SVALBARD : Happiness Therapy

Souvent rattaché à la nouvelle scène hardcore anglaise, Svalbard ne se réclame pourtant nullement de cette mouvance musicale quand on interroge sa frontwoman, la très sympathique et déterminée Serena. Paradoxalement, leur musique emprunte à ce style mais pas que, puisque l’on retrouve chez cet énergique quatuor de Bristol diverses influences telles que du punk, du black metal, du shoegaze, et du death metal mélodique. Difficile donc de les mettre dans une case, pour nous journalistes et passionnés que nous sommes. Mais ce qui nous a séduit sur leur nouvel et quatrième opus, The Weight Of The Mask (Nuclear Blast), c’est aussi et surtout les textes très personnels et sincères qu’exprime sa chanteuse sur des sujets tabous. [Entretien avec Serena Cherry (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]

D’où vient exactement le nom du groupe Svalbard ? Est-ce un vieux mot anglais ? Quel en est le sens ?
Le nom « Svalbard » s’inspire d’un cadre géographique dans la trilogie des livres de Philip Pullman intitulé His Dark Materials. Svalbard est un décor naturel dans ces livres, et nous les lisions tous au moment où nous avons formé le groupe. Mais le Svalbard est en fait un archipel proche de la Norvège dans la vraie vie, bien sûr. On a l’impression que ses magnifiques paysages glacés collent assez bien à notre son.

Alors Serena, tu habites à Londres, mais le groupe a été fondé et est basé à Bristol depuis 2011, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Au début, tu évoluais seule dans une veine post rock/rock progressif avec une voix claire si j’ai bien compris quand tu m’as expliqué ça lors d’une précédente conversation sur Zoom. Qu’est-ce qui t’a motivé à rejoindre ce groupe de hardcore/metal Svalbard parce que c’était une musique très différente pour toi à jouer ?
J’habitais à Bristol, et j’ai déménagé à Londres il y a deux ans. Tu sais, j’ai joué dans beaucoup de groupes de metal locaux qui n’y sont pas allés très loin de toute façon ! (rires) Mon premier projet musical étant un projet de black metal solo fait dans ma chambre. (sourires) J’ai également fait de la musique expérimentale de type paysage sonore post-rock avec ma pédale Loop Station sous un autre nom. Et puis j’ai fait aussi des choses dans un groupe de metal prog’, oui c’était progressif mais quand même heavy (sourires). On avait des riffs dégueulasses ! (rires) J’ai formé Svalbard avec Liam parce que nous voulions tous les deux créer quelque chose de lourd et d’atmosphérique, et j’aimais ses idées de riffs de base.

Quand tu as rejoint Svalbard, tu jouais de la guitare et chantais déjà avec tes growls et chants clairs, ou c’est venu plus tard parce que c’est difficile de hurler comme ça tout de suite sans se casser la voix, non ? As-tu travaillé ta voix pour ça et appris à chanter dans ce style à la fois hardcore et black metal ?
En fait, je pratique le chant metal depuis l’âge de seize ans. J’ai appris à le faire pour la première fois lorsque j’ai fait des enregistrements de black metal dans ma chambre. J’étais donc assez expérimenté en chant metal au moment où j’ai formé Svalbard. Bien que lorsque nous avons formé Svalbard pour la première fois, je jouais simplement de la guitare solo uniquement. Au départ, nous avions un chanteur appelé Mikey, mais il a démissionné assez tôt, alors Liam et moi avons décidé de nous lancer tous les deux dans le chant. C’était logique puisque j’étais déjà en train d’écrire toutes les paroles.

Comment se portent les scènes hardcore et metal à Bristol et plus généralement dans le sud de l’Angleterre car il semble y avoir là une nouvelle génération qui grandit aujourd’hui ? (Overpower originaire de Bristol, Grove Street de Southampton, etc.)
Je ne peux pas commenter la scène hardcore car ce n’est pas quelque chose dont je fais partie. Mais la scène metal au Royaume-Uni, oui, elle est florissante en ce moment, en effet. On a tellement de groupes passionnants et c’est fantastique de les voir grandir.

