Comme de nombreux artistes solitaires en France et à l’étranger, la période de confinement liée à la crise sanitaire que nous avons tous connue entre 2020 et 2022 fut propice à la création, surtout en matière de black metal souvent synonyme de misanthropie. C’est dans ce contexte anxiogène pour certains, salvateur pour d’autres, que le one man band RüYYn naquit dans l’Hexagone avec un premier EP plutôt bien accueilli et déjà prometteur en 2021 (lire notre chronique ici). Impatients d’écouter la suite, voici déjà le premier album, Chapter II: The Flames, the Fallen, the Fury, qui s’inscrit en fait comme son préquel très exactement. Son homme à tout faire et véritable maestro nous en dit plus avec passion. Passion partagée ! [Entretien réalisé avec Romain Paulet alias « RxN » (multi-instrumentiste/chant, paroles, composition, et production) par Seigneur Fred – Photos : DR)

Quel bilan dresses-tu de ton tout premier enregistrement éponyme de Rüyyn ? Pour rappel, c’était un EP de cinq titres qui est paru en 2021 chez Les Acteurs de L’Ombre Productions, mais à vrai dire, ce n’était pas ta toute première publication en tant que musicien/artiste car tu avais déjà publié d’autres choses sous d’autres noms (cf. Natremia) ? (sourires)
Le premier EP fut bien accueilli et je continue d’ailleurs de recevoir des félicitations à son sujet. Pour un premier jet avec Rüyyn, ce fut très encourageant et positif. En fait, cela m’a beaucoup motivé à développer le projet.
Ce second chapitre de Rüyyn qui voit le jour à présent est en fait le premier album et s’appelle Chapter II: The Flames, the Fallen, the Fury. Et si j’ai bien tout compris, il constitue le second chapitre sortant donc après le dit EP évoqué précédemment, mais dans l’histoire chronologique du personnage face au déclin du monde évoqué dans tes paroles, cet album Chapitre II s’inscrit en fait avant l’EP car il s’agit d’un préquel dans l’histoire que tu racontes et chantes dans Rüyyn. Est-ce bien cela ? Fais-tu un peu comme Georges Lucas avec Star Wars qui commença sa saga avec son épisode IV La Guerre Des Etoiles – Un Nouvel Espoir en 1977 qui finalement n’était pas le premier épisode pour des raisons pratiques et budgétaires, et il se rattrapera plus tard par les épisodes I, II, et III ? (sourires)
C’est bien cela. J’aime l’idée d’avoir une continuité, un monde, une histoire cohérente, que tout s’imbrique comme un livre avec des retours dans le passé, un développement de tel ou tels actes, etc.
Dans Rüyyn, tu es seul maître à bord et fais tout : chants, instruments, écriture, composition, arrangements. N’est-ce pas trop difficile de devoir tout assumer dans un tel projet ?
Si bien sûr ! Parfois j’ai juste envie de tout balancer car je n’arrive pas à avancer sur une compo ou alors je n’arrive pas à donner au mix la couleur recherchée. Je n’ai que mon propre recul et je suis seul face à mes doutes mais j’ai l’habitude et m’en sors mieux au final à ne rien attendre des autres, ne pas avoir à dealer avec des avis différents du mien.
Est-ce toi qui as produit ce nouvel album ? N’as-tu pas besoin parfois d’un regard extérieur pour avoir du recul et d’autres avis ?
Après, disons, il y a des bons et des mauvais côtés… Néanmoins je pense qu’à l’avenir je déléguerais la partie mixage/mastering, ne serait-ce que pour me décharger mentalement. J’ai travaillé dur sur la production de l’album, avec mes modestes moyens, mais je ne suis pas entièrement satisfait malgré les retours très positifs que j’ai déjà eus actuellement. La maladie du perfectionniste, quoi… (sourires)
La curiosité est un vilain défaut, dit-on. Et je suis curieux… Alors si l’on revient sur tes débuts d’artiste multi-instrumentiste, quelle est ta formation en tant que musicien et chanteur ? As-tu appris au départ plus jeune dans une école de musique, par des leçons privées, ou bien par toi-même, par des tutos sur internet ou des amis, ton entourage (famille de musiciens par exemple) ? Es-tu dans ce cas ce que l’on appelle un autodidacte ?
