STRIGOI : Une vie en noir & blanc

C’est sous le signe d’une pluie battante et sanguinaire que les vampires des Carpates anglo-saxonnes sortent de leurs tombes ! Seulement un an après leur second album Viscera, c’est de façon tout à fait inattendue et discrète que Strigoi élève de nouveau sa voix ténébreuse sur la scène du metal extrême. Bathed In A Black Sun est un EP plein de violence et de haine qui enchantera votre hiver. Sans réelle surprise, il s’inscrit dans la lignée de ce qu’a proposé jusqu’à maintenant Greg Mackintosh (ex-Vallenfyre, Paradise Lost, Host) et sa bande de créatures mortes-vivantes. Le death metal anglais aux ambiances doom, dark et crustcore résonne donc une nouvelle fois, telle la célèbre « chevauchée des Valkyries » dans Apocalypse Now. De Wagner à Strigoi, il n’y a qu’un pas à franchir ! [Entretien avec Chris Casket (guitare) par Louise Guillon – Photos : DR]

Cet EP fait directement suite à votre second album Viscera, sorti l’année dernière. Qu’est-ce qui vous a motivé à sortir ces quelques chansons inédites, et qu’est-ce qui unit ces deux sorties à un an d’intervalle ?
En fin de compte, nous avons pensé que ce serait génial de sortir ces morceaux tous ensemble en complément de Viscera, afin que l’intégralité de la session d’enregistrement soit accessible à tous. Nous aurions pu simplement sortir un autre single vidéo et en rester là au cycle de l’album, mais c’est cool de sortir quelque chose de tangible sous la forme d’un digipack, avec des illustrations étendues et quelques raretés. Personnellement, je suis toujours un grand acheteur de musique, un peu collectionneur aussi, donc une sortie physique sera toujours une proposition plus excitante pour moi, alors j’espère que ce sera le cas pour les autres aussi.

Encore une fois, une œuvre musicale au titre évocateur comme Bathed in a Black Sun (guerre, humanité aveuglée). Pourrais-tu nous en dire un peu plus ?
Si votre objectif artistique est réellement l’obscurité et l’horreur réelle, quelle meilleure inspiration que la race humaine ? Aucune autre espèce ne présente de tels extrêmes dans sa capacité de brutalité, d’avidité et de toxicité parasitaire, et une fois que vous ajoutez un fantasme religieux à ce mélange, eh bien… les atrocités qui en résultent sont quotidiennes et continuent de nos jours.

Qu’est-ce qui vous inspire le plus : les heures les plus sombres de l’humanité ou votre propre obscurité ?
Les deux jouent un rôle, mais ne sont pas exclusifs. À condition que l’inspiration vienne d’un lieu d’honnêteté, elle fait la différence. La perte, le chagrin, la douleur, la peine sont tous des niveleurs universels, et il est toujours plus facile d’écrire à partir d’une expérience que d’une perception. D’un point de vue lyrique, l’ambiguïté est également essentielle afin de maintenir une distance par rapport à l’inspiration initiale, après tout, il s’agit de musique, pas d’un sermon ou d’une séance de thérapie du deuil. Tant qu’il y a quelque chose avec lequel l’auditeur peut s’engager, c’est une séance ouverte sur ce qui peut nous inspirer.

Dans la continuité de la question précédente, Bathed In A Black Sun est un pur concentré de violence. Qu’est-ce qui vous pousse à créer une œuvre pleine d’obscurité toujours plus lourde et plus dense, tant musicalement que lyriquement ? Est-ce purement cathartique ?
La catharsis peut se manifester de différentes manières, depuis le fait de vous offrir une plate-forme pour transmettre votre philosophie sur un sujet particulier, jusqu’à la possibilité d’utiliser quelque chose d’immensément sombre et personnel comme source d’inspiration pour quelque chose qui donne désormais de la joie aux autres. J’ai certainement trouvé personnellement du réconfort dans cette pratique, tout comme Greg, je sais, mais c’est aussi une forme d’art de la performance. Être capable de jouer en live au volume fort est en soi une expérience très cathartique. J’ai certainement du mal parfois à ne pas sourire jusqu’aux oreilles en interprétant ces chansons en live… Après tout, c’est tout simplement le meilleur sentiment de le faire.

Sans parler des étiquettes musicales, avez-vous réussi à trouver un certain équilibre de violence entre death, black, doom et black metal ? Emprunter les aspects musicaux les plus violents de ces sous-genres metal vous permet-il de créer votre propre débouché, votre propre exutoire ?
Je le pense, même si les étiquettes sont largement hors de propos lorsqu’on est au stade de la création. Il n’y a jamais de conversation du genre : « Nous avons besoin d’une autre chanson dans ce style, ou quoi que ce soit d’autre »,. En fait, c’est juste une progression naturelle. Certaines paroles se prêtent à un tempo rapide, d’autres à un tempo lent, ce n’est donc jamais un processus de pensée artificiel, mais plutôt naturel. Bien sûr, une fois l’album terminé, des termes de catégorie aussi pratiques sont appliqués pour aider les non-initiés à comprendre ce qu’ils entendront s’ils obtiennent un album de Strigoi, mais je maintiens toujours que ma description désinvolte de « A mixtape of misery » est l’étiquette la plus appropriée que l’on puisse utiliser pour décrire ce que nous faisons. Je sais que tu as dit « sans parler des étiquettes musicales », mais j’aurai tendance à dire que je pense que les labels peuvent limiter la créativité, comme la peur de ne pas être fidèle ou acceptée par un certain « club » si vous ne composez pas d’une manière particulière… Tous les groupes les plus intéressants (pour moi en tout cas) font ce qui leur convient, par opposition à ce qui s’intègre parfaitement dans les limites imposées par un genre spécifique. Il est peut-être plus facile de jouer la sécurité, mais je ne suis pas sûr que ce soit aussi gratifiant.

