SYLVAINE : Eg Er Framand

Eg Er Framand - SYLVAINE
SYLVAINE
Eg Er Framand
Folk atmosphérique
Season of Mist

Quel plaisir de retrouver sur disque Kathrine Shepard, alias « Sylaine », à travers ce surprenant nouvel EP, deux ans après le réussi Nova. L’artiste norvégienne ayant écumé les salles de concerts à travers une tournée intense et proche de son public (électrique, puis acoustique), en finissant par les habituels festivals d’été où elle rencontra encore ses fans comme nous autres l’été dernier, par exemple au festival breton du Motocultor 2023 (lire notre live report ici). Son sourire et sa performance sont encore dans nos souvenirs, telle une douce pensée après un flirt d’été. A vrai dire, son concert marqué de trois rappels nous avait quelque peu soufflés à Carhaix. A la fois ange et démon, son black metal atmosphérique à tendance shoegaze nous avait confirmé le talent de celle que l’on a peut-être trop vite cataloguée sur disque comme clone scandinave d’Alcest suite à sa proximité personnelle et artistique avec Neige (elle a déjà chanté sur une chanson des Français, et vice-versa puisque Neige assura pour elle la batterie à ses débuts).

Aujourd’hui, la multi-instrumentiste et chanteuse nous offre cet EP au titre norvégien Eg Er Framand, autrement dit « I am a stranger » en anglais, son autre langue naturelle puisqu’elle est née à San Diego (Californie). Mais elle aurait tout aussi pu l’appeler en français « Je suis un(e) étranger/ère » (pour les non anglophones et autres allergiques à la langue de Shakespeare) puisqu’elle vit en partie à Paris, et évolue avec des musiciens français (son bassiste et son batteur lillois), comme elle nous l’avait confié en 2022 lors de notre dernier entretien… Et à l’écoute de ce court enregistrement studio composé de six titres, un sentiment de retour aux sources, à ses racines norvégiennes nous envahit. Mais également l’idée étrange d’un rapprochement artistique avec l’album live acoustique Mausoleum de Myrkur prend ici place…

Ce rapprochement a souvent été fait par le passé avec Alcest, comme évoqué précédemment, mais aussi entre les deux frontwomen de Myrkur et Sylvaine. Comme Amalie Bruun, Kathrine Shepard est d’origine scandinave (Danemark pour la première, Norvège pour la seconde), et les deux artistes ont vécu aux Etats-Unis. Mais bon, ça c’est un détail d’état civil, vous direz-vous. Ce qu’elles ont en commun est évident : cette même approche gracieuse, naturelle et novatrice de la musique, et surtout « essentialiste » (femmes, blondes nordiques, estampillées « princesses du black metal », etc.). Et surtout, ce sont toutes deux des compositrices talentueuses qui n’hésitent pas à sortir de leur zone de confort et à explorer des chemins, quitte à sortir finalement des sentiers battus du metal en ne jouant plus vraiment du (black) metal. C’est déjà pas mal comme points communs, mais la comparaisons s’arrête là. Chez Sylvaine, point d’électronique, point de pop hybride. Non, Kathrine Shepard, elle, reste régulièrement fidèle à ses racines black metal (contrairement à Myrkur, projet folk/black avec lequel Amalie Bruun a pris le train en route du black metal après une carrière de mannequinat et de musicienne pop/rock indé à New York avec Ex Cops, bien après avoir découvert ce style au collège qui ne l’attirait pas trop au départ) tout en empruntant au shoegaze, et au rock atmosphérique, dans une démarche plus fraternelle avec Alcest, comme évoqué précédemment. Sauf que là, sur Eg Er Framand, la surprise est de taille ! Les choses se compliquent, ou plutôt s’éclaircissent le temps d’un EP. On a à faire tout simplement à un exercice folklorique épuré, acoustique, presque a cappella par moment. Les parties instrumentales sont hypra discrètes dans le mixage signé du Suédois Magnus Lindberg (Lucifer, Johnny The Boy, Crippled Black Phoenix…), ce qui confère une pureté à l’ensemble, composé de son plus simple élément : la voix claire de Kathrine Shepard, accompagnée de quelques chœurs subtils. Quelle pureté, quelle grâce !

Un orgue fait toutefois son apparition sur deux plages (« Dagsens Auga Sloknar Ut », « Livets Dans ») faisant d’ailleurs parfois penser à Anna von Hausswolf. De la viole suédoise nous donne la chair de poule sur le glaçant « Eg Veit I Himmelrik Ei Borg » avec une discrète guitare, et une sorte de lyre attire nos oreilles sur « Arvestykker ». C’est donc plutôt osé, audacieux, et si l’exercice aurait pu s’avérer casse-gueule, le résultat est tout bonnement magnifique, sans tomber dans la surenchère ni le pathos, ni vraiment faire de l’ombre au style hybride et plus moderne emprunté par Myrkur dernièrement sur Spine. L’approche de Sylvaine, avec sa légèreté dans les vocaux, nous transporte dans une envolée onirique, tenant autant du mysticisme païen que de la gestuelle médiévale par instant. Alors que sur le live Mausoleum, la Danoise Myrkur nous proposait plutôt une cérémonie pleine d’emphase, avec des chœurs rappelant davantage l’atmosphère monacale. Eg Er Framand est finalement un enregistrement de pur folk nordique, éthéré, sensible et distillant une réelle sérénité. Une cascade rafraichissante fait même son apparition sur le court titre « Tusmorke ». Mais ce cheminement à travers des mélodies du « fond des âges », un chant évocateur la fois aérien et si proche de ses racines terrestres, nous ramène aussi à une introspection, le souffle s’accélérant parfois à l’écoute de ces morceaux. La belle Norvégienne a encore tant de choses à exprimer. Et elle risque encore de nous surprendre sur son prochain LP cette fois, à moins qu’elle ne revienne en fin de compte à son blackgaze fait de rock atmosphérique et de black metal, et que cet EP n’était alors qu’une parenthèse enchantée, ou plutôt mélancolique, dans sa discographie, comme si un ange, ou l’esprit d’un être qui nous est cher, nous caressait l’espace d’un instant de son souffle, avant que la vie ne reprenne son cours dans son chaos et sa vitesse supersonique qui nous fait apprécier un tel moment délicat. [Morbidou & Seigneur Fred]

N.B. : De très belles photos ornent en outre le livret de l’EP, en plein harmonie visuelle avec le propos musical d’Eg Er Framand.

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