ne places aucun espoir dans les hommes et les femmes d’aujourd’hui…
Suffer & Become est vraiment une histoire de dépassement de soi. Tout comme beaucoup d’entre nous qui ont découvert la musique metal extrême comme une forme de catharsis, j’ai lutté contre des sentiments de misanthropie et de dégoût de soi dès mon plus jeune âge. Beaucoup d’entre nous ressentent cette intense gravité face à la mort. L’espoir est, pour ceux qui voient le monde à travers cette lentille, que la sagesse leur révèle qu’ils désirent une mort spirituelle plutôt que physique. J’ai peu d’affection pour ce qu’est l’humanité en ce moment, mais j’ai une grande affection pour le potentiel de surmonter l’animal imparfait de l’humain et de devenir quelque chose de plus grand, de s’élever vers sa propre condition humaine dans le respect envers son entourage…
Pour votre premier album, vous avez publié plusieurs vidéos avec des passages d’instruments (par exemple « Crowned In Retaliation », « The Parting Of A Neck »). Et vous avez fait de même, toi et ton collègue Adam sur le nouveau clip (vidéo playthrough) de la chanson « Shame and its Afterbirth » qui ouvre Suffer & Become. Sur ces vidéos, vous jouez assis. Et en tant que guitariste débutant, je trouve de grandes différences cependant entre jouer de la guitare (ou de la basse) assis et debout. C’est peut-être une question stupide mais comment se sentir plus à l’aise ? Parce que quand tu veux pratiquer ton instrument, ton objectif après, c’est de jouer live debout sur scène en général, et notamment pour vous, non ?
Tu as raison. Ce sont des expériences tellement radicalement différentes ! En m’asseyant, je me sens définitivement plus proche de mon instrument (au propre comme au figuré) et je peux être plus précis dans l’interprétation. Après, tu as sûrement raison de dire que le but ultime est de se préparer pour un spectacle en direct, en général, mais la pratique consiste en fin de compte à programmer la mémoire musculaire. Plus tu seras précis et intentionnel dans ta pratique, à répéter sans cesse tes notes, meilleurs seront les résultats de ton jeu après. C’est un peu comme apprendre à ramper à quatre pattes avant de marcher. Cela étant dit, il serait beaucoup plus difficile pour moi de jouer tout en chantant simultanément si je suis assis. On est beaucoup plus puissant debout, et cette puissance fait beaucoup pour le placage des accords sur la guitare. Du coup, à mon stade, rester debout ne devrait pas être un problème car ta mémoire musculaire doit être suffisamment bien programmée. Même si la position assise a la réputation de « tricher » (dis ça aux rippers classiques et flamenco ! (rires)), c’est quand même beaucoup moins rock’n roll que debout, tu l’admettras. Mais je pense que les deux positions ont leur place à différents stades de jeu.
Vitriol pratique un death metal très moderne et très technique, sans pour autant oublier ses racines extrêmes du passé. En plus, toi et Adam et Kyle jouez de vos instruments tout en chantant tous les deux à tour de rôle ce qui procure beaucoup de dynamise. C’est une particularité et un atout chez Vitriol. Ce n’est pas trop difficile parfois de jouer de son instrument en live sur scène cependant et de chanter simultanément pendant le spectacle tellement ta musique est technique et complexe ? Cela demande beaucoup de concentration, non ?
C’est incroyablement difficile ! En effet. Il faut souvent se rappeler pourquoi nous avons choisi de le faire ! Ha ha ! (rires) C’est extrêmement punitif. Cela demande énormément de concentration et dextérité, ce qui a pour prix de ne pas toujours pouvoir se « perdre » dans la musique. Mais cette approche trop exigeante, consistant à faire tourner plusieurs parties en même temps, est malheureusement devenue partie intégrante du son Vitriol. Donc on fait ainsi, mais ça demande beaucoup d’exigence. (sourires)
Côté guitares et matériel, quel est ton équipement sur ce nouvel album : micros, modèles de guitare(s), amplificateur, pédales d’effets spéciaux (ou plugins numériques) et quel est ton accordage de guitare en général sur tout l’album ? Tu parlais de la tonalité en Si (B) tout à l’heure. On veut tout savoir sur vos secrets y compris dans le matériel, s’il-te-plaît !