Une question de ressenti. Vous vous produirez en Angleterre début novembre et nous savons que vous avez envie de partager votre musique. Comment te sens-tu à propos de ça?
Nous ne pouvons pas attendre ! Jusqu’à présent, nous n’avons joué qu’une seule fois au Royaume-Uni, ce sera donc génial de jouer devant notre « public local » pour ainsi dire. Évidemment, la pandémie qui s’est produite immédiatement après la sortie de notre premier album Abandon All Faith nous a vraiment mis un frein à la réalisation complète de Strigoi en tant que groupe live à part entière, donc d’avoir maintenant un groupe live solide ensemble, après avoir joué dans certains des festivals les plus prestigieux, c’est très excitant. En Europe, c’est formidable de pouvoir jouer ces chansons en live devant le plus grand nombre de personnes possible.

Dans une précédente interview, vous disiez que Disintegration de The Cure vous avait inspiré à vous mettre à la guitare. Pourrait-on comparer votre approche musicale à la chanson « Lullaby » (ses paroles, son clip vidéo, les murmures de Robet Smith) ? Etant moi-même une fervente auditrice du groupe, cette chanson a marqué mon enfance avec ce « beau » cauchemar au sens esthétique du terme…
En effet, c’est le cas, même si ce sont des morceaux plus profonds comme le titre principal, « Prayers For Rain » et certainement « Fascination Street », qui ont vraiment déclenché mon intérêt pour le côté émotionnel de la musique. L’utilisation du feedback comme instrument, d’autres paroles mondaines/ambiguës pour transmettre des pressentiments, et évidemment « Plainsong » comme exemple de la puissance et de l’ampleur que l’on peut atteindre sans jouer à une vitesse vertigineuse… cela reste un album très inspirant pour moi. « Lullaby » en tant que single populaire reste très amusant pour moi. Un enfant insomniaque, seul et terrifié à l’idée de dormir de peur d’être mangé vivant par une araignée géante, et les connotations encore plus sinistres qui pourraient y être… et ça cartonne ? Inestimable, et Tim Pope a encore une fois changé la donne avec la vidéo remarquable qui accompagnait cette chanson.

Le clip vidéo de « Bathed In A Black Sun » est très graphique. Le choix du noir et blanc est-il purement esthétique ou sert-il à vous éloigner de la triste réalité que vous décrivez ?
L’esthétique a pour but de permettre à l’esprit de combler les lacunes narratives. Nous vivons dans un monde de sur-stimulation, de dynamisme et de détails, avec beaucoup d’informations qui arrivent, alors quelle meilleure façon de contrer cette façade. Évidemment, nous voyons tout le monde en couleur naturellement, donc immédiatement en utilisant un noir et blanc à contraste élevé, cela éloigne le spectateur de la normalité, et j’espère qu’à partir de là, nous pourrons ensuite créer le message visuel que nous pensons le plus approprié pour la musique. En plus, ça a l’air cool, soyons honnêtes.

Vous dépeignez l’horreur humaine dans ses aspects les plus sombres dans vos paroles, votre musique et vos clips vidéo. Avez-vous été inspiré par l’esthétique du cinéma d’horreur dans la réalisation de vos clips ? J’ai personnellement pensé à l’esthétique du cinéma expressionniste allemand (Nosferatu, Faust, Le Cabinet du docteur Caligari).
Nous sommes définitivement fans du canon que vous avez mentionné. The Golem, Destiny, The Seventh Seal (Le Septième Seau en français), également, puis des œuvres ultérieures telles que « Eraserhead », « Begotten », toutes d’une beauté envoûtante et dérangeante à leur manière. Même si leur esthétique collective séduit et semble pertinente par rapport à ce que nous essayons de réaliser, le noir et blanc n’est pas toujours un facteur décisif. Je conseille fortement à toute personne intéressée un tant soit peu par le cinéma macabre de regarder également Nosferatu Le Vampire de Werner Herzog, avec Klaus Kinski dans le rôle du comte Dracula. Sublime.

Pour conclure cette interview, que pouvons-nous vous souhaiter dès maintenant pour l’avenir du groupe ?
Mon ambition pour Strigoi a toujours été qu’il se réalise pleinement en tant que projet artistique. Tout a commencé avec deux amis qui voulaient faire de la musique ensemble, et maintenant nous sommes ici avec deux albums, un EP, plusieurs concerts à travers l’Europe et un groupe formidable de personnes impliquées. Continuer à travailler vers cette réalisation est certainement mon objectif. Donc, je vous demanderais de nous souhaiter une joie et un succès continus dans la quête d’une misère et d’un désespoir amplifié… Aussi un oxymore soit-il ! (rires)

Question bonus, pouvons-nous nous attendre à un nouvel album prochainement ?
À l’heure actuelle, nous nous concentrons sur le soutien du nouvel EP et sur la réussite du cycle de l’album Viscera. Tout le monde est content de la façon dont les choses progressent maintenant, et je reste certainement dans un état constant d’écriture, nous verrons donc où l’inspiration mènera Strigoi ensuite.

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