Je n’ai pas la moindre formation musicale. Dans le sens où je n’ai jamais pris de cours en école de musique ou même des leçons particulières. Si tu me demandes de lire une partition, j’en suis bien incapable et les cours de musique au collège me faisaient tellement chier que je n’écoutais et n’apprenais rien. En fait, j’ai commencé à pratiquer un instrument (la guitare) et le chant « metal » assez tard. J’avais dix-huit ans. J’essayais de jouer des titres de Darkthrone, Mayhem, Emperor, Burzum à l’époque… Avec des potes qui commençaient la guitare aussi, on s’envoyait alors des tablatures téléchargées d’internet de tel ou tel morceau. J’ai vraiment commencé comme ça à vrai dire. Puis avec le temps, j’ai peaufiné mon jeu au contact de guitaristes bien meilleurs que moi et en observant les pros sur scène et en vidéo aussi. J’ai travaillé tout en gardant la dimension de plaisir. Pareil pour la voix : au début je cherchais à imiter les chanteurs de black et de death metal. C’est venu très facilement sans que je ne puisse vraiment l’expliquer. Bien sûr, avec le développement de YouTube et ses milliers de tuto, plus ou moins bien faits, de nombreuses sources sont apparues. Cela m’a permis de corriger certains défauts qui pouvaient me freiner dans mon jeu et pour la voix. J’apprends toujours aujourd’hui au contact d’autres personnes, d’autres musiciens, et je m’ouvre à d’autres styles.

Parlons musique à présent ! Au niveau des guitares : combien de pistes de guitares figurent en général sur les chansons ? Sont-elles doublées, triplées, par exemple ? En termes de matériel, quel est ton équipement : micros (passifs ou actifs ?), modèles de guitares, pédales (à l’ancienne) ou plugins informatiques ? Et quel type d’ampli utilises-tu ? (lampe, transistor)… Il y en a beaucoup… Entre huit et quatorze pistes de guitares, selon les titres. Pour la partie rythmique, j’ai utilisé mon vieux Marshall JCM800 et ma Mesa duale rectifier avec pour chaque deux prises, une à gauche, une à droite. Pour la partie lead (solos), j’ai utilisé mon ampli EVH 5150. Certaines prises sont doublées d’autres non. Pour cet album, toutes mes têtes d’ampli passent par un appareil qui me permet de brancher directement l’ampli sur ma carte son, la Torpédo Captor du constructeur français Two Notes. Cela permet de faire les enregistrements à bas volume et surtout ça m’offrait plus de confort au traitement car je peux choisir mon cabinet de sortie directement à l’ordinateur et le modifier si cela ne me convient finalement pas plutôt que de refaire des prises à chaque fois. Je préfère la bonne vieille prise en direct du baffle guitare avec des vrais micros mais vivant en appartement, à ce moment-là c’était impossible à cause du volume sonore ! (sourires)
Et surtout quel est ton accordage dans ton jeu de guitare en général ? En Do (C#) ou en Si (B#) peut-être ?
Alors pour l’accordage, je suis en Ré (D), donc un ton en dessous du Mi (E) standard. Et j’ai utilisé deux guitares sur l’album : une Solar V standard, et ma vieille LTD Eclipse 1000.
Encore une fois, la curiosité m’a piqué… Dans ta musique avec Rüyyn, s’agit-il d’une batterie programmée ici avec des sons de batterie acoustique samplés ; ou bien d’une batterie électronique ; ou alors une vraie batterie acoustique que tu joues ? Que ce soit sur l’EP, ou sur ce nouvel album ? À l’oreille de nos jours, c’est de plus en plus subtil de faire la différence car les sonorités et rendus en la matière ont nettement évolué…
Sur l’EP et l’album, j’utilise une batterie virtuelle que je programme. C’est très long car j’agis sur chaque frappe de chaque élément pour qu’elle sonne réaliste. Pour l’album, mon batteur a apporté tous ses arrangements sur les parties déjà composées. Il a vraiment sublimé les titres en programmant suivant son jeu. Mais ce sera le dernier album avec une batterie programmée, je pense.
Quant à la basse, elle est relativement présente sur ce Chapter II, ce qui est parfois rare dans le black metal (ça dépend des groupes bien sûr, Khold pou Enslaved ont tendance à privilégier cet instrument). Par exemple, sur le break de la deuxième chanson : « The Flames, the Fallen, the Fury part II. » Pourquoi avoir soigné cet instrument dans le mixage de ton black metal ? C’est ton instrument de prédilection peut-être et tu l’affectionnes ?