(sourires) Alors sur cet album, j’ai utilisé ma guitare Daemoness Flying V personnalisée (nous l’appelons la Hadial Confessor) chargée d’un micro EMG 81X dans le chevalet, et d’un micro manche EMG 60X. Pour l’amplification, j’ai utilisé mon ampli Fortin modded 1985 Marshall JCM800 100w. Malheureusement, j’espace let change moins de cabinets dès que nous avons finis par les utiliser une fois l’enregistrement achevé. La magie s’est réellement produite dans au niveau des pédales. Comme je l’ai mentionné dans une réponse précédente, la pédale de pitch shifting a joué un rôle important dans le processus créatif de l’album. Cela nous permet d’alterner entre l’accordage drop B et drop G#. Une autre grande contribution a été la pédale de distorsion Katastrophe de Jupiter Effects. Quand on entend les guitares exploser dans une folie percussive, c’est véritablement la « Katastrophe » ! (rires) Nous appelons cela le Mega Tone. Pour un boost, j’utilise toujours mon Burning Spirit de Lone Wolf Audio. Et comme toujours, ma pédale wah wah est une Bad Horsie 2 de Morley. Voilà, tu sais tout. (sourires)
Vous avez tourné une vidéo pour le premier single de l’album, intitulée « The Flowers Of Sadism ». Et cette fois, ce n’est pas un playthrough où l’on vous voit jouer assis… (rires) Quelques mots sur cette chanson à présent ? De quoi cela parle-t’elle ?
« The Flowers of Sadism » est l’un des morceaux les plus vulnérables de l’album. Cette chanson, ainsi que « Weaponized Loss », nous voient plus lents et plus sombres que jamais. La musique reflète l’esprit de ces chansons, car elles décrivent des étapes de ma vie particulièrement peu flatteuses… Dans le cas de « Flowers (…) », il s’agit d’une chanson sur la façon dont la poursuite de la survie peut conduire au développement de pulsions sadiques. Pour le format artistique, Vitriol n’arrêtera jamais de filmer des playthroughs, tu sais, mais j’aimerais continuer à me lancer dans des vidéoclips plus cinématographiques, disons. Tout est question de moyen. À mesure que notre budget augmente, la valeur de production de nos vidéos augmentera également.
Il y a quelques mois, nous avons également interviewé une autre formation originaire de Portland (Oregon) : Dying Wish. Ils évoluent dans un autre genre, metalcore/hardcore on va dire. Les connaissez-vous personnellement et musicalement, et êtes-vous en contact avec d’autres groupes de metal ou de hardcore parmi la scène de Portland et des environs ?
Je ne connais personnellement aucun des membres de Dying Wish, mais je connais très bien le groupe musicalement on va dire. Ce sont des gens très travailleurs ! Il y a quand même une poignée de groupes de death metal locaux qui tuent littéralement par ici : par exemple Torture Rack, Aseitas, Aenigmatum, Drouth. Ce sont tous des gars que je connais personnellement. Certains d’entre eux, du moins ! (rires)
Écoutes-tu parfois d’autres genres de musique, en dehors du style metal et en dehors de votre propre musique de Vitriol ? Karl Sanders (Nile) m’avait confié une fois qu’il n’écoutait quasiment pas de death metal à côté, passant déjà tout son temps là-dedans avec son groupe, et s’évade avec son projet solo. Connais-tu et apprécies-tu des groupes de metal (ou non) français peut-être ?
Oh oui ! Mon écoute est très variée, mais le metal retient la majorité de mon attention. En fait, je me suis retrouvé à écouter pas mal de rap américain et britannique au cours de l’année dernière. Lil Durk, Ola Runt, Fredo, King Von, etc. J’ai aussi plongé assez profondément dans le folk américain moderne comme Tyler Childers, Willi Carlisle, Vincent Neil Emerson, etc. Il est difficile d’identifier un genre que je n’aime pas dans son ensemble, autre que le reggae. Ça, par contre, je déteste le reggae ! (rires) Sinon, pour ton autre question, je connais et aime beaucoup de nombreux groupes français ! Le plus évident étant Deathspell Omega. Esoctrilihum est l’un de mes groupes/artistes de black metal moderne préférés. Je suis aussi un grand fan de Svart Crown et aussi des deux premiers albums de Glorior Belli. Je pourrai citer également Blut Aus Nord qui est un autre joyau français évident. Vous avez une tonne de groupes incroyables maintenant en France !
Avant de se quitter, peux-tu nous dire quels sont vos projets pour cette nouvelle année 2024 qui débute ? De nouveaux clips vidéo ? Déjà des festivals d’été réservés en Amérique ou en Europe pour 2024 ? Venez en France, s’il vous plaît !!! (Festivals Hellfest, Motocultor, Muscadeath, Tyrant Fest, Sylak, etc.)
Voyage, tournées, concerts ! Voilà les plans. Et on va certainement sortir bientôt encore une ou deux autres vidéos pour soutenir l’album. Nous avons réservé deux tournées aux États-Unis et nous espérons venir en Europe avant 2025, mais nous verrons. Le nouvel album ayant pris plus de temps que prévu, nous avons raté le coche pour les festivals européens d’été cette année malheureusement. Nous croisons les doigts pour y arriver en 2025 !
Merci beaucoup pour toutes tes réponses et la passion que vous mettez dans votre musique avec Vitriol. Bonne chance avec ce très bon deuxième album. Il est vraiment réussi. Prenez soin de vous à Portland.
Merci à toi. Merci beaucoup pour ton temps et tes encouragements ! J’espère que l’on se rencontrera un jour en France !
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