On a l’habitude de définir musicalement Svalbard comme un groupe hardcore ou post hardcore. Es-tu d’accord avec cette appellation ? Car je trouve qu’il y a différentes influences dans votre musique, comme le punk/hardcore bien sûr, mais aussi le death metal mélodique, le black, et le post rock aussi, dans vos parties de guitare et les chants. Te sens-tu à l’aise avec ces étiquettes ?
Je pense que la musique du Svalbard sera toujours difficile à définir avec un seul genre, car nous sommes influencés par de nombreux types de musique différents. Personnellement, je n’écoute pas de hardcore donc c’est étrange d’être décrit comme un groupe de hardcore. Mais je peux voir d’où les gens pourraient tirer cette idée, car nous avons du D-beat et la voix de Liam est assez hardcore. Nous ne nous classons pas vraiment dans un seul genre, mais certains termes que j’utiliserais sont : post-metal et black metal / black gaze. Personnellement, je m’inspire du black metal mélodique, du death metal mélodique et des bandes originales de jeux vidéo.

La sortie de votre précédent, When I Die, Will I Get Better, a été un peu compliquée… Vous avez changé de label au dernier moment et manque de bol, l’épidémie de covid-19 est survenue… Pourquoi ce changement de label en 2020 ?
Le fondateur de Holy Roar Records a été en fait accusé d’abus sexuels sur des femmes. Nous avons alors décidé de sortir l’album avec Church Road Records.

Pour décrire à présent ce nouvel et quatrième album studio baptisé The Weight Of The Mask, vous avez déclaré que c’était comme une lumière au bout du tunnel, ou quelque chose comme ça… Pourquoi ? Est-ce dû aux meilleures conditions de travail, d’enregistrement et à la promotion du label Nuclear Blast maintenant ? Je suppose que pour Svalbard, c’est plus serein pour continuer votre carrière avec ce nouveau contrat d’enregistrement en poche ?
Ah, je pense qu’en fait tu as compris le contraire. Au niveau des paroles, j’exprimais l’idée inverse en disant que cet album est comme le tunnel au bout de la lumière. Cette citation visait à décrire à quel point il s’agit d’un album très sombre et déprimant, avec un sentiment de désespoir. Il n’y a rien de serein ou de relaxant dans le fait d’être dans un groupe, tu sais, ha ha ! (rires)

Sur l’album When I Die Will I Get Better, vous aviez déjà des paroles fortes et des paroles engagées, comme sur les chansons « Click Bait » (sur la pratique du trolling sur internet), « What Was She Wearing » (sur le viol féminin), « Listen to Someone » (à propos de ta mélancolie et dépression). Sur le nouvel album The Weight Of The Mask, retrouve-t’on des chansons aussi engagées comme celles-là ? Quels sont les principaux thèmes actuels évoqués dessus ?
Le principal thème des paroles qui traverse The Weight of The Mask en général est la dépression et la façon dont elle affecte votre relation avec vous-même, votre relation avec les autres et avec la société qui vous entoure. Les chansons parlent de la façon dont la maladie mentale peut devenir isolante par rapport aux autres.

De quoi parlent ces chansons : « November », et « How To Swim Down » précisément, s’il-te-plaît ?
« November » est une chanson anti-Noël. (sourires) Il est conçu pour être à l’opposé de toutes les conneries chaleureuses et floues de Noël que vous recevez à cette période de l’année. Parce que si vous n’avez pas de foyer ou de relation heureuse, Noël peut vous faire sentir très seul. J’ai donc voulu écrire une chanson sur ça, sur le fait que cela peut être une période très difficile à traverser pour certains. Quant à « How To Swim Down », j’y parle d’amour non partagé, mais c’est écrit dans la perspective de jouer un rôle, envoyer un sort, comme en tant que guérisseur dans World of Warcraft. (sourires)

De nos jours, je trouve qu’il est plus facile de parler, de s’exprimer par la musique sur certains sujets tabous (comme le féminicide, les viols, le racisme, l’exclusion, les sentiments dépressifs…) avec les chansons comme les vôtres, que de simples mots de tous les jours, n’est-ce pas ? Même avec internet et les réseaux sociaux, ça ne fait pas tout… Ça pourrait être pire parfois ! Qu’en penses-tu ?
Je pense que plus nous pouvons parler de sujets « tabous », mieux c’est pour tout le monde, car parler fait partie déjà du processus de guérison. Écrire des chansons, quel que soit le style musical, aide également car cela transforme une expérience douloureuse en quelque chose qui peut aider les autres à vivre des expériences similaires.

Est-ce toi, Serena, qui chante sur toutes les chansons : growls, screams et chants clairs par moment comme sur « Defiance », « November », « How To Swim Down » parce que j’ai vraiment été impressionné ?! (sourires)
Oui, je fais la plupart du chant. J’ai une voix grave et criarde qui sonne un peu plus « metal » et je fais aussi du chant clair sur certains passages. Donc oui c’est bien moi. Mais Liam assure cependant les cris les plus hardcore.

Quelles sont tes principales influences vocales et musicales, Serena ?
Mes principales influences musicales lors de l’écriture des soli et mélodies de guitare sont Brymir, Shymagoghnar, Keep of Kalessin, Kalmah, Mono, Enslaved et les bandes originales de jeux vidéo comme Kingdom Hearts, Final Fantasy et Skyrim. Pour mes influences vocales, je dirai Angela Gossow (ex-Arch Enemy) et Alyssa White-Gluz (Arch Enemy, ex-The Agonist).

Au fait, pourquoi ce choix de titre pour ce quatrième album : The Weight Of The Mask ? S’agit-il du masque sanitaire que nous avons tous porté pendant deux ans, et jusqu’à présent, à cause de la pandémie du virus covid-19 ?? Quel est ce poids du masque ?
Le titre de l’album n’a aucun lien avec le covid-19. Le poids du masque est un titre symbolique pour décrire le port d’un masque joyeux lorsque vous souffrez de dépression et combien il est lourd de soulever ce faux sourire tous les jours. « Le poids » représente la pression dans la société pour agir de manière heureuse, et le masque a pour but de cacher ce que vous ressentez vraiment à l’intérieur.

En tant que femme dans un groupe de hardcore ou de metal, et depuis la fondation de Svalbard, est-il facile d’être justement une femme dans ce business de la musique aujourd’hui parce que ça reste sexiste et misogyne, tu ne trouves pas ? As-tu remarqué une évolution au cours de ces dix dernières années ?
Ce n’est pas facile d’être une femme dans l’industrie musicale, mais je pense que les choses changent lentement. J’adore jouer dans des festivals et voir combien de femmes géniales jouent dans le même festival. Il y a dix ans, c’était tellement courant que je sois la seule femme sur une tournée entière, donc c’est fantastique de voir maintenant beaucoup plus de femmes jouer dans de bons groupes.

Certaines femmes et associations féministes féminines sollicitent certains gros festivals de rock, metal et hardcore français (Hellfest, Motocultor…) pour booker et programmer davantage de groupes féminins mais le problème c’est qu’il n’y a pas assez d’offres sur les scènes rock, hardcore et metal. Et l’autre raison, et je vais me faire l’avocat du diable car je ne suis qu’un homme, mais objectivement, ce n’est pas qu’il y a des groupes 100% féminin ou avec quelques filles dedans que ces groupes sont plus intéressants musicalement, si on se contente d’écouter la musique sans considération de genre (sexe). Comprends-tu ce que je veux dire en anglais, et quelle est ton opinion sur cette problématique ? Je suppose qu’il y a le même problème au Royaume-Uni…
Je ne veux jamais que Svalbard soit réservé pour jouer dans un festival juste pour remplir un quota requis de femmes sur une affiche de concerts. Je veux juste jouer si ma musique convient au festival, c’est tout ce qui compte. Je pense qu’il y a plein de groupes de metal et hardcore incroyables avec des femmes que les festivals peuvent réserver, si la musique convient à leur public.

Serena, avant de conclure : tu m’as déjà dit lors d’une précédente conversation sur Zoom avoir déjà joué l’été dernier 2022 au Motocultor Festival en France mais nous vous avions manqué de peu à notre arrivée au festival breton le vendredi. Mais te souviens-tu de ce show français et de ce festival ? Quel souvenir en gardes-tu si bien sûr tu n’étais pas ivre après  cela et as une bonne mémoire ? (rires)
Je ne bois pas d’alcool, donc je me souviens bien de tous nos spectacles ! (rires) Nous avons passé un très bon moment au Motocultor l’an dernier, avec une ambiance tellement fantastique lors de ce festival. Nous serions ravis d’y revenir d’ailleurs. D’ailleurs la chanteuse finlandaise Tara Turunen a joué le même jour que nous et j’ai pu la rencontrer en coulisses, ce fut un moment génial pour moi. (sourires)

Enfin quels sont les projets pour Svalbard à présent ? Ce n’est pas trop compliqué de partir en tournée en Europe à cause du Brexit et des formalités administratives… ? Napalm Death ou Memoriam m’ont encore dit que c’était compliqué et vraiment ennuyeux…
Nous jouerons des concerts aux Pays-Bas, en Allemagne et en France en octobre 2023. Nous jouons au Backstage By The Mill à Paris le 19 octobre 2023. Oui, à cause du Brexit, il y a plus de paperasse et de coûts financiers supplémentaires maintenant, mais nous avons hâte de revenir et de jouer nos nouvelles chansons en live chez vous !

Publicité

Publicité