Non, je fais de la basse avec mes acquis de guitariste. Je voulais vraiment que la basse ne soit pas juste un instrument de soutien aux guitares mais qu’elle apporte certaines couleurs ici, voire même être au premier plan sur des passages bien choisis comme celui que tu cites. Ça doit venir de mes influences 70’s, je présume. Sur l’EP, je la trouvais trop derrière dans le mix, même si cela participe au fameux « son froid » typique du black metal en général.
Quelles sont tes principales influences musicales, metal ou non, mais forcément en particulier black metal ? (sourires) Outre les Gorgoroth, Mayhem, Emperor (sans les claviers), Ulver (à leurs débuts), Dødheimsgard, et les albums les plus soignés de Darkthrone quand ils étaient encore rapides, je trouve chez toi de plus en plus d’influences ici à la Satyricon période Nemesis Divina, et un peu leur album éponyme ? Qu’en penses-tu ?
Outre les groupes que tu as cités, hormis Satyricon, j’écoute aussi du jazz, blues, classique, le rock des 70’s et même de la soul. J’écoute de moins en moins de black metal en fait, mais dans le post 1990’s l’album Si monument Requires, Circumspices de Deathspell Omega reste une énorme source d’inspiration pour moi ainsi qu’Exercice In Futility de MGLA, mais j’en oublie certainement d’autres…
As-tu écouté au passage tout de même le dernier album très avant-gardiste et expérimental de Satyricon, Satyricon & Munch ? Ce projet avait pour but d’accompagner musicalement l’exposition hommage à Edvard Munch au musée d’Oslo dédié à l’artiste, puis un peu partout dans le monde, dont Paris il y a un an au Musée d’Orsay (même si Frost n’était pas vraiment au courant lors de notre interview en 2021 : https://metalobs.com/satyricon-visite-guidee/)
Non, ce n’est pas un groupe que j’écoute hormis leur période un peu rock genre Volcano. Leur début black metal classique me fait chier… (rires)
Quel est ton dernier album de black metal acheté, ou du moins que tu as aimé cette année 2023 ?
Pour l’instant, il y a trois albums : le dernier Miserere Luminis, Ordalie (Sepulchral Prod.) (Ndlr : side-project de certains membres du groupe canadien Gris) ; celui de Manbryne : Interregnum : O próbie wiary i jarzmie zwątpienia (Malignant Voices) ; et le nouveau Deathcode Society, Unlightenment, sorti en cette fin d’année (Osmose Prod.). (Ndlr : chronique à venir sur notre site)
Sur ce premier album de Rüyyn, on peut entendre de nouvelles influences arrivées entre-temps dans ta musique, chose que tu n’avais peut-être pas eu l’occasion ni le temps d’exprimer sur ton premier essai (l’EP éponyme) en 2021. On peut déceler notamment des sonorités plus expérimentales, progressives dirons-nous, comme sur le morceau « The Flames, the Fallen, the Fury part IV » (le break et pont avec solo de guitare), ou certaines dissonances sur « part III », et « part VI » à la fin de l’album. Qu’en penses-tu ? Était-ce voulu et totalement conscient, avec un objectif artistique de varier davantage les choses ici, ou bien c’est venu au fil de ton travail de composition ?
Oui, c’est totalement voulu. J’essaie de varier mes compos tout en restant cohérent grâce à des influences diverses. Je n’essaie pas de suivre des modes, je fais simplement ce qu’il me plaît. Naturellement, tout n’est pas figé à l’avance dans un processus de composition. Tu peux avoir une idée qui te survient d’un coup en écoutant tel ou tel artiste, et là tu fais le lien dans ta tête avec une compo en cours. L’important pour moi au final, c’est de ne pas avoir l’impression de faire un patchwork de styles mais de digérer toutes mes influences diverses et en faire un seul et même tout.
La pochette de Chapter II: The Flames, the Fallen, the Fury est superbe. Elle m’a fortement rappelé celle d’un album culte d’un groupe tout aussi culte : Into The Pandemonium de Celtic Frost (1987). S’agit-il là d’un clin d’œil direct ici à Celtic Frost et es-tu fan de l’œuvre de Tom G. Warrior et Martin Erik Ain ? Et suis-tu ce que fait dorénavant Tom G. Warrior avec Triptykon et Triumph of Death (revival de Hellhammer car problèmes de droit et par respect au défunt Martin E. Ain) que tu suis et connais peut-être ?
Il faut saluer ici le travail de Joanna Mayens qui a réalisé l’artwork comme sur l’EP d’ailleurs. Non, il ne s’agit pas d’un quelconque clin d’œil même si j’apprécie les œuvres de Tom G. Warrior, que ce soit à travers Celtic Frost, Hellhammer, ou ce qu’il fait de plus récent.
Dernièrement en discutant en conférence de presse au festival Motocultor avec les gars de Pénitence Onirique signés sur le même label LADLO à propos de leur nouvel album Nature Morte, ils disaient ne pas chercher spécialement de contacts auprès d’autres groupes connus (hors label et hors France), mais n’étaient pas contre en revanche de lier naturellement des amitiés avec certains si l’occasion se présentait. Toi, es-tu en contact avec d’autres groupes de black metal à l’étranger, notamment en Europe et forcément en Scandinavie ? Vas-tu envoyer par exemple en Norvège ton album à Fenriz (Darkthrone) qui anime un podcast radio d’émission metal du côté de Kolbotn, ou bien à Infernus (Gorgoroth) ? (sourires)
Lorsque l’on tourne, partage des scènes avec d’autre groupes il arrive bien sûr que l’on fasse de bonne rencontre et que l’ont créé des liens . Au final on est tous dans la même galère, certains plus que d’autres. On commence tous plus ou moins pareil (j’insiste bien sur le plus ou moins). Je ne suis pas quelqu’un de fermé avec les gens et j’apprécie les nouvelles rencontres mais je ne vais pas chercher à être pote avec un tel ou un tel parce qu’il où elle est connue, fait du black metal, ou que sais-je ? Je suis quelqu’un d’entier. Si la personne me plaît humainement un lien peut se créer sinon chacun sa route peu importe qui j’ai en fasse. Les contacts d’un point de vue professionnel se font avec le temps, je pense, « la renommée », et si cela se passe bien lors des dates au fil de l’eau avec les organisateurs/tourneurs/groupes, etc. Beaucoup font du copinage pour espérer une place au soleil, cette attitude me fait gerber personnellement. Je ne fais pas de la musique pour avoir la reconnaissance (ou non) de mes pairs, avec tout le respect que j’ai pour leurs œuvres. Je fais cette musique pour le peu d’équilibre qu’elle m’apporte. Je ne vais pas demander à un tel ou un tel si ma musique lui plaît ou non. Pour autant, je prends le temps de remercier chaque personne qui m’envoie un message de félicitations, compliment sur mon travail. Je mets toutes mes tripes dedans, donc forcément ça me touche.
Enfin, as-tu des projets scéniques live en recrutant et t’accompagnant d’autres musiciens pour d’éventuels concerts en France et à l’étranger avec Rüyyn, ou bien ce dernier est-il destiné uniquement à être un projet studio comme l’est devenu Darkthrone par exemple avec le temps ? Des participations à des petits festivals spéciaux (LADLO Fest, Tyrant Fest, Muscadeath) ou plus gros (Hellfest, Motocultor…) sont-elles tout de même envisagées ?
Oui, on va essayer de jouer un max’, que ce soit sur ou hors festival, en France et à l’étranger. J’ai décidé de porter le projet sur scène il y a peu, bien que de base j’étais plus sur un projet studio, en effet. Mais à force de jouer live avec d’autres groupes (Lunar Tombfields, Natremia…), l’envie s’est installée. Pour l’instant tout cela est en train de se monter mais les annonces tomberont bientôt. (sourires)
Pour conclure, quels sont les projets de Rüyyn autres que des concerts ? Un nouveau vidéo clip de Rüyyn ? Un prochain EP qui serait une suite au premier EP et non pas un préquel comme cet album Chapter II: The Flames, the Fallen, the Fury ? (sourires) Et as-tu des side-projects dans les cartons ?
J’ai un projet de clip live avec une équipe que l’on va tourner début 2024. Pour l’instant, l’objectif va être de jouer le plus possible pour défendre l’album dans les meilleures conditions. Quand tu as goûté à la scène et que tu aimes ça, c’est comme une drogue, tu ne veux pas t’en passer